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15/07/2012

Livre numérique, et si la mort de l'objet tuait aussi la curiosité ?

3-petits-chats-curieux-402314.jpgC'est véritablement un chantier passionnant. Rarement l'exception culturelle française aura été aussi significative. Comment expliquer que depuis le début de l'année, les ventes de livres numériques dépassent celles de livres papiers aux Etats-Unis quand, chez nous, ce marché demeure ultra-embryonnaire ? Un réflexe grégaire de notre part, les gaulois, quand nos cousins yankees auraient tout compris du besoin d'être moderne ? Une peur panique devant la disparition des libraires, des objets papiers ? Un sous-équipement en supports de lecture numérique ? Ou l'idée que ce nouveau mode de lecture ne fonctionnera pas ? Un peu de tout ça, sans doute.

L'aspect pratique du livre dématérialisé ne se discute pas. Dans quelques semaines, j'entamerais un gros voyage au cours duquel je serai confronté à ce mal bien connu des gros lecteurs : comment embarquer des livres pour un mois ? Heureusement, les Pleiade sont là pour ça. Mais ce sont des livres chers, au confort de lecture un peu aléatoire avec une toute petite police. Pour cela, je reconnais qu'un écran plat qui contiendrait des centaines de titres m'agréerait. L'extrapolation s'arrête là. J'ai chopé le virus et en papier ou sur écran, je continuerai à beaucoup lire toute ma vie. Le problème, c'est les autres. Le livre numérique va t'il voir arriver de nouveaux lecteurs, de nouveaux mode de lecture ou tout laisser en l'état ?

Un prof du Collège de France et un sociologue chargé par le ministère de la Culture d'une mission sur l'avenir du livre en parlent sobrement là; problème, Finkielkraut sert d'entremetteur et il a son envie qu'il dispense avec une neutralité fort relative expliquant tout le mal qu'il pense d'Internet.

http://www.franceculture.fr/emission-repliques-le-livre-s...

En les écoutant, on sent bien que l'on est au début d'un bouleversement qui pourrait être dramatique dans la mesure où les gros lecteurs diminuent fortement depuis des années sans que rien ne vienne freiner l'érosion. De plus, les frontières sociales et culturelles ne recoupent plus les mêmes logiques de domination par la lecture. Les signes extérieurs de succès se sont déplacés. Aujourd'hui, plus personne ne pense épater la galerie en arborant ses rayonnages de livres reliés. Des toiles colorées, plus. Par ailleurs, à l'évidence, la question principale demeure l'envie. Celle-ci s'évapore. La meilleure illustration en est là désertion des bibliothèques municipales. Là où les livres sont gratuits. Phénomène qui dépasse d'ailleurs très largement les frontières de l'hexagone. 10 à 15% minimum de baisse en dépit d'efforts plus que louables de la part des directeurs de ces médiathèques qui s'agitent avec l'énergie du désespoir pour éviter que le massacre ne soit plus grand. On peut d'ailleurs lire ici le point de vue de Valérie Rouxel, directrice de l'action culturelle d'un département francilien : http://www.culture-chronique.com/chronique.htm?chroniquei....

Elle délimite fort bien les limites de ces lieux dans un XXIème siècle liquide. Il faut désormais faire de l'animation, du débat, créer de l'événement autour du livre pour amener au livre. Le texte, en lui même, n'intéresse plus. Pour pousser à lire Flaubert ou Tolstoï, Bourdieu ou Sartre, il faut inventer des parcours permettant aux novices de la lecture de comprendre en quoi la lecture les aidera dans leur vie de tous les jours. Fors le festivus festivus, point de lectibus...

Finalement, dans cette mort de l'objet livre, ce qu'il nous faut le plus craindre, c'est qu'elle entraîne également la mort d'une certaine curiosité. Les seuls qui continueront à pratiquer la lecture seront les enfants de lecteurs. Au-delà de ça, comment espérer qu'une nouvelle génération ira spontanément vers des textes exigeants lorsqu'ils ouvriront le même outil qui propose des vidéos, des articles courts et 1000 autres distractions ? Dans la présentation du numérique aujourd'hui, la question de la transmission est dramatiquement absente. Deux chapelles parlent principalement. Primo, les incultes yuppies qui ne pensent qu'à rattraper le retard en termes de marché et comparent cela pour des raisons ineptes au marché de la musique... Tout le monde voulait s'échanger de la musique, mais les livres ? Vous les voyez dans les cours de récré ou à la machine à café dire "hé, j'ai une clé USB, tu me passes tous tes Svevo, tes Manchette ?". Ridicule. Deuxio, les chercheurs qui s'extasient -à raison- devant les possibilités de travail offertes par le numérique. Les érudits aiment la toile pour ce qu'elle leur permet de voyager dans les siècles précédents avec un luxe de détails et d'instantanéité prodigieux. Soit. 

Mais encore une fois, en regardant nos valises gonflées de livres, en regardant ces sacs d'illustrés que l'on donne et tous nos livres que l'on prête, rappelons nous que le débat sur l'objet livre biaise la question de fond: celle de la curiosité pour les livres. Les essais se vendent en singeant les journaux, mais les romans ne peuvent se grimer de la sorte. Ils n'ont pour s'en sortir que la foi des hommes dans le besoin de fiction. Cette croyance mérite que l'on s'attelle au prosélytisme, car une humanité d'impies du roman serait triste à mourir.

Commentaires

merci cher Castor pour ce lien établi avec les bibliothèques...J'ai aussi écouté ce samedi l'émission de Finkielkraut...mais vous avez raison, le hic est du côté du désir de lire, la soif de fiction et de récit...de ce qui se passe pour l'homme sans cette solitude de lecteur..je relisai hier Le grand incendie de Londres de Jacques Roubaud et notamment le passage où il se décrit comme liseur...on voit bien que c'est une façon d'être au monde...je vous le conseille!!!un poids de plus dans votre valise!!!!

Écrit par : valerie Rouxel | 16/07/2012

Si c'est Roubaud, c'est pour la bonne cause, je suis prêt à alourdir encore un peu la valise ! Bel été à vous aussi

Écrit par : Castor Junior | 16/07/2012

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