30/04/2013
Maison Potemkine de la Radio
Ne boudons pas notre plaisir, c'est un très bon film. Amusant, drôle, décalé et plein d'humanité. Je suis sûr qu'il existe des tonnes de notes ou de commentaires des spectateurs sur les sites de ciné pour dire à quel point le documentaire de Nicolas Philibert, "La maison de la radio" est réjouissant. Il montre la diversité de ce qui se dit, se passe, se produit, se crée et se transforme dans ce bâtiment culte de la radiophonie française.
De la musique, de l'info, de la création artistique et des interviews décalées. Quelques reportages (peu) et beaucoup de sons, non vraiment, on s'amuse, on rit beaucoup, on sourit souvent. Et Nicolas Philibert veut que l'on ne garde que cela. A-t-il tort ? Son film serait-il plus intéressant, plus beau ou plus juste s'il montrait une Maison de la Radio moins unie dans la joie de produire de l'info ? C'est un pur débat éthique, car en termes esthétique encore une dernière fois, ce film se regarder avec un plaisir plus que grand.
Néanmoins, je m'en voudrais de ne pas jouer l'arbitre des élégances cinématographiques, ou plutôt des élégances de montage... Car il a du en filmer des engueulades, être témoin de coups de pression, d'intimidations et d'humiliations ordinaires qu'il a refoulé pour ne pas dénaturer son merveilleux village Potemkine de la radio. Cette maison est en proie à des grèves plus fréquentes que les incidents dans le métro, de licenciements express de rédac chefs et de chroniqueurs, mais pas une image de cette triste réalité n'a filtré. Rien. Le seul agent perturbant la vie des salariés est le bruit des travaux. Commode l'agent extérieur. Une hypocrisie sans nom trouvé dans le dossier de presse voudrait que le film incarne une journée de programme à la Maison de la Radio. Alors vous comprenez, pourquoi montrer ces histoires en seulement 24h ? Mais il y est resté des mois avec ses caméras dans cette maison gauloise où l'engueulade est un sport national. Sans entrer dans le secret des chefs, il a du en croiser du chroniqueur en larmes, du producteur à qui l'on annonce que les moyens pour produire ses oeuvres de fiction sont amputés, des techniciens en contrat précaire non reconduits. Rien ? Rien de tout cela quand on sait encore une fois que Radio France est souvent cité comme patron voyou avec son écrasante majorité de contrats léonins permettant une plus grande valse du jour au lendemain (avec quelques contre exemples choquants comme les émoluments dingues touchés par Guillon et Porte après avoir été viré. Une sorte d'indécence inversée).
Enfin, on ne voit rien de ces choix invisibles qui hiérarchisent l'info, cette matière non neutre. Des 4 stations de la maison (Bleu, Info, Inter & Culture) c'est Inter qui a les préférences de Philibert et là encore, jamais il ne pointe les divergences, les débats entre les salariés de la station. Alors que chaque auditeur (et nous sommes des millions) entend chaque jour cet insupportable glissement vers les pages 8 à 12 du Parisien et les fils de dépêches de faits divers de l'AFP... Sans même parler des lignes politiques avec quelle personnalités publiques sont invités, la façon de traiter l'info, de plus en plus brute, asséchée et sensationnelle n'est jamais abordée. Dommage.
Au final, Jean-Luc Hees et les patrons de la maison peuvent être heureux, on ressort de cet 1H45 avec l'envie folle de faire de la radio et de rejoindre cette joyeuse bande. C'est en me faisant cette réflexion, tout à mes rêves de chroniqueur extatique dans cette maison du bonheur que j'ai réalisé qu'on s'était bien foutu de ma gueule. Légère gueule de bois après une belle ivresse visuelle.
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28/04/2013
Une douche, un sourire et tout va bien ?
L'extension inexorable du chômage ne doit pas éluder la qualité du travail pour ceux qui ont la chance d'en avoir un. Depuis quelques années, des études et autres prix viennent récompenser les boîtes allant à l'encontre des mauvaises pratiques. On ne compte plus les baromètres et autres indicateurs de bien être et évidemment le Graal absolu, qui ne peut se dire qu'en anglais : le trophée de Great Place To Work. Quand ta boîte est là super place pour travailler, là, tu te dis que vraiment la vie est belle et tous tes copains vont t'envier. Bon, retournons le sablier.
