28/05/2013
L'économie contre les nuls
C'est un livre à part. Un livre d'économie sans chiffres, sans benchmark, sans référence aux taux de change, à la fiscalité modulatoire ou à la relance par la déflation. Pour autant, l'ouvrage repose sur une bibliographie imposante et sur des comparaisons plus qu'intéressantes. L'auteur n'est pas un illuminé, mais un conseiller de banque publique Tchèque, ancien conseiller économique de Vaclav Havel et universitaire. Et il n'en peut mais de l'uniformité de ses collègues, alors il a décidé de prendre du champ et de repenser ce qui fait son quotidien, persuadé que l'économie est une science trop sérieuse pour être laissée toute entière aux mathématiques.
Aussi, Plutôt que de comparer la fiscalité vers l'export du Guatemala, du Mexique de la Suède, de l'Allemagne et des Etats-Unis, Tomas Sedlacek interroge la Bible, les textes hébraïques (pas les fondamentaux de l'Islam, bizarrement), la philosophie grecque où encore les mythes fondateurs de l'humanité comme Gilgamesh.
Son objet est de montrer, à rebours de la doxa actuelle, que l'économie n'est pas une science visant à maximiser le profit et le croissance, mais une lutte entre le bien et le mal, lutte séculaire qui a beaucoup moins cours aujourd'hui que la pensée mainstream avec religion de la croissance s'est répandue sur le globe.
Le passage sur la dette m'a particulièrement intéressé. Il y montre comment nos dirigeants européens (heureusement qu'il ne parle pas des US...) font l'alpha et l'oméga de leurs politiques l'idée d'atteindre un déficit de 3%. Non mais imagine-t-on un banquier qui regarde vos comptes et voit que vous gagnez chaque année 1000 et qui vous fixe comme objectif de ne dépenser "que" 1030. C'est pourtant ce qui se passe dans nos pays depuis bientôt 40 ans. Le résultat est connu : l'humanité n'a jamais produit autant de richesses, pour des résultats beaucoup plus modestes en termes de progrès humain. En cause, selon l'auteur, cette "religion" de la croissance qui ne mène pas vers le bonheur. Nous avons vraiment appris à désirer des choses inutiles, nous avons mis tous nos efforts à faire accroître artificiellement (via la dette) le PIB sans réfléchir aux conséquences de l'accumulation en vain...
L'auteur constate que tout barre en couilles depuis 40 ans et que, même lorsque nous dégageons des excédents colossaux comme entre 2001 et 2008, nous continuons de nous endetter massivement... Pour finalement exploser sur le mur de la dette publique. D'où le fait que nous allons nécessairement devoir penser autrement et réintroduire de la philosophie dans l'économie. Il ne dit pas de la "morale" car le terme a été vidé de sa substance par les tentatives désuètes de "moralisation de la finance". En revanche, il rappelle que l'économie s'est historiquement constitué sur une lutte du bien et du mal et que les économistes actuels semblent bizarrement bloquer sur Smith et Mandeville plutôt que de revenir vers Kant.
C'est un livre qui fait du bien, qui nous élève et nous rafraîchit. Après, le conseiller économique d'Hollande, Emmanuel Macron, fut l'assistant du grand philosophe Ricoeur. Et ce dernier, bien que frotté de culture philosophique semble bien éloigné des préceptes de Sedlacek... Ce n'est pas une raison pour baisser les bras.
07:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/05/2013
L'étrange cri pour tous
"Hiroshima mon amour, pourquoi pas Auschwitz mon loulou" ? Ainsi Desproges raillait Duras. Que penserait-il de cet étrange cri de la manif pour tous ? Après tout, qu'une partie du pays gueule contre ce qu'ils croient être une atteinte à leur idéal de vie, pourquoi pas. Mais la durée de ce mouvement et surtout son ampleur dépassent à l'évidence le noyau d'illuminés qui croient sincèrement que l'Armageddon nous guette.
