28/03/2022
Où regarder ?
La campagne officielle débute, signifiant que nous votons dans deux semaines. Ça paraît à peine croyable tant rien n'a commencé. Bien sûr, il y eu des meetings en pagaille, parfois des foules monstres (chez Mélenchon à Paris, Lyon et Marseille, dans une moindre mesure les rassemblements de Zemmour furent, hélas, assez impressionnants) et quelques débats télévisés, mais jamais au point de s'imposer comme le sujet dominant.
En 2007 et 2012, à deux semaines du premier tour, on ne parlait que de ça. En 2007, l'hypothèse Bayrou vivait ses derniers feux et en 2012 la question portait sur la marge d'Hollande vis à vis de Sarkozy d'une part et vis à vis de Mélenchon, d'autre part, pour connaître le dosage de libéralisme et de social qu'il pourrait s'octroyer. En 2017, l'acmé du suspense avec quatre candidat.es en passe de se qualifier au second tour rendait le sujet incontournable. Et la virulence des attaques entre les camps étaient infiniment supérieures à ce que l'on voit cette année. Que les militant.es de Jadot qui pensent être agonis d'injures par les Insoumis regardent ce que prenaient (à raison) celles et ceux qui votèrent Hamon... Le vote Macron pour éviter un second tour Fillon/Le Pen marquait les prémices d'une sociale-trahison jamais oubliée. Bref, on s'écharpait en dentelle, on s'étripait courtoisement, on causait politique.
Mais cette année ? Les bulles de filtres ont laissé place aux bulles tout court. Chacun prêche dans son coin, sans déborder, sans faire de bruit. Quelques petites polémiques (Zemmour et les autistes, Macron et le RSA, la remigration), quelques petites phrases, quelques affaires (Mc Kinsey, la non publication du rapport Orpea) mais au final, nous aurons eu sauf retournement de dernière minute, une campagne sotto voce. Rien n'a pris. Pas plus les très légitime débats sur le niveau des droits de succession (lancé par Mélenchon et l'interdiction de transmettre plus de 12 millions) que la tentative des ONG engagées pour le climat de faire monter le piteux 2,7% du temps de débat réservé aux sujets climatiques. Même la putative suppression de la redevance audiovisuelle par Macron ne prend pas dans les médias publics ! On regarde à l'est. Depuis plus d'un mois, nous suivons les fils de nouvelles guerrières, diplomatiques, les cours de l'énergie. Pourtant, nous ne sommes que très modérément touchés par ce conflit.
Les victimes sont très majoritairement les ukrainien.nes et les soldats russes qui ne voulaient pas de cette guerre. Les réfugiés vont très majoritairement dans les pays limitrophes, Pologne en tête. La "solidarité" ou "générosité" d'accueil française n'est que très relative. Le coût de l'énergie est archi compensé par les pouvoirs publics, certes l'essence a augmenté, mais Total en prend une part, Castex une autre, c'est de la mêlasse mais pas la catastrophe. Celle-ci arrive en Afrique où l'explosion du prix de la nourriture va générer des famines colossales. Rien de tout cela chez nous. Malgré tout, nous regardons à l'est.
Hier, le parc de ma fille rouvrait après quatre mois de travaux. Profitant du soleil printanier, tous les parents du coin affluèrent en masse. Personne ne disait rien, mais nous ne pouvions ignorer la silhouette humaine masquée par un duvet. Un ou une malheureux.se dormait là, comme ielle en avait sans doute pris l'habitude pendant les travaux. Un tour du parc me fit voir 3 autres matelas. Lors de la séquence tardive du parc, les silhouettes avaient disparues et le matelas -éventré- le plus gros était toujours là. Dans un quinquennat marqué par la fiscalité la plus injuste de la 5ème doublée d'une crise Covid, nous avons un million de nouveaux pauvres, nous atteignons des sommets avec 8 millions de mal logées et il y eut encore 600 morts dans la rue l'an passé.
La retraite à 65 ans, les quinze heures de travail forcé pour les allocataires du RSA ou encore les conséquences de la dernière réforme de l'allocation chômage ne risquent évidemment pas d'améliorer le tableau. Et l'édifice fragile des services publics, boucliers et patrimoines de celles et ceux qui n'ont pas hériter chancelle tout autant. La rémunération des profs au mérite ne sauvera pas l'école, pas plus que le Ségur n'a sauvé l'hôpital. La campagne s'achève et nous regardons à l'est. Ça peut s'entendre, mais ça ne pousse pas à mettre un bulletin de vote nous aidant à changer ce que l'on a sous les yeux.
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24/03/2022
Si Loïk le Priol avait été musulman
Samedi soir, Federico Aramburu, ancien international de rugby a été tué par balles en plein Paris et la nouvelle fait peu de bruit dans les grands journaux. A lire les excellents articles que Mediapart et Street Press consacrent à l'article, on est ébahis par le profil de l'assassin, Loïk le Priol. Il n'aurait pas dû être à Paris, devant pointer au commissariat de Draguignan dans le Var, pour des faits de violence. Il fut exfiltré de l'armée après avoir étranglé et frappé une prostituée en Afrique, a tabassé plus souvent qu'à son tour, s'est exhibé avec des armes sur les réseaux sociaux, bref, un radicalisé de chez radicalisé, une racaille de chez racaille, un homme dangereux pour les non blancs et pour les femmes.
