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10/04/2010

Le suicide n'est pas simple comme un coup de fil...

Curieuse sensation en lisant les journaux. Bien sûr, j'étais le premier a faire des blagues sur France Télécom, faut pas se priver et c'était trop facile. Néanmoins, tirer sur une ambulance prête modérément à la gaudriole. Or, hier voilà que le parquet de Paris accepte d'ouvrir une enquête sur les 35 morts chez France Télécom. Je trouve ça triplement con mais surtout désespérant de déresponsbilisation de la société.

Commençons par reconnaître les torts de France Télécom: certes, l'opérateur historique a été extrêmement bousculé en dix ans changeant de métiers comme aucune autre entreprise en France. Néanmoins, cela ne justifie en rien des méthodes de management avec mobilité forcée indigne. Voilà c'est dit, pas bien France Télécom, en plus demande de rendement, exigence de productivité.... Atroce...

Néanmoins, quelques trucs me chiffonnent. En préambule, l'enquête porte sur 35 suicides liés au management... Résumer un acte aussi désespéré, aussi noir, aussi définitif que le suicide à un mal être au travail a quelque chose de vomitif. On connaît l'argument fallacieux "mais ils laissent des lettres sur leur lieu de travail". Pardon, mais jusqu'à preuve du contraire, on peut partir, démissionner, hurler, foutre un pain à son manager, personne n'est condamné au suicide à cause de son travail. N'importe quel imbécile de 18 ans qui lit Durkheim et on a fait des progrès depuis, sait qu'un suicide est TOUJOURS lié à une multitude de facteurs, de nombreuses fractures, fêlures ou autres, résultants d'accidents de vie (je laisse à Nabot Léon l'idée qu'il y a un gêne du suicide: est-ce qu'Axel Khan pourrait lui expliquer deux trois trucs sur la génétique ?) et pas simplement le travail...

Primo, 35 suicides, c'est atroce, mais il y en a bien plus à l'éducation Nationale, dans la Police, la Santé, les gardiens de Prisons, Renault et autres...

Deuxio, des mobilités forcées, tous les groupes poussent à ça sous couvert d'obligation au nom de la sacro-sainte mondialisation... Idem pour le rendement et la rentabilité.

Tertio, est-on en train de devenir aussi cons que les ricains ? Vous savez ce peuple où les mecs qui fument trois paquet par jour attaquent Marlboro et ceux qui prennent 15 kilos en bouffant Mc DO matin midi et soir se retournent contre l'enseigne de Ronnie ?

Je trouve cela désespérant de déresponsabilisation. D'ordinaire, on attend beaucoup de l'Etat et on peut parfois confesser légitimement certaines déceptions cet égard (litote). Néanmoins, est-ce une raison pour se défausser avec le même aveuglement sur l'entreprise sans se prendre par la main? Je ne défends pas France Télécom (manquerait plus que ça), mais avouez tout de même que c'est consternant de manque de lutte et de courage à tous les étages. La base qui n'a pas su faire plier, alors qu'en coupant les fibres et les câbles ça fout vite un boxon sans nom... Et le haut, qui, affolé par la perte de valeurs de ses stocks options qui chutaient à la vitesse des corps par les fenêtres, a préféré se taire.

Résultat, on se tourne vers la justice et on peut déjà gager un pourrissement du truc: les juges, humains, vont forcément aboutir à reconnaître une part de responsabilité de FT. Du coup, la direction va cadenasser comme jamais ses directives, pratiquer la langue de bois comme jamais, veiller à ne plus rien faire pour ses salariés en privilégiant les managers qui auront des bonus en fonction du "bien être observé dans leurs business unit" ou autre conneries approchantes... Bref, un énorme enfumage en perspective et qui l'aura dans le cul: l'ensemble des salariés de FT...

Demain je m'élancerai pour 42,195 km avec la ferme attention de finir en meilleur état que le premier taré à avoir fait ça....

 

06/04/2010

Lectures

D'après une enquête commandée par Fredo Mitterrand, 30% des Français n'ont pas lu un seul bouquin en 2008... Vi vi vi. On dit pas un seul, si vous lisez un Guillaume Musso, un Nicolas Rey ou un Marie Darrieussecq vous faites partie des 70% de lecteurs; c'est donc pas exigeant...

