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19/04/2020

Donner, c'est d'abord s'appauvrir

Le week-end, les rédactions surchargées, harassées par le rythme à tenir avec le Covid s'adonnent au trivial. Depuis hier, je ne compte plus les sujets sur les cagnottes et autres dons apportés par des artistes et des "sportifs de coeur", ces "héros" et je ne sais quels superlatifs employés à leur égard. Sans vouloir jouer les ronchons, ces commentaires laudatifs me dépriment. Ça n'est possible de continuer à relayer des conneries pareilles...

On va s'éviter le name and shame du dimanche, mais parmi les champions autoproclamés de la générosité, nombre d'entre eux sont des champions de la fraude fiscale. On retrouve leur nom dans les Football Leaks pour Ronaldo (150 millions de planqués, tout de même) et Messi (oups) ou les Panama Papers pour Lewis Hamilton et moult autres coureurs automobiles. Idem pour les gentils chanteurs et chanteuses, acteurs.rices stars qui avant d'être des "citoyens du monde" sont surtout des citoyens de paradis fiscaux. Leurs fortunes relèvent du vol au bien commun, du vol à ce qui manque aux hôpitaux aujourd'hui. 

Ensuite, même sur leurs fortunes légales, le don lest souvent hyper défiscalisable 100% aux US, 66% chez nous. Ça s'entend tout à fait, il ne s'agit pas de hurler à l'injustice fiscale, c'est plus utile que le CICE comme niche, mais quand ils donnent 100 000 euros, il leur en manquera 33 000, c'est pas la même. Surtout, quand toutes les personnes pré-citées finissent l'année infiniment plus riches que la précédente. Et ils le savent. Or, donner, chronologiquement, c'est d'abord s'appauvrir. C'est renoncer pour partager. Si vous êtes dans un tel excès que vous ne savez qu'en faire, tant mieux pour vous, mais ça ne devrait même pas être mentionné par la presse. C'est une chose de prélever des aliments de votre frigo et de prévoir des repas un peu plus maigres, c'en est une autre d'être tellement repu que vous en laissez et que ces restes, ce "doggy bag", cette part du chien, vous vous flattez de l'offrir... 

En 1996, le footballeur Jurgen Klinsmann avait insulté un journaliste qui avait révélé que l'attaquant était un grand donateur de l'enfance en danger. Klinsmann d'arguer, avec décence que ses bonnes causes ne regardait que lui. Comme j'aurais aimé qu'il fit école. Comme j'aimerais que personne ne relaient jamais ces pourboires qui devrait se faire à l'abris des regards. 

On peut donner de l'argent, des biens, mais aussi de son temps, et ça, il est toujours perdu. Si les footeux et les artistes veulent faire étalage de générosité, qu'ils donnent de leur temps aux gosses de soignants, sans caméras. On en saura rien, donc on ne pourra les applaudir, et ça tombe bien, ça ne le mériterait pas. 

18/04/2020

Notre responsabilité individuelle, ne pas alimenter la psychose

La tonalité du récit collectif est une chose très étudiée en ce qui concerne le réchauffement climatique. A être trop léger, à vanter une "croissance verte" aisée, on encourage l'inaction. A contrario, à rabâcher que tout est foutu et qu'il faut être prêt pour le survivalisme, on encourage aussi l'inaction, car foutu pour foutu autant faire des tours de périph en SUV...

Il n'en va de même avec le coronavirus. La surprotection ne vaut pas l'exposition à tout va, mais les deux ont des effets délétères. On constate, effarés, le caractère criminel des discours de Trump et surtout Bolsonaro, lequel licencie son ministre de la santé qui prônait la distanciation sociale et révise les chiffres de morts à la baisse avec plus de zèle que les dirigeants chinois. Les criminels, ce sont eux. Pour autant, je note qu'à mesure que le confinement se prolonge, des discours de plus en plus effrayés se répandent et ça ne peut faire du bien à personne.