On ne peut évidemment être favorable aux manifestations lorsqu'elles sont dans un camp et les mépriser lorsqu'elles sont de celui d'en face. Soit. Mais lorsque les sans-papiers, les chômeurs, ou les salariés inquiets pour leur avenir manifestent, ils sont tous concernés. Venez à un défilé de 1er mai hors contexte présidentiel et vous ne verrez que des masses de plus en plus clairsemées et concernées au plus haut point par leurs revendications. Bon.
Ce dimanche, on nous annonce des centaines de milliers de personnes. Est-ce sérieux d'envisager que ces cohortes de marcheurs sont vraiment intimement persuadés que la loi qui a été voté, et même entérinée par le Conseil Constitutionnel, pourrait être retoquée ? Non, bien sûr. Alors pourquoi marchent-ils ? Parce qu'ils craignent les "changements de civilisation". Nous aurions donc des centaines de milliers de personnes intimement, tripalement convaincues que la face de la France va changer avec cette loi ? C'est étonnant, quand même, l'emphase. Etonnant et stérile. Cette année, j'ai donné des cours de rhétorique politique avec un chouette garçon de mon âge, mais du bord opposé. L'idée était d'apprendre aux têtes blondes à emprunter la langue et les arguments de l'ennemi. Montrer que sur tous les sujets, on peut toujours trouver deux approches, deux biais (un penseur MODEM amènerait une troisième voie, mais c'est demander trop de sagesse aux étudiants et trop de travail aux enseignants....). Nous avons passé en revue bien des sujets, immémoriaux comme d'actualité (de la gratuité de la santé et de l'école au cumul des mandats ou au droit de vote des étrangers), mais nous avons spontanément rayé celui là. Trop bête. Il n'y a pas un argument de ceux qui défilent demain qui tiennent la route une minute. Je parle de la loi. Sur la PMA et la GPA, on pourrait disserter, mais c'est une loi de bioéthique. Pour le reste...
Le mariage ? Qui est encore arc bouté sur cette fête au point d'en faire un privilège pour hétérosexuels ? Pas sérieux. Suivant. Les seules imbéciles qui ont de "l'Union civile" plein la bouche sont des hypocrites confits. Une institution le mariage ? Verlaine et Gide (et André Bettencourt....) n'étaient-ils pas mariés ? Pas sérieux, vraiment.
L'adoption ? Pour avoir un grand frère adopté, je puis attester que les demandes de l'administration et les enquêtes sont lourdes. Les parents adoptants ont infiniment moins de chances d'être maltraitants que les naturels.
La filiation ? Mais les standards d'associations pour enfants maltraités et abusés sont pleins d'appels émanant d'enfant issus d'union hétérosexuels. Tous les scandales pédophiles, tous les enfants battus ou tyrannisés ne sont pas des fils d'homos, à ce que je sache. La représentation archétypale papa-maman est sans doute rassurante, mais elle ne constitue en rien un garde fou.
Bref, tout cela ne tient pas debout et pourtant eux, ce peuple bafoué se tient sur ses ergots. Des centaines de milliers de personnes continueront de hurler, d'expectorer des slogans ineptes. Ils ne se battent pas pour conquérir des droits, mais pour empêcher d'autres personnes d'y accéder. Pourraient-ils alors marcher dans la rue pour demander le retrait de la CMU ? De l'Aide Médicale d'Etat ? Défileraient-ils en masse pour demander l'abrogation des ZEP et des "passe droits" pour les élèves de classes défavorisées ? Renverseront-ils les avenues pour demander l'abrogation du principe de HLM, exigeant ainsi que tout le monde se loge dans le parc privé ? Que n'envahissent-ils les boulevards pour demander à François Hollande de supprimer la retraite par répartition ? Ca ne tient pas debout ? Mais leur mouvement non plus ! Regardez ces milliers de personnes défiler contre un régime qui applique à la lettre leur programme économique et de lutte contre l'insécurité. Il ne leur reste que ce misérable petit étendard, cet ultime drapeau de la révolte. C'est assez pathétique, ce petit cri pour tous.