Pour des raisons tenant à des insomnies, une préparation à un marathon sans gnôle et autres joyeusetés, j'ai fait mon Olivier Barrot la semaine dernière (un livre/un jour). Je vous évite les essais et les que sais-je (même si celui sur la sociologie des tendances est très drôle) pour vous dire que, quand même, "Hammerstein ou l'intransigeance" de Hans-Magnus Enzensberger (Gallimard) et "Danse danse danse" de Murakami sont, selon votre humeur, deux très bons livres.

dans_danse_danse.jpgJe commence par Murakami pour vous dire que je n'ai presque rien à en dire si ce n'est que comme à chaque fois avec le génial nippon on est happé, surpris, intrigué et emporté. Du Murakami au summum de son étrangeté humaine; on suit ses personnages baroques avec un naturel confondant de bizarrerie normale. Bref, si vous avez aimé Kafka sur le rivage, foncez sur celui-là. Si vous l'avez pas lu, vous avez tort, et allez y voir quand même...

Hamm.jpgHammerstein, plus compliqué ma foi. La forme ? OLNI... Sorte de biographie romancée avec de nombreuses interviews façon Canard Enchaîné avec des propos presque recueillis. Le style, ciselé, vif et fuyant, virevoltant d'une cousine à un général à la retraite et autres huiles de l'entre deux guerres en Allemagne. Bien sûr, meugleront les anti-militaristes primaires (dont je suis à l'ordinaire) ça reste un militaire. Peut être, mais un type qui dit dès 1933 "la peur n'est pas une vision du monde", qui collaborera activement avec l'armée rouge pour leur remettre des infos, dont les enfants seront résistants... Et puis, un type qui a vécu dans une relative austérité (les mômes ont tous payé leurs études supérieurs eux mêmes, à l'époque rare chez les grands de ce monde) tout ça parce qu'il a refusé de céder. Sans même parler de conférences ou autre services assidus, les SS lui promettaient plein de picaillons à condition de reconnaître publiquement le bien fondé du régime. Mais il ne cilla pas, jusqu'à sa mort, en 1943... Mort sans avoir vu les fous trépasser, dommage pour lui, mais ce n'est pas une raison suffisante pour vous passer de lire un livre qui éclaire un peu l'Allemagne: entre la guerre, il n'y avait pas que des SS ou des jeunes SS devenant célèbres plus tard (Gunter Grass et Benoît XVI) et ma foi, au moins, quand on lit ça, on ne lit pas les déclinologues...

 

Demain, mercredi jour des enfants, n'oubliez pas de les confier à des laïcs...

05/04/2010

Frédéric Martel est-il un con ?

Vendredi soir, je suis allé voir le spectacle de l'humoriste Ged Marlon. Je ne vous en parlerai pas pour pas vous faire bisquer, car c'était la dernière, mais si vous tombez dessus en DVD, prenez. Ged, c'est l'homme des brèves de Comptoir dans "Palace". Un ancien champion de lutte tout mince qui fait un extraordinaire travail sur le jeu de scène et qui a quelque chose de rare pour un humoriste: un univers. Il est aérien, poétique, virevoltant, souvent subtil toujours hilarant. Voilà, c'est dit mais c'est pas mon sujet.

J'ai écouté sur les podcasts d'Inter, Frédéric Martel pour son ouvrage Mainstream et j'ai bien rigolé... Comme je ne croyais pas que l'on puisse être sot à ce point et puisque pour critiquer la vulgarité, il faut s'y intéresser, je suis allé chercher le livre que j'ai parcouru avec une consternation presque jamais démentie (le garçon est capable de saillies). Pour vous éviter un fastidieux pensum, voilà le projet du livre résumé par l'éditeur:  « Comment fabrique-t-on un best-seller , un hit ou un blockbuster ? Pourquoi le pop-corn et le Coca-Cola jouent-ils un rôle majeur dans l’industrie du cinéma ? Après avoir échoué en Chine, Disney et Murdoch réussiront-ils à exporter leur production en Inde ? Comment Bollywood séduit-il les Africains et les telenovelas brésiliennes, les Russes ? Pourquoi les Wallons réclament-ils des films doublés alors que les Flamands préfèrent les versions sous-titrées ? Pourquoi ce triomphe du modèle américain de l’entertainment et ce déclin de l’Europe ? Et pourquoi, finalement, les valeurs défendues par la propagande chinoise et les médias musulmans ressemblent-elles si étrangement à celles des studios Disney ?". J'ai laissé les passages en gras soulignés par l'éditeur, sans doute pour vous aiguiller, des fois que vous ne sachiez pas lire... Intéressant hein ? Oh, surtout lecteur ne répond pas "non", Martel t'attend la dessus !!! Tu DOIS t'y intéresser, les blockbusters, c'est la vie, que ça t'intéresse ou non, tu DOIS désormais aller voir le film de l'été avec Cameron Diaz et tout ce qui est bankable, espèce d'amateurs de ciné pour smicards...

