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30/04/2016

La logique anorexique des libéraux

1186057027_B975031479Z.1_20150316124408_000_G9H45L03L.1-0.jpg"Le problème de la France, ce sont les 57 % du PIB que représentent les dépenses publiques. C’est un taux presque soviétique, quand l’Europe tourne à 47%" ainsi parle Philipp Hildebrand, vice-président de BlackRock, le premier gestionnaire d’actifs dans le monde et modérément fan du modèle social français. Ce qui est ennuyeux, c'est que l'article paraît dans le Monde, une pleine demie page où l'on accorde tout le sérieux (j'allais écrire le "crédit") à cet entretien. Une rapide règle de trois nous apprend que la France est 20% au dessus de la moyenne européenne. Comment y voir un drame et pas un modèle juste un peu différent ? On regarde l'Allemagne, mais on peut aussi voir le Danemark, la Suède, la Finlande ou la Norvège, pays qui vont fort bien. Surtout, on parle d'un écart semblable à une copie avec 14 et une autre avec 12.

Qui a déjà fait l'expérience de corriger des copies sait bien toute la subjectivité qu'il y a sur une fine démarcation comme celle-ci. D'humeur non égale, on pourrait aisément inverser les notes. Lorsque l'on hésite entre deux paires de chaussures, de deux vestes, de deux restaurants, un écart de cet ordre n'est pas toujours dirimant. On ne parle pas d'un écart incommensurable entre un relais routier et un étoilé Michelin, mais de deux échoppes d'un même quartier. Appliquée à la mondialisation, on compare souvent des choses ineptes : certes, la France a un coût du travail supérieur à celui du Vietnam. Doit-on se le reprocher ? Non. Cela, il est généralement admis que l'écart colossal entre les pays ne sera pas résolu. Mais entre la France et l'Allemagne, et l'Angleterre, on parle d'interstices, de marges, de détails. Autant d'éléments d'évaluations pour lesquels on devrait passer outre, se contenter de les prendre comme une donnée. Mais non, l'obsession comparative des libéraux fait que l'on considère ces écarts comme autant d'excès intolérables. Exactement comme dans la même logique que l'anorexie, en réalité, où il s'agit de maigrir coûte que coûte en dépit de la réalité corporelle. Les anorexiques ont sans cesse l'impression d'être obèse quand bien même ils sont à la limite de la défaillance tant ils sont décharnés.

Cette allégorie de l'obésité est courante dans la novlangue libérale comme l'a magistralement démontré ALain Erhenberg dans "le culte de la performance". Haro sur le gras, sauf si vous êtes vraiment doué et riche.  Peu de monde pour chatouiller feu Christophe de Margerie sur ses rotondités. Mais les nouveaux grands chefs du CAC 40 ressemblent tous à des athlètes confirmés. L'athlète devient d'ailleurs le nouveau héros des années 80 avec ce corps sculpté et dépourvu de toute pellicule de graisse. Aux tennismen poupins des années 80 et 90 succèdent Nadal et Djokovic, esclaves de la salle de sport, avec fonte, tapis et sans gluten. On en fait des héros, ce qui interroge, mais on en fait surtout des modèles à suivre, ce qui est déplorable. 

Cette lutte acharnée contre le gras finira mal : si l'on reprend la logique anorexique où le corps social ne s'estimera magnifique et magnifié que dépourvu de tout, arrivé à l'os, le risque de mort est grand. Oublions les mannequins photosphopés et les comptes sociaux maquillés. Le gras, c'est la vie. 

 

 

 

 

27/04/2016

Et si le prélèvement à la source nous réconciliait avec l'impôt ?

impot_Descary_Descary.jpgDepuis quelques semaines, les boîtes aux lettres de 46% des français se sont garnies d'une déclaration d'impôts. Ca n'est pas assez. Comment faire comprendre l'intérêt général, l'effort de tous, si moins de la moitié paye l'impôt sur le revenu ? Je n'en reviens toujours pas de voir les efforts déployés par le gouvernement de Manuel Valls pour diminuer le nombre de personnes qui s'en acquittent.

