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31/07/2017

Ni de droite, ni de gauche : ploutocrate

download.jpgPendant la campagne, on nous serinait "ne faites pas attention, ce sont des promesses de campagne, c'est pour parler plus large et ne pas effrayer la droite". À la formation du gouvernement et à l'annonce des premiers textes, on nous a dit "pas de procès d'intention, il n'y a encore rien de fait". Mais maintenant que les textes sont là et passent, on a le droit de parler de ce qui a été fait, non ?

3 milliards d'exemption fiscales pour les 3 000 familles les plus riches de France d'un côté, baisses des APL, suppression de 180 millions de crédits destinés à créer 12 000 HLM, baisse violente du budget de la politique de la ville, tout autant de celui du droit des femmes de l'autre : à chaque fois, les publics les plus fragiles trinquent. Pour les 6 millions de fonctionnaires, l'huile de ricin au menu : suppression du jour de carence, gel du point d'indice, 120 000 suppressions de postes comme objectif du quinquennat et hausse de la CSG sans contrepartie de cotisations contrairement aux salariés du privé... Mazette... Ha, mais les salariés du privé, avec cette hausse de CSG compensée sont gagnants, alors ? Pensez-vous. L'Express, pas exactement l'organe officielle des travailleurs, nous apprend le 30 juillet au soir qu'après la consultations des syndicats, les premières ordonnances sur la loi travail comportent au moins 6 nouvelles pour les salariés, licenciables plus facilement, moins protégés, moins rémunérés en cas d'abus, des délais de contestation raccourcis, ad nauseam...

Deux derniers exemples pour la route (mais Macron ne dispose d'un gouvernement que depuis deux mois, tant de mesures détestables en si peu de temps force le respect). D'abord, une mesure passée relativement inaperçue, mais qui en dit long sur la philosophie macroniste : la réforme du droit à l'erreur. Désormais, à part de très graves fraudes (détournement de fonds, blanchiment d'argent...) changement à 180° dans la charge de la preuve : l'entreprise "oublieuse" de payer ses cotisations n'aura plus à prouver sa bonne foi, mais s'acquittera simplement du montant de ses omissions successives... Pas vu, pas pris. Vu, tu payes ce que tu dois légalement... On se pince tant c'est gros, et tant l'absence de seuil et de garde fou risque de laisser de la place à nombre de carabistouilles... Et c'était donc l'urgence de Macron que de passer ce texte dégueulasse. Et une dernière donc : l'étranglement incompréhensible des agriculteurs bios. Les malheureux, 5% des agriculteurs français ne perçoivent déjà que 2,2% des subventions publiques, un ratio incompréhensible tant l'avenir ne peut être QUE avec ces techniques. Mais non, c'était encore trop pour les lobbys des céréaliers, de l'agro business, de la FNSEA et autres poignées de ploutocrates agricoles masquant une écrasante majorité en proie à la misère, fin des subventions agricoles...

Je pensais déjà que le fanatisme libéral de Macron en ferait le président le plus à droite de l'histoire, mais pas à ce point. Je savais que ses amitiés, son sérail composé de margoulins financiers et autres capitaines spécialistes de l'optimisation fiscale, lesquels n'appellent que des retours d'ascenseurs sans contreparties électorales. Je savais ça, mais je ne pensais pas qu'il serait décomplexé à ce point...
 
Sarkozy avait le RSA pour compenser le paquet fiscal, Hollande les embauches de profs pour faire oublier le CICE : les sociaux libéraux donnent toujours une obole au peuple pour faire passer le tonneau qu'ils leur volent pour le donner aux -déjà- possédants. Mais là, c'est tonneau ET obole pour les possédants. Hallucinant. Sur le sécuritaire, idem, on chasse les migrants, Macron dit même qu'il "ne veut plus en voir dans les rues". Il se trouve que moi aussi, sauf que dans le même temps, Macron refuse de donner des moyens pour l'accueil et l'hébergement d'urgence : en clair, dehors, cachez cette misère que les investisseurs ne sauraient voir. C'est fou.
 
On a beaucoup glosé sur la visite de Rihanna et celle de Bono, le problème n'est pas la venue de ces personnalités (encore que, pour quelqu'un qui voulait rehausser la fonction présidentielle...) mais bien le fait que les budgets de l'aide au développement, de l'action culturelle de la France à l'étranger connaissent des purges sans précédent et que cela n'empêche pas le chef de l'Etat de plastronner à côté de ces deux courtisans. Symbole d'un pouvoir de néo versaillais, de ploutocrates aveugles à la douleur sociale.

