06/04/2010
Lectures
D'après une enquête commandée par Fredo Mitterrand, 30% des Français n'ont pas lu un seul bouquin en 2008... Vi vi vi. On dit pas un seul, si vous lisez un Guillaume Musso, un Nicolas Rey ou un Marie Darrieussecq vous faites partie des 70% de lecteurs; c'est donc pas exigeant...
Pour des raisons tenant à des insomnies, une préparation à un marathon sans gnôle et autres joyeusetés, j'ai fait mon Olivier Barrot la semaine dernière (un livre/un jour). Je vous évite les essais et les que sais-je (même si celui sur la sociologie des tendances est très drôle) pour vous dire que, quand même, "Hammerstein ou l'intransigeance" de Hans-Magnus Enzensberger (Gallimard) et "Danse danse danse" de Murakami sont, selon votre humeur, deux très bons livres.
Je commence par Murakami pour vous dire que je n'ai presque rien à en dire si ce n'est que comme à chaque fois avec le génial nippon on est happé, surpris, intrigué et emporté. Du Murakami au summum de son étrangeté humaine; on suit ses personnages baroques avec un naturel confondant de bizarrerie normale. Bref, si vous avez aimé Kafka sur le rivage, foncez sur celui-là. Si vous l'avez pas lu, vous avez tort, et allez y voir quand même...
Hammerstein, plus compliqué ma foi. La forme ? OLNI... Sorte de biographie romancée avec de nombreuses interviews façon Canard Enchaîné avec des propos presque recueillis. Le style, ciselé, vif et fuyant, virevoltant d'une cousine à un général à la retraite et autres huiles de l'entre deux guerres en Allemagne. Bien sûr, meugleront les anti-militaristes primaires (dont je suis à l'ordinaire) ça reste un militaire. Peut être, mais un type qui dit dès 1933 "la peur n'est pas une vision du monde", qui collaborera activement avec l'armée rouge pour leur remettre des infos, dont les enfants seront résistants... Et puis, un type qui a vécu dans une relative austérité (les mômes ont tous payé leurs études supérieurs eux mêmes, à l'époque rare chez les grands de ce monde) tout ça parce qu'il a refusé de céder. Sans même parler de conférences ou autre services assidus, les SS lui promettaient plein de picaillons à condition de reconnaître publiquement le bien fondé du régime. Mais il ne cilla pas, jusqu'à sa mort, en 1943... Mort sans avoir vu les fous trépasser, dommage pour lui, mais ce n'est pas une raison suffisante pour vous passer de lire un livre qui éclaire un peu l'Allemagne: entre la guerre, il n'y avait pas que des SS ou des jeunes SS devenant célèbres plus tard (Gunter Grass et Benoît XVI) et ma foi, au moins, quand on lit ça, on ne lit pas les déclinologues...
Demain, mercredi jour des enfants, n'oubliez pas de les confier à des laïcs...
21:28 | Lien permanent | Commentaires (2)
05/04/2010
Frédéric Martel est-il un con ?
Vendredi soir, je suis allé voir le spectacle de l'humoriste Ged Marlon. Je ne vous en parlerai pas pour pas vous faire bisquer, car c'était la dernière, mais si vous tombez dessus en DVD, prenez. Ged, c'est l'homme des brèves de Comptoir dans "Palace". Un ancien champion de lutte tout mince qui fait un extraordinaire travail sur le jeu de scène et qui a quelque chose de rare pour un humoriste: un univers. Il est aérien, poétique, virevoltant, souvent subtil toujours hilarant. Voilà, c'est dit mais c'est pas mon sujet.
J'ai écouté sur les podcasts d'Inter, Frédéric Martel pour son ouvrage Mainstream et j'ai bien rigolé... Comme je ne croyais pas que l'on puisse être sot à ce point et puisque pour critiquer la vulgarité, il faut s'y intéresser, je suis allé chercher le livre que j'ai parcouru avec une consternation presque jamais démentie (le garçon est capable de saillies). Pour vous éviter un fastidieux pensum, voilà le projet du livre résumé par l'éditeur: « Comment fabrique-t-on un best-seller , un hit ou un blockbuster ? Pourquoi le pop-corn et le Coca-Cola jouent-ils un rôle majeur dans l’industrie du cinéma ? Après avoir échoué en Chine, Disney et Murdoch réussiront-ils à exporter leur production en Inde ? Comment Bollywood séduit-il les Africains et les telenovelas brésiliennes, les Russes ? Pourquoi les Wallons réclament-ils des films doublés alors que les Flamands préfèrent les versions sous-titrées ? Pourquoi ce triomphe du modèle américain de l’entertainment et ce déclin de l’Europe ? Et pourquoi, finalement, les valeurs défendues par la propagande chinoise et les médias musulmans ressemblent-elles si étrangement à celles des studios Disney ?". J'ai laissé les passages en gras soulignés par l'éditeur, sans doute pour vous aiguiller, des fois que vous ne sachiez pas lire... Intéressant hein ? Oh, surtout lecteur ne répond pas "non", Martel t'attend la dessus !!! Tu DOIS t'y intéresser, les blockbusters, c'est la vie, que ça t'intéresse ou non, tu DOIS désormais aller voir le film de l'été avec Cameron Diaz et tout ce qui est bankable, espèce d'amateurs de ciné pour smicards...