S'il le fait, c'est qu'il y a un abîme entre la perception publique de l'impôt et sa réalité sonnante et trébuchante. Il rapporte aujourd'hui exactement la moitié de la complètement aveugle TVA. Qui pense qu'il contribue aux écoles, aux hôpitaux, aux forces de l'ordre et de justice, en s'acquittant des 50 euros de TVA liés à un achat électroménager ? De fait, au travers de cette TVA, des personnes n'ayant pour survivre que le modeste RSA, des personnes âgées démunies au minimum vieillesse ou des personnes en situation de handicap titulaires de l'AAH s'acquittent tout de même d'un effort pour la collectivité en faisant des courses. Pour autant, puisqu'elles ne payent pas d'impôts sur le revenu, elles ne peuvent s'estimer pleinement accomplies d'un point de vue citoyen, comme si on leur contestait une partie de leur identité républicaine.   

Et pour les 46% de cotisants, le divorce est toujours larvé. 60% des français estiment que leurs impôts sont correctement utilisés. On voit bien tous les biais qu'il peut y avoir dans la façon de poser la question. Personnellement, j'aurais pu rejoindre les 40% de mécontents quand bien même je suis prêt à cotiser davantage. Ca n'est pas une attitude paradoxale, voire schizophrénique, mais plutôt une attente très forte de ce que doit être l'action publique. Or, on peut sans se faire traiter de gauchiste irresponsable, estimer que les serviteurs de l'Etat n'ont pas bénéficié d'améliorations mirobolantes depuis 2012 et que la hausse des impôts sur les particuliers n'a pas été suivie d'effet pour la collectivité. 

Au-delà des montants, la temporalité de la collecte n'est pas faite pour nous réconcilier. Cette année de décalage suscite bien souvent du mécontentement. Si vous avez connu une chute de vos revenus l'année précédente, la pause voire le remboursement d'une part de vos impôts n'éclipse pas l'amertume de la baisse. Et vous ne vous en rendez pas compte. En revanche, si vous êtes dans une spirale fortement ascendante, le rattrapage fiscal que l'état vous somme de compléter en septembre de l'année suivante vous fait hurler : vous avez oublié, intégré, digéré cette hausse depuis longtemps et cette compensation juste d'un point de vue comptable, vous paraît nécessairement indue. Et au retour des vacances de surcroît... Près de la moitié des français ne peuvent partir en vacances estivales, une carte qui ne recoupe pas à l'identique celle des foyers fiscalisés (si vous avez une maison de famille ou des amis avec ce genre de demeure, vous pouvez partir sans revenus ; mais ça n'est pas la majorité du genre, les inégalités se cumulant, ceux qui bénéficient de ce genre de relations ont aussi souvent un capital financier...) mais qui s'en approche fortement. Une carte de France des courroucés, donc. Et il est plus facile d'agir sur la date de la récolte que sur le montant d'icelle. 

En week-end avec une amie danoise, nous discutâmes de nos systèmes respectifs. Elle m'expliquait que le prélèvement à la source avait le mérite de couper court aux débats sur la lourdeur des charges. Laquelle est bien plus conséquente dans le royaume que l'on dit pourri que par chez nous. Mais suscite beaucoup moins de grognements de la part des habitants car ils sont débités (ponctionnés dirait-on en France) à la source, ce qui a le mérite de couper l'herbe sous le pied aux débats ineptes et d'éviter les effets de hoquets fiscaux. Forcément, quand vous avez amassé des tas de pièces, vous ne pouvez pas comprendre que l'on vienne vous rechercher par la suite. D'où l'importance vraiment cruciale de la mesure qui n'appelle qu'un correctif annuel pour toutes les professions indépendantes et libérales pour qui l'estimation sourcée est souvent sujette à ajustements. Mais tout de même, si l'on réussissait à instiller, à généraliser cela, on pourrait aussi jouer sur les revenus indécents et ineptes des grands patrons, les cachets des stars et des sportifs en les prélevant dès le début, avant que les ingénieurs fiscaux les plus pointus et audacieux n'aient eu le temps de démontrer l'efficacité de leurs services et leur imagination sans limite pour limiter justement, la part dont leurs client s'acquittent pour le bien commun. 