 

23/07/2017

Amis libéraux, Stakhanov n'existait pas.

propagande_URSS_stakhanov.jpgDans un cadre enchanteur, à une heure où la morale fond comme le sucre dans le café, je devisais égalité professionnelle avec une grande patronne. Il y avait sans doute d'autres sujets, mais quelque chose me retenait de lui faire part de ma passion pour le panache de Romain Bardet ou mon amour écologiquement coupable du tartare. Cherchant les causes du problème inégalitaire, elle m'avança, sûre d'elle : "le problème c'est que le moment où nous voulons et pouvons faire des enfants est celui où il faut fournir des journées de travail de 14 heures". Du haut de cette saillie quelques siècles de patriarcat productiviste me contemplent avec goguenardise. 

Le couplet stakhanoviste est déjà suffisamment déprimant quand il émane d'hommes, mais si des femmes le reprennent à leur compte sans déconstruire le mythe, où va t'on (la réponse est assurée : dans le mur) ? La fameuse journée de quatorze heures, qui, pour les plus zélés, peut monter à 17 ou 18... Ceci, pour arriver au même résultat que le plus célèbre mineur d'URSS, capable de produire 14 fois la norme d'extraction de charbon. Et encore, Stakhanov avait au moins le bon goût d'être ultra productif et pas de rester dans les mines au-delà des horaires de tunnel. Six heures par jour, pas plus. Ne pas s'attarder, bonne vodka ne saurait attendre. Maintenant que le mur est tombé, on peut peut être s'avouer qu'il n'a jamais trop accompli les performances que lui prêtaient la Pravda ? Comment ces mythes de surproductivité, de bourreaux de travail qui peupleraient les étages les plus élevés des entreprises se transmettent-ils ? 

Je n'en sais rien, mais je continue à lire sans cesse cela dans les portraits médiatiques de grands fauves. Dans la vraie vie, j'en ai connu, mais peu. Et leur cas relevait clairement d'une longue et exigeante entreprise de décontamination pour rester poli. Tous les types (je pense surtout à des mâles) étaient de grands malades pourchassant leurs équipes de mails le 31 décembre à 19h et de relances le 1er à janvier à 11h du type "quand vas tu me répondre ?". C'est insane. Pour deux raisons. La première concerne le sujet dont je discutais avec ma commensale : comme l'a bien montré la dessinatrice Emma, l'auteure de la BD sur la "charge mentale", les hommes ont moins de problèmes à quitter le travail à 21h, non pas parce qu'ils ont plus de travail, mais parce qu'ils ne cherchent pas à rentrer à 18h. Outre qu'ils acceptent les réunions commençant à 18h, ils prennent plus de temps pour déjeuner, musarder, entretenir leurs réseaux. Leurs journées comportent peut être 14h loin de leurs maisons, mais ça ne sont pas 14h de travail. Et ce sont les femmes qui sont pénalisées par cette comédie des bataillons stakhanovistes, ce mythe pèse lourdement sur l'inachèvement de l'égalité femme/homme.

La seconde raison est plus pragmatique : personne ne peut être performant, efficace, utile, 14h par jour. A l'occasion, cela peut arriver. C'est un artiste finissant une oeuvre et pris par la fièvre créatrice, oublie l'existence d'une montre. Ce sont des forces de l'ordre, des pompiers ou des soignants qui restent mobilisés face à une crise sécuritaire ou sanitaire et qui tiendront tant que la population aura besoin d'eux. Passé cet épisode anormale, le besoin de repos se fait sentir et tout rentre dans l'ordre. Si ça n'est pas le cas, on les force à se shooter, à se doper pour tenir et le dopage humain est aussi bon dans la durée que les OGM dopant les légumes. Yummy... Nous en payons déjà le coût aujourd'hui avec les milliards dépensés en arrêts maladies, en incapacité à reprendre le travail, j'en passe et des pires... Dans une société où des millions de personnes n'ont pas d'emploi, quelle intelligence y a-t-il à glorifier le fait que quelques millions (4,3 millions de cadres en France, plus des paquets d'aspirants cadres et dans le lot, une bonne part contaminée par la propagande productiviste) en face beaucoup plus que leurs parts ? C'est inepte et insane. Essayons autre chose. 