Dans le fond, je crois que Frédéric Martel incarne l'ultime trahison des clercs: c'est un élitiste refoulé.
Névrose de l'époque. Mitterrand passait sa vie à lire les romantiques, Chardonne (beurk) et Morand (discutable); Chirac préférait les intrigues d'Orient et de Russie. Sarkozy, lui, concède: "bien sûr je regarde le Tour de France, comme des millions de français. Le Tour de France, les Ch'tis et Marc Lévy. Bien sûr je lis Marc Lévy, ce mec vend des millions de bouquins, il faut comprendre ce qui intéresse les Français. Si je veux pas m'y intéresser, je change de métier". Evidemment, on peut pouffer en disant que tous les autres hommes d'Etat ont mieux à faire que de comprendre Lévy, Boon, et le Tour de France, toujours est-il que le pouvoir aujourd'hui s'incarne là-dedans. Or, Martel veut le pouvoir. Prenons le pedigree du jeune homme: journaliste à France Culture (élite), il a publié il y a 4 ans, une somme bien documentée et très intelligente "de la culture en Amérique" chez Gallimard (re-élite). Le livre est excellent et a été salué par la critique, mais Fredo n'en a cure: il veut de la fraîche et des spotlights, être in.
Donc, là, il publie son livre chez Flammarion. Pourquoi ? Sans doute parce que la patronne de Flammarion, Teresa Cremesi était l'ancienne éminence grise de Gallimard. Je hasarde l'hypothèse qu'elle a dû le débaucher mais sans certitude. Toujours est-il que chez Flammarion, on lui a assurément promis un coup. On parle tout de même de l'éditeur de Ennemis publics la correspondance par mails de Houellebecq et BHL... Le livre qui a fait trembler l'intelligentsia française. Martel soigne son plan média, et ça marche: invité chez Demorand, JDD, BFM, une couverture rare pour un essai culturel... Sauf qu'évidemment, il est question de "l'industrie culturelle et de son économie", comprend lecteur ignorant qu'aujourd'hui la culture c'est de la géopolitique, si tu n'as pas compris ça tu es un coq demeuré et ratiociné....
Martel anglicise toutes ses expression et distille soigneusement des références à l'intention de ses interlocuteurs pour les rassurer sur la teneur culturelle de l'opus : Chéreau, Koltès.... Ce sont des codes pour élitistes, pour happy few, des auteurs mainstream pour l'élite. Chereau et Koltès sont confiné mais reconnus, ils ne sont pas dérangeants: vous noterez que Martel ne se hasarde pas à citer Raymond Cousse, Gilles Châtelet, Pialat ou autres, curieux, hein ? Il aime les rebelles beau à la caméra, un soupçon d'effronterie, surtout pas de pensée critique.
Martel veut le beurre (le succès), l'argent du beurre (bling bling) et comme cul de la crémière, il voudrait l'onction de la critique. Il voudrait qu'on le reconnaissance comme un "penseur de la modernité" capable d'avoir levé des tabous. Mais, comme disait un vieux prof à propos de Malraux, "Martel tes idées justes ne sont pas neuves et tes idées neuves ne sont pas justes". La culture comme moyen d'hégémonie géopolitique ? Je me souviens d'avoir appris ça en 3ème, il y a plus de 15 ans... Le coca-cola, Mc DO, et les séries américaines, tout ça au fond : même combat. "American way of life for everyone", je vois pas ce qu'il y a de nouveau... Ensuite, sur l'Europe qui ne saisit rien, c'est d'une connerie... Regardez ces ambassades, ces missions, ces sites internet qui fleurissent... Regardez ces séries que l'on exporte en tâtonnant: sous le soleil est la fiction européenne la plus exportée dans le monde, ça donne à réfléchir... On tente Monsieur Martel, on tente, mais on a 25 langues et pas les mêmes moyens... Et de toute façon, l'uniformisation culturelle n'est pas une vision du monde...