Que se passe-t-il côté obscur ? Pas ce que l'on lit dans les journaux, le sensationnel, les suicides où le harcèlement. Non, l'ordinaire pour reprendre un thème qui me tient à coeur. Ce qui ne défraie pas la chronique, mais lacère le quotidien au point de le rendre pénible jusqu'à l'écoeurement. Ce qui fait que le lundi est une souffrance et le vendredi une libération. Une vaste enquête a été menée auprès de plus de 600 salariés. Puisque le graphique à gauche ne s'affiche pas bien, on le retrouve là. La question posée était celle des principaux reproches faits à l'incontournable "voisin de bureau". Je m'attendais à retrouver l'humiliation, l'abus d'autorité, la mauvaise entente, l'absence de reconnaissance ou encore la légendaire langue de pute. Bah non. Deux réponses écrasent tout le reste. 32%, "problème d'hygiène", 29% "se plaint trop". Etonnant, non ?
Je me souviens que la première fois que je suis allé aux Etats-Unis, la responsable de notre groupe de jeunes nous avait conseillé d'essayer de prendre une douche par jour car les français ont une réputation épouvantable. Nous étions pantois, mais 20 ans après, je vois que la responsable connaissait mieux les travers hexagonaux que moi. Seconde tare, nos amis saxons disent "never explain, never complain", et force est de reconnaître que le lamento entrave moins les discussions avec nos amis de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique. Les yankees eux, nous exaspèrent parfois avec leur gentillesse proverbiale quand notre gauloiserie se révèle dans la gueulante. Trop, apparemment.
Aussi, plutôt que d'importer d'improbables concepts de management peu compatibles avec notre ADN, il nous suffirait de prendre deux bonnes pratiques (faut-il dire "best practices") : une douche et un sourire. En ces temps de raréfaction des finances, en voilà une nouvelle qu'elle est bonne, ça ne coûtera pas grand chose...
Demain, nous reviendrons sur l'excellent La société comme verdict, suite du non moins excellent Retour à Reims de Didier Eribon.
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27/04/2013
Qui serait otage d'une grève de l'engagement ?
Jeudi soir, lors d'un débat enlevé, le fondateur d'une très belle assoc, Passerelles & Compétences, Patrick Bertrand a eu cette idée iconoclaste : une journée de grève de l'engagement.
Pour aller à rebours du discours dominant sur le trop plein de subventions, le trop d'avantage fiscal, le trop de gens qui ne se bougent pas assez le cul et se planquent dans des assocs. Il faut imaginer ce qui se passerait dans le pays si le 1 million et quelques d'associations et les 16 millions de bénévoles cessaient leurs activités pendant 24h. J'aimerais voir ce que serait la couverture médiatique de cet événement, attendu que lorsque les cheminots SNCF de la RATP ou les aiguilleurs du ciel se mettent en grève, on nous explique doctement que le pays est pris en otage.
Aussi pénible que soit une journée sans transport, aussi irritant soit ce sentiment d'immobilisme, est-ce vraiment grave comparée à ce que seraient 24h sans maraude, sans écoute pour les plus vulnérables, sans dons alimentaires pour ceux qui ne peuvent acheter à manger ? Sans soin, sans "care", sans culture et sport dans certaines zones ne disposant pas des équipements ou institutions nécessaires ? Là, devant le marasme dans lequel le pays serait plongé, sans doute les pouvoirs publics seraient-ils contraints de reconnaître le rôle majeur, incontournable, des associations. De toutes ces missions accomplies chaque jour sans trompette ni flonsflons. Les entreprises réaliseraient de leur côté que les associations tissent au quotidien les relations, les liens, distendus par des rythmes professionnels de plus en plus tendus, de plus en plus englobants. Comme le faisait finement remarquer le sociologue Camille Peugny, en substance et pas précisément "le care permet, à moindre frais, aux hauts potentiels du pays de continuer à tenir leur rythme de vie dingue". En gros, lorsqu'on passe le plus clair de son temps au boulot, il faut bien des gens pour nettoyer chez soi, s'occuper des enfants et prendre soin des désordres de la cité pour qu'elle soit présentable lorsque l'on sort, enfin, de son bureau.
Ce constat du rôle archi central des associations me semble tellement aller de soi qu'une grève me paraît superflu et pourtant, force est de constater que de nombreuses personnes, de très nombreuses personnes, doutent encore. Reste donc à voir dans le calendrier la journée idoine...
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