Nous sommes, globalement, très responsables. Depuis un mois, je n'ai jamais, jamais, vu une accolade, une embrassade, pas de troupeau.. Je vois des gens qui sortent en se tenant à distance, se lavent les mains, toussent dans leur coude dans leur écrasante majorité. Quand un homme, isolé, crache par terre, dois-je hurler, en venir à le haïr ? Evidemment, non. Je me tiens à distance et je me rappelle que l'écrasante majorité fait bien. Ainsi, je souris aux gens que je croise parce qu'on est tous dans la même galère et qu'en rajouter dans la haine de l'autre ne nous aidera pas à en sortir. 

Relayer des images apocalyptiques, mettre en avant des cas graves "alors qu'ils étaient en bonne santé", c'est alimenter l'idée d'un chaos potentiel à venir. Pourtant, à mesure que l'épidémie avance dans le monde, on a des données qui confirment bien que le covid, n'est certes pas "une gripette", mais vraiment pas le choléra, ou Ebola pour prendre une pandémie plus récente dont tout le monde se foutait tant elle n'a pas atteint les pays riches...

Plus de 2 millions de cas recensés dans le monde, c'est à dire suffisamment lourds pour être testés, "seulement" 150 000 morts. 7% de morts parmi les cas déjà graves... 7%, pas 50%. Respirons. Et parmi ces cas graves, une surmortalité très forte de personnes âgées, immuno déficientes, aux difficultés respiratoires, obèses, diabétiques. Et une archi sous mortalité des gens en bonne santé. C'est capital de le rappeler, faute de virer dans une psychose collective.

Nous vivons au rythme des décomptes macabres et des courbes, cela devient une obsession, mais on en vient à oublier que personne sur cette planète, à part Chuck Norris, n'est immortel. Les 750 personnes mortes en France hier ne sont pas 750 victimes d'homicides, d'attentats, 750 morts que nous aurions pu éviter sans souci... Non, les gens meurent, les personnes fragiles peuvent être emportées par des gros rhumes, la grippe tue chaque année au moins 10 000 personnes, la pollution achève des personnes aux difficultés respiratoires lourdes et Michel Berger, non buvant, non fumant, bouffant macrobiotique est mort à 40 ans etc...

Quand 2020 s'achèvera et que nous prendrons une grosse caisse (avec masques ?), nous regarderons la surmortalité mondiale sur l'année. Sera-t-elle due au COVID ? Sans doute, mais pas du tout certain. Il y aura une sous mortalité des morts sur la route et beaucoup plus de morts d'accidents domestiques, des morts de faim, hélas, des tas de morts par incurie, littéralement, on ne compte plus les personnes aux symptômes d'AVC qui ne vont pas à l'hôpital pour ne pas engorger les services... Et évidemment un surcroît de suicides. Quid des morts du palu qui ne peuvent être traités à cause de l'engorgement et ces mille autres situations auxquelles je ne ne pense pas ?

On n'a pas cette comptabilité morbide là, chaque nuit. C'est heureux, nous n'en dormirions pas. Personnellement, et contrairement à Trump et Bolsonaro, je ne compte pas sur le ciel pour m'aider. Je compte d'abord sur la science, qui bosse, qui cherche un traitement et un vaccin et qui a l'honnêteté de reconnaître (elle...) qu'on ne sait pas tout sur cette saloperie, mais qu'on sait comment limiter au maximum les chances de la choper. Donc on continue à faire gaffe, mais notre responsabilité, c'est quand même de sourire aux autres, sinon on accepte tout. On accepte des injonctions infantilisantes, on accepte le tracing quand bien même on a aucune assurance, aucune garantie scientifique sur son efficacité. On accepte la "délation du bien" ? Evidemment, non. Le jour où on me distribuera un masque grand public, j'y dessinerai un sourire radieux et indélébile. 

16/04/2020

Et l'info publique, quoi qu'il en coûte ?

Comme l'écrivait l'historien américain Timothy Snyder dans "de la tyrannie" : "Nous jugeons naturel de payer un plombier ou un mécanicien, mais nous réclamons la gratuité de l'information. Pourquoi former notre jugement politique sur la base d'un investissement zéro ? Nous recevons ce que nous payons".

Cette maxime essentielle est trop peu partagée et nous en payons collectivement le prix avec l'élection des favoris de Fox News, ou de BFM. L'info offerte par des pubs pour les SUV, les téléphones portables, les voyagistes et les chips au paprika vaut ce que valent ces produits...