Et avant le drame, il avait dit aux rugbymen avec qui il s'embrouillait qu'il était "un vrai français, lui, il n'avait pas à partir". Avant de tirer six balles. Et hormis les titres cités, pas de vague, son arrestation en Hongrie n'est même pas dans les journaux. On ne demande pas aux candidats à la présidentielle ce qu'ils pensent de la violence, de la violence armée, à l'extrême droite. Car Le Priol a un historique de photos et de vidéos avec des cadres du RN et des proches de Zemmour long comme le bras. L'Équipe qui y consacre un peu de place vue la nature du défunt parle de l'assassin comme "un sympathisan de l'ultra droite", dans une formule doublement trompeuse : l'ultra droite n'est jamais sympathique et Le Priol n'était pas un quidam dans ces réseaux, mais bien un pilier.
A chaque approche d'une élection présidentielle, tous les drames, tous les faits divers sont instrumentalisés. Songeons à "Papy Voise" avant 2002, ou, plus près de nous, au policier assassiné sur les Champs Élysées en 2017. Chaque fois, tous les journaux donnaient leurs micros aux commentateur.ices et aux politiques pour recueillir leurs avis forcément doctes et pénétrants sur l'insécurité, l'immigration et l'islam. Là, nous sommes à 3 semaines de l'élection et un meurtre en plein Paris par un homme dont la vie entière est dédiée à l'ultra droite, cette ultra droite dont la violence et les actions terroristes augmentent partout en Europe et l'on en dit pas un mot. Pas un. A cause de l'Ukraine ? Sans doute un peu. Mais, soyons sérieux, si Loïk le Priol s'était appelé Abd el Krim Abdeslam, aurait-on le même silence médiatique et oserait-on parler de faits divers ? Honte à celles et ceux qui couvrent la violence d'extrême droite.
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23/03/2022
L'importance d'un espoir
Nous y voilà. Mis au pied du mur par la prévisible question marronnier sur un deuxième tour Macron/Mélenchon a dit qu'il s'abstiendrait. "Qu'il refusait de choisir", plutôt. Renvoyer dos à dos cinq ans de casse sociale et écologique et Mélenchon, c'est ajouter à la désespérance, au déboussolage, à l'idée qu'une alternative fédératrice ne peut survenir, un jour. C'est désespérant, c'est rajouter à la dérouillée électorale à venir un manque de courage politique.
Qu'on ne me refasse pas le point Ukraine en long en large et en travers. L'action du Président de la République Française sur ce conflit, comme le conflit syrien, ne change la donne qu'à la marge de la marge de la marge. Je ne dis pas que les positions de Mélenchon sont estimables pour autant, je dis qu'invalider son mandat pour ça, c'est malhonnête. Surtout quand on sait ce que joue l'international dans les motifs de vote pour le gros du corps électoral... Sur la vie des huit millions de pauvres, des chômeur.euses, ô combien des allocataires du RSA, les mal logé.es, les fonctionnaires, tout peut changer. Pour la préservation climatique, tout peut changer. Qui peut penser que l'envolée sondagière de Mélenchon est liée à une Poutinophilie rampante parmi les électeur.ices de gauche ? Inepte.
Jadot est un homme qui a dit que l'écologie était compatible avec le libéralisme, en 2019. L'homme qui est allé affiché son soutien aux syndicats de flics d'extrême droite pour la manif de la honte. L'homme qui dit que les profs ont trop de vacances. Certes, il est plus cohérent sur l'Ukraine, mais la vision de société de Jadot, c'est le business as usual avec de la croissance verte gender friendly à la lisière du macrono compatible. C'est pour cela qu'il ne décolle pas. Parce qu'il ne saisit pas l'aspiration à la radicalité que l'on retrouve dans tous les mouvements écologistes, des ZAD aux marches pour le climat, du manifeste pour un réveil écologique et autres.
Mélenchon est l'homme qui sait parler, mais pas l'homme d'un programme. Le programme qu'il défend à été élaboré par des milliers de personnes, des expert.es, des spécialistes, il y a du fond. Lui est le porte voix de cette colère collective. Le MEDEF reconnaît qu'ils savent de quoi ils parlent, ils n'aiment pas leur fiscalité, mais on peut discuter. La FNSEA, idem. Ils n'aiment pas leur vision de l'agriculture, mais on peut discuter. Idem pour les flics, qui voient mal l'arrivée de quelqu'un qui veut doubler la formation des Pandores pour éviter les violences, les bavures, pour mieux prendre en charge les victimes. L'espérance, c'est l'Avenir en Commun qui l'incarne. Le projet d'une autre société. En refusant de trancher entre cette aspiration à un monde réellement nouveau et le quinquennat ignoble d'inégalités et de violence de Macron, Jadot sort son drapeau jaune, celui des briseurs de grèves, celui qui choisit son camp et qui n'est pas celui de l'espoir.
Les dés sont jetés, Jadot finira largement sous les 10%. Espérons au dessus de 5% pour ne pas handicaper l'avenir d'EELV et ses militant.es qui bossent. Mélenchon sera soit le troisième, soit second. Si une telle position était là, espérons les électeur.ices écolos comme les cadres politiques comprennent l'importance d'une espérance pour l'avenir et se positionneront en sa faveur.
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