Apaiser une majorité de citoyens + réduire des inégalités et lutter contre la fraude, gageons que si c'est bien fait, les mérites liés à cette mesure d'apparence technique seront immenses. Et cette réforme bien moins anodine qu'on pourrait le croire pourrait au contraire amorcer une réconciliation entre citoyens et politique.

(Mon naturel cynique et désabusé me fait croire que les effets pervers se multiplieront et que les digues de contournement s'érigeront bien vite pour éviter que les plus fortunés ne cotisent dûment, mais bon, sans doute est-ce la longueur de l'hiver, j'en ai marre de voir tout en noir).  

 

 

19/04/2016

Couper n'est pas interviewer

picto-couper.pngLéa Salamé,Léa Salamé,Léa Salamé,Léa Salamé,Léa Salamé... Voilà ce qu'une partie du landerneau communicant a retenu de la prestation télévisée de François Hollande, jeudi. Evitons le débat révélé par le Canard Enchaîné pour savoir si la journaliste a pu remplacer Nathalie St Cricq au motif qu'elle serait plus "sexy" que sa collègue pour revenir au "style" Salamé. Elle est mal élevée, pleine de morgue, relativement inculte même si très infatuée et ivre de son vernis, mais comme elle jappe sans cesse sur son interlocuteur cela donne dans le ronron médiatique : "Léa Salamé, une journaliste à l'anglo saxonne, franche et directe". Ha bon ? 

Je ne regrette pas Alain Duhamel et Arlette Chabot comme intervieweurs politiques, mais tout de même. Leur tort était sans conteste une certaine complaisance avec leurs invités, un journalisme de révérence. Certes. Mais au moins avaient-ils l'avantage de laisser leurs invités dérouler une pensée, expliquer un propos. Alors qu'aujourd'hui, l'accélération des interviews fait qu'on case un maximum de sujets en un minimum de temps et le journaliste starifié (ce qui est un contre sens ontologique) se sait observer et en fait des caisses pour être remarqué, adulé, chouchouté. D'où le mattraquage sur les interviews de Bourdin qui "ne lâche pas" ses interviewés. Mais avec ses 13 ou 14 sujets traités en moyenne en 20 minutes, qui peut penser sincèrement qu'il peut sortir de cette interview autre chose qu'un bon mot ?

Le problème tient à la starisation de l'intervieweur qui se sait épié et veut négocier ses émoluments à l'aune de la présence qu'il prend. Et donc à sa capacité à démolir l'interviewé. Ruquier, de ce point de vue là, a joué un rôle néfaste en starisant un duo de Bouvard et Pécuchet et en les poussant à surenchérir dans le grinçant, dans le fracassant. Nombre d'autres émissions politiques se sont alignés sur ces standards d'intervieweurs en bourreaux...

L'entretien musclé, tendu et peu amène pour Marine le Pen lors de sa tournée récente au Québec est de ce point de vue un excellent exemple. Pendant 32 minutes, la journaliste québécuoise écoute son invitée et la découpe proprement à chaque fois qu'elle relance par une nouvelle question. Sans couper la parole. CQDF (c'est le Québec qui dessine pour la France). Voilà une interview à diffuser dans les écoles de journalisme pour montrer qu'on peut être plus effacé à l'écran et beaucoup plus présent dans les cerveaux. Ca vaut la peine de le tenter.

Après l'émission, je croisais un ami sourd qui a fait beaucoup de lobbying pour sous-titrer l'ensemble des programmes à la télévision, y compris les débats en direct. A propos de l'émission où le Président était sans cesse coupé, il me dit que c'était, sans surprise, inregardable. La tragique illustration de l'expression populaire "un dialogue de sourds" montre bien que ce qui est mauvais pour les malentendants l'est pour tout le monde...