Les propriétaires de Fox News et BFM (Rupert Murdoch et Patrick Drahi) placent leurs hommes de confiance à la tête des rédactions et rares sont les journalistes qui peuvent y produire de la qualité et de la critique. Ces chaînes sont conçues pour matraquer une ligne et pas donner de l'info. Dans l'excellente série "The loudest voice" on voit comment Roger Hailes, ex conseiller de Nixon, Reagan et Bush père, fera de Fox News une machine de guerre, d'abord anti-Obama puis pro-Trump. Les voix modérées, tentant de lutter à l'intérieur, sont balayées, virées. Les médias financés par la pub sont hélas ultra dominants et le marché du journalisme ayant depuis des années beaucoup plus de demandes que d'offres, vous avez nécessairement des journalistes de qualité dans ces chaînes, mais pas tout en haut. Et le fonctionnement pyramidal de ces médias implique qu'ils et elles ne pèsent pas sur la ligne. 

Tout le monde ne peut pas payer pour de l'info de qualité, c'est vrai. Mais il y a aussi une hiérarchie des besoins. Je connais nombre de foyers où l'on combine l'abonnement à Netflix et Canal, mais rechigne à verser le moindre écot à des entreprises de presse. Nombre de ces bonnes âmes qui m'envoient des messages privés pour me demander de leur copier/coller des articles de Médiapart ou du Monde qui, bizarrement, suscitent plus d'intérêt que les télés citées précédemment où les tribunes du Huff Post... Le débat sur le coût de l'information est trop biaisé, comme pour l'alimentation. Ça n'est pas un "luxe de bobo" mais une exigence vis à vis de soi qu'on ne met pas dans des babioles et gadgets dont tout le monde se passe totalement depuis un mois et pourtant le monde tourne. La qualité, ça se paye. Soit directement, avec l'abonnement, soit collectivement avec une redevance pour offrir à ceux qui ne le peuvent pas, une info de qualité.

Ce matin, France Inter a vécu un gros moment de dissonance cognitive : à 7h15, un billet rappelait qu'aux US, le biais financier vis à vis de l'info crée des inégalités gigantesques. Les médias payants donnent accès à de longues enquêtes, du décryptage, la parole aux médecins et scientifiques. Les médias gratuits répandent des fake news grossières (le coronavrius est une invention des lobbys xxx) ou de fake news socialement acceptables (les propos de Trump différents à 180° de la veille à chaque fois). Les États-Unis ont un pôle de média public famélique en poids même si de grande qualité (NPR), l'avis de nombre d'américains sur la gestion de la crise est donc conditionné par l'argent qu'ils investissent pour s'informer. Peu rassurant...

A contrario, nous avons en France la chance d'avoir un pôle public conséquent, puissant, couvrant tous les domaines avec des rédactions importantes. L'information de qualité à un coût et notamment un coût humain. Les petites rédactions, aussi talentueuses soient-elles, informent moins globalement. Mediapart excelle dans l'investigation, a d'excellentes analyses sociales et économiques, mais ses pages internationales sont plus que minimales, comme les pages société. Il faut du peuple pour parler aux foules et vice versa. On a tout ça, chez Radio France. Et le public suit, les audiences sont au zénith et en pleine crise, les antennes se mobilisent pour continuer à démultiplier les formats plus longs en donnant beaucoup (trop... mais personne n'est parfait) la parole aux auditeurs pour calmer les angoisses, souvent liées à des infos non vérifiées lues ailleurs.

A 8h20, Nicolas Demorand recevait un ficus au sujet duquel on me glisse dans l'oreillette qu'il serait aussi ministre de la Culture et de la communication. Vérification faite, et aussi étonnant que ça soit, il semblerait bien que ce Franck Riester est bien la personne en charge de mener la réforme de l'audiovisuel public. Et alors même que Demorand avait tous les arguments dans les mains à 7h15 pour dire l'absolue supériorité d'un modèle français permettant à ceux qui ne payent pas d'infos d'être bien informés et d'échapper aux avalanches de conneries, il ne le dit pas. Il ne dit pas qu'on ne peut pas faire plus avec moins. Qu'on ne fera pas aussi bien avec 300 postes en moins. Et que le "quoi qu'il en coûte" de Macron vaut aussi, évidemment, pour l'info publique de qualité.