Quand le temps aura passé, je leur souhaite bien du courage à tous pour expliquer leur grande épopée à leurs enfants : "on s'est battus pour empêcher d'avoir une France aux mains des pédés". Non, vraiment, quel étrange cri...
08:49 | Lien permanent | Commentaires (4)
25/05/2013
Esthétique sans éthique n'est que ruine de l'homme
Si vous tapez Gilles Lipovestky sur Google, les avis divergent, mais abondent. Tranchés. Gourou ayant tout compris de l'air du temps, entomologiste du contemporain, il est célébré pour ses analyses de la consommation et des industries éphémères. Pour les autres, c'est un faussaire qui n'a rien à faire dans les prestigieuses collections universitaires de Gallimard.
Je pencherais clairement plus pour les seconds, tant ses précédents livres, "l'empire de l'éphémère" ou "l'ère du vide" m'ont paru creux, prétentieux et vain. Il n'y a pas de thèse, pas de critique -positive ou négative- chez Lipovetsky. Pour autant, c'est loin d'être inintéressant. Il manie cette fameuse écriture blanche chère à Houellbecq. Il partage avec ce dernier le fait d'être un faussaire. Mais il cache mieux la contrefaçon que le romancier : il déverse des tombereaux d'anecdotes, de chiffres, nous assomme sous des pluies d'études et de références pour étayer ses propos.
Là, ce qu'il tend à montrer c'est que le capitalisme a cherché à tout esthétiser pour parvenir à continuer à se vendre. Dans l'idéologie communiste, l'esthétique devait être gommée. Grosses avenues, immeubles identiques et grosses voitures, dans les supermarchés, les mêmes produits à l'infini. Ainsi, le citoyen n'est pas perverti dans son choix par le pernicieux du design, mais choisit les produits pour leur caractère utilitaire. Dans le modèle capitaliste, tous les produits sont en concurrence les uns avec les autres et tout doit se vendre de la façon la plus artisitique. De la robe fourreau à la bouteille de Coca redessinée par Karl Lagerfeld ou aux sièges SNCF revisités par Christian Lacroix, tout doit être vendu à l'aune de la dimension artistique de l'objet. Nos rayonnages de supermarchés regorgent de cela. Les entrepreneurs sont de plus en plus souvent dépeints en artistes, d'ailleurs.
Là où il devient difficile de suivre Lipovestky c'est qu'il ne va nulle part. Il se contente d'aligner les cahiers de tendances sans porter de regard dessus. Ainsi va le capitalisme, semble-t-il nous dire. L'homme n'est pas idiot et sait pourtant que cette quête folle vers de l'inutile pousse une part croissante de la population à s'endetter pour acheter de l'éphémère et du vain au détriment de l'essentiel. Des millions de foyers renonce aux soins dentaires ou optiques, n'achètent plus de viande ou de poisson, mais se ruinent pour des Nike Air, des écrans plats ou du câble avec sport en continu. En cela le capitalisme assoit et renforce les inégalités quand Lipovetsky, fielleux, prétend l'inverse. Il nous explique que le capitalisme se nourrit de l'égalité : égalité d'envie d'industrie culturelles, égalité de pratiques. Tout le monde va au cinéma, aux musées, dans les "concept stores" tout le monde achète du design, c'est le miracle consumériste qui a battu Marx ! Est-ce bien sérieux ? D'une part, il ne se hasarde jamais à porter un regard qualitatif, le "quoi" et le "comment" n'intéressent pas Lipovetsky, cet obsédé du "combien". Ensuite, il feint d'ignorer ceux qui consomment par choix et ceux qui le font par défaut.
En clair, esthétique sans éthique n'est que ruine de l'homme devrait avancer l'essayiste. Lipovestky préfère nous parler du triomphe de l'esthétique, et il est convié à grands frais pour en parler aux industriels du luxe. Grand bien lui fasse...
08:46 | Lien permanent | Commentaires (1)