Dans le fond, je crois que Frédéric Martel incarne l'ultime trahison des clercs: c'est un élitiste refoulé.

Névrose de l'époque. Mitterrand passait sa vie à lire les romantiques, Chardonne (beurk) et Morand (discutable); Chirac préférait les intrigues d'Orient et de Russie. Sarkozy, lui, concède: "bien sûr je regarde le Tour de France, comme des millions de français. Le Tour de France, les Ch'tis et Marc Lévy. Bien sûr je lis Marc Lévy, ce mec vend des millions de bouquins, il faut comprendre ce qui intéresse les Français. Si je veux pas m'y intéresser, je change de métier". Evidemment, on peut pouffer en disant que tous les autres hommes d'Etat ont mieux à faire que de comprendre Lévy, Boon, et le Tour de France, toujours est-il que le pouvoir aujourd'hui s'incarne là-dedans. Or, Martel veut le pouvoir. Prenons le pedigree du jeune homme: journaliste à France Culture (élite), il a publié il y a 4 ans, une somme bien documentée et très intelligente "de la culture en Amérique" chez Gallimard (re-élite). Le livre est excellent et a été salué par la critique, mais Fredo n'en a cure: il veut de la fraîche et des spotlights, être in.

Donc, là, il publie son livre chez Flammarion. Pourquoi ? Sans doute parce que la patronne de Flammarion, Teresa Cremesi était l'ancienne éminence grise de Gallimard. Je hasarde l'hypothèse qu'elle a dû le débaucher mais sans certitude. Toujours est-il que chez Flammarion, on lui a assurément promis un coup. On parle tout de même de l'éditeur de Ennemis publics la correspondance par mails de Houellebecq et BHL... Le livre qui a fait trembler l'intelligentsia française. Martel soigne son plan média, et ça marche: invité chez Demorand, JDD, BFM, une couverture rare pour un essai culturel... Sauf qu'évidemment, il est question de "l'industrie culturelle et de son économie", comprend lecteur ignorant qu'aujourd'hui la culture c'est de la géopolitique, si tu n'as pas compris ça tu es un coq demeuré et ratiociné....

Martel anglicise toutes ses expression et distille soigneusement des références à l'intention de ses interlocuteurs pour les rassurer sur la teneur culturelle de l'opus : Chéreau, Koltès.... Ce sont des codes pour élitistes, pour happy few, des auteurs mainstream pour l'élite. Chereau et Koltès sont confiné mais reconnus, ils ne sont pas dérangeants: vous noterez que Martel ne se hasarde pas à citer Raymond Cousse, Gilles Châtelet, Pialat ou autres, curieux, hein ? Il aime les rebelles beau à la caméra, un soupçon d'effronterie, surtout pas de pensée critique.

Martel veut le beurre (le succès), l'argent du beurre (bling bling) et comme cul de la crémière, il voudrait l'onction de la critique. Il voudrait qu'on le reconnaissance comme un "penseur de la modernité" capable d'avoir levé des tabous. Mais, comme disait un vieux prof à propos de Malraux, "Martel tes idées justes ne sont pas neuves et tes idées neuves ne sont pas justes". La culture comme moyen d'hégémonie géopolitique ? Je me souviens d'avoir appris ça en 3ème, il y a plus de 15 ans... Le coca-cola, Mc DO, et les séries américaines, tout ça au fond : même combat. "American way of life for everyone", je vois pas ce qu'il y a de nouveau... Ensuite, sur l'Europe qui ne saisit rien, c'est d'une connerie... Regardez ces ambassades, ces missions, ces sites internet qui fleurissent... Regardez ces séries que l'on exporte en tâtonnant: sous le soleil est la fiction européenne la plus exportée dans le monde, ça donne à réfléchir... On tente Monsieur Martel, on tente, mais on a 25 langues et pas les mêmes moyens... Et de toute façon, l'uniformisation culturelle n'est pas une vision du monde...

Demain, pour changer, nous parlerons d'un grand livre qui vient aussi de paraître et qu'on préférera au déchet éditorial sus-mentionné, "Hammerstein ou l'intransigeance" (Gallimard), la biographie romancée du général en chef de l'armée allemande qui, refusa à jamais de collaborer avec les nazis jusqu'à sa mort en 1943, exhortant ses proches à se détourner d'Hitler en disant, dès 1933 : "la peur n'est pas une vision du monde". Je trouve que ça vous pose un bonhomme...