Demain, pour changer, nous parlerons d'un grand livre qui vient aussi de paraître et qu'on préférera au déchet éditorial sus-mentionné, "Hammerstein ou l'intransigeance" (Gallimard), la biographie romancée du général en chef de l'armée allemande qui, refusa à jamais de collaborer avec les nazis jusqu'à sa mort en 1943, exhortant ses proches à se détourner d'Hitler en disant, dès 1933 : "la peur n'est pas une vision du monde". Je trouve que ça vous pose un bonhomme...
09:32 | Lien permanent | Commentaires (19)
02/04/2010
Encore un baromètre...
C'est l'époque qui veut ça... Un irrépressible besoin de classer. De noter. On retourne à l'école. Déjà que nous sommes malades de l'évaluation, mais son corollaire débile, la manie du classement, pardon, du ranking, me laisse perplexe... A titre égotiste, elle me mine aussi car j'ai toujours l'impression de vivre sur une autre planète: j'aime rarement les premiers de la classe...
Le top de 50 français préférés des Français... Bon, Noah est marrant mais Zidane con comme une burne et d'une lâcheté sans nom, à part s'afficher sur papier glacé, on l'entend guère alors qu'on lui tend toujours des micros sous le nez... Gad Elmaleh, Mimie Mathy, bref, quasiment tous me laissent indifférent. Mon palmarès serait sans doute puant de germanopratinocentrisme mais quand même, dans les sportifs, pourraient choisir Onesta, Guy Lacombe, des rugbymen, des athlètes plutôt que des footeux et des tennismen... Quand aux artistes, pourraient choisir ceux qu'ont du talent...
Le top politique permet de toucher l'absurdité du système: pas un des types populaires n'ont d'importance réelle. Le pilier historique, c'est Kouchner, le mix parfait de BHL, Robert Redford et Rantanplan... La nouvelle icône c'est Rama Yade, le corps de Naomi Campbell, l'esprit de sédition de Michel Drucker et l'appétit du coyotte pour sans doute le même résultat après le bip bip du pouvoir.
Il y aussi "le top des villes où il fait bon vivre", généralement il pleut, vente et autres, mais du coup, du foncier abordable, pas d'insécurité (les gangsters aiment pouvoir mener la vie de château, pas la vie de grange).... Bref, les villes d'eaux types Evian (j'ose pas dire Vichy, on dira que je fais du mauvais esprit...); le top des hôpitaux en fonction du ratio pontage réussi/staphylocoque doré et le top des facs selon l'équation fric investi/salaire à la sortie...
Ce matin, un type très sérieux puisqu'il est chef de rayon chez BVA commentait le baromètre des entreprises préférées des Français. Je sais pas qui a eu l'idée d'investir 30 000 euros là-dedans, mais ça me paraissait vraiment de première nécessité. Surtout quand on voit la qualité de la restitution, des fulgurances insoupçonnables: la grande distribution n'est pas aimée pour des raisons qui touchent au pouvoir d'achat, dingue ! Mieux, les banques traditionnelles reculent fortement (bah, pourqnuoi ?) alors que les banques mutualistes et coopératives montent. Notre analyste à 10 000 euros par mois se permet cette hypothèse folle "sans doute suite à la crise financière les Français veulent-ils ainsi marquer leur volonté de plus de justice sociale", ben mon salaud, t'y vas pas un peut fort là ? Je vous passe la suite, la SNCF est volatile selon les mouvements d'humeur, Total la plus détestée à cause de l'Erika mais "aussi à cause des partages des richesses qui, selon les français n'est pas équitable chez Total", il y aussi France Télécom qui n'a pas une côte énorme... Mais ce qui me fit le plus rire, c'est l'entreprise à nouveau aimée des français: Danone.
Et oui, suite à l'affaire Lu qui a marqué l'ensemble des Français (dixit monsieur 10 plaques), le temps semble avoir fait son oeuvre et petit climax"le peuple de gauche semble s'être réconcilié avec Danone".Bah ouais, quand tu palpes 10 SMIC par mois pour débiter des conneries pareilles faut avoir de l'aplomb et oser la formule qui tue. "le peuple de gauche semble s'être réconcilié avec Danone"... J'imagine le sondeur :
-Vous faites partie du peuple de gauche ?
-Oui oui...
-Et vous vous êtes réconcilié avec Danone ?
-Oh oui alors, vous savez j'avais vraiment mal vécu l'affaire Lu, mais depuis que j'ai vu le programme du chemin de la croissance verte de Danone et sa réelle envie de lutter contre la pauvreté je me suis réconcilié avec l'entreprise.
Voila voila voila, demain c'est le début du week-end de Pâques, les mômes se gaveront de chocolat Nestlé, souhaitons que les prêtres soient moins sectaires et acceptent de mettre des capotes Durex après la veillée des louveteaux...
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