16/07/2017

La bataille de l'attention sera éducative ou sera perdue

Hier j'ai posté une photo d'un restaurant où tous les commensaux sont équipés d'ordinateurs, sauf un qui lit le journal en version papier. Le papivore a l'air serein et débonnaire. Chenu, il appartient au monde d'avant et ça lui convient pleinement. Pour rien au monde il ne voudrait d'un ordinateur lui aussi. La tentation est forte d'en faire un enjeu générationnel et c'est plus que réducteur, faux.

Dans les années 80, déjà, les parents s'alarmaient de ce que leurs enfants utilisent des walkman, instrument qui "vous rend schizophrène" parce que certains ados le gardaient dans le salon, ou à table, se coupant de la conversation familiale. Chaque nouveauté technologique nomade permet à son utilisateur d'emporter son nouveau monde avec lui et de faire sécession avec celui qui l'entoure. Difficile de mettre un walkman et un smartphone sur un pied d'égalité en ce qui concerne la captation d'attention, pour autant. Relances incessantes, notifications, multiplications des fonctionnalités, le "colonialisme numérique" pour reprendre l'expression de l'essayiste italien Roberto Casati nous mange le cerveau avec une sollicitation toutes les dix secondes, en moyenne. Difficile de ne pas voir la montée en puissance de ces outils et leur cannibalisme sur notre bien le plus précieux, notre attention. A cause d'eux, comme l'a magistralement montré Johnatan Crarry, nous rongeons le sommeil pour consommer davantage d'écrans. C'est ce qui poussait le patron de Netflix, Reed Hastings a déclarer solennellement que "son seul concurrent, c'est le sommeil". Du coup, la question qui va se poser fortement c'est celle de notre résistance pour reprendre la main sur les horloges. Et cette résistance ne peut pas se faire en débranchant (que le type prêt à se passer d'Internet à jamais lève la main et accepte d'aller des examens cliniques...) mais en se rééduquant.

Ne pas accepter lâchement que ce nous voulons consommer comme informations ou fictions soit dictée par la production, mais de retourner à notre envie. J'ai passé quelques jours loin de Paris où une ado m'expliquait qu'elle lisait uniquement ce qu'elle trouvait de gratuit à télécharger sur son téléphone : des nouvelles de science fiction low cost... Ce parce que les livres étaient trop lourds à transporter.   

Pérec, déjà, observait que la lecture dans les transports en commun allait changer le mode d'écriture de nombreux auteurs : des chapitres courts, qui se lisent en quelques stations, plutôt que d'amples récits. Exit Guerre et Paix et les Misérables. Le succès colossal des séries peut être lu dans la même veine : 30 ou 50 minutes, c'est idéal pour un trajet en train, en RER. Tout le monde n'a pas 2h de cerveau disponible devant lui (après, il y a un autre public qui s'enfile les séries d'un coup, en "bingant" 6 heures d'un coup, mais c'est marginal par rapport à l'ensemble).

En somme, on nous fragmente le monde, on nous pousse à faire court, bref, à être des éjaculateurs précoces de l'esprit ; tu parles d'un projet de civilisation ! Aussi, résister, ça n'est pas revenir au papier coûte que coûte, ça serait aussi vain que de demander le retour du Minitel. C'est juste être capable de nier l'avantage technologique quelques heures. Maintenant que tout le monde s'est mis à courir, on vous incite à courir connecté : pour appeler si vous vous perdez, pour enregistrer vos performances et autres fadaises... Au contraire, courir sans laisse électronique c'est gouter à nouveau la joie de gourmet d'être injoignable une heure et de se concentrer sur son souffle et ses sensations dans les mollets plutôt que de demander la permission à un tableau de bord si on peut ou non accélérer. 

Des petits margoulins l'ont bien compris qui nous vendent des stages de déconnexion, de méditation, de mindfullness et de retour sur nous mêmes pour à peine 8 000 euros la semaine. Inutile de marchandiser une nouvelle fois notre attention en demandant à des intermédiaires ce que nous nous devons de faire nous mêmes et d'apprendre à nos proches et nos enfants : être au monde. Je vais de ce pays mettre en pratique en quittant cet écran pour retrouver un chef d'œuvre en papier, "le seigneur des porcheries".