Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

19/04/2010

Le quai de ouistreham

Le-quai-de-Ouistreham.jpgJ'avais un peu hésité, avant de lire le quai de ouistreham de Florence Aubenas. J'ai une profonde admiration pour cette journaliste absolument pas ramenarde, qui n'est pas devenue mystique après avoir été otage et qui continue toujours d'être du côté de ceux qui morflent.

Seulement, dans l'affaire Outreau qu'elle avait suivi pour Libé et le Nouvel Obs, son gimmick qui était de dire "bah oui on se plantait, on joue un jeu, on est journalistes, quoi", m'avait consterné. Vous imaginez l'autre dire "bah oui, je joue un jeu, je suis magistrat". Donc, Florence Aubenas pouvait être faillible, et ça m'aurait ennuyé que sur le sujet, elle failli. Je pris le risque de le lire quand même et je fis très bien; c'est une claque.

Le pitch, donc, c'est Florence Aubenas qui part dans une ville moyenne (Caen) où elle se grime et s'anonymise, s'invente une vie de femme seule avec un seul bac L pour tout bagage et vingt années sans bosser. Elle ne veut pas aller bosser chez des gens mais prendrait n'importe quoi. Elle dit qu'elle arrêtera dès qu'elle obtiendra un CDI, ne voulant pas bloquer un vrai emploi. L'expérience lui a pris six mois alors qu'elle prenait n'importe quoi... Peut être parce que tout le monde prendrait "n'importe quoi".

Six mois à récurer des chiottes de camping, de ferry et autres c'est long. Le livre rappelle des choses sues, mais douloureuses à relire sur les multiples peines qu'entraîne la pauvreté. La pauvreté ne se limite évidemment pas au pouvoir d'achat: n'importe quel étudiant en première année de sociologie ayant lu un chapitre de Bourdieu comprend que de nombreuses choses vont avec la classe dominante. Elle a plus d'argent, plus de famille et d'amis pour l'aider, un emploi dans un champ qui lui plaît plus, si elle veut. Plus près de chez elle, si elle veut. Ca sert à ça d'être dominant: avoir le choix. A contrario, et donc assez tragiquement être dominé c'est ne pas avoir le choix. Cumuler des CDD de 3h avec des heures de transport interminables, pas d'avantages, de sécurité, tout juste vous fait-on miroiter des repas gratuits.

Aubenas n'enjolive pas la pauvreté, ne la noircit pas non plus. Elle n'aime pas spécialement vivre dans une chambre où il faut replier le canapé lit pour se servir de l'évier et déplacer un meuble pour ouvrir la fenêtre. Elle ne prétend pas avoir des tas de choses à dire à ses compagnons de galère mais elle fait la route avec eux, partage leur repas de nouilles et de rillettes. A propos des plaisirs de bouche, elle cite une amie qui appelle SOS médecins pour avoir des calmants, mais refuse d'aller voir un dentiste. Trop cher. Elle attend que toutes ses ratiches pourrissent pour se les faire enlever sous anesthésie et avoir un appareil remboursé par la sécu. Aubenas tombe des nues avant d'apprendre que de très nombreux pauvres font ça. Un copain d'assoc et un médecin me confirment que c'est une réalité depuis quelques années.

Santé, logement et surtout emploi. Les scènes de formation à l'ANPE sont désespérantes d'éloignements des attentes. Heureusement, les conseillers ont l'air compatissants et même plus, à rebours des clichés circulant sur eux. Ils sont juste un peu dépassés par une situation qui pousse parfois aux drames, les 20 pages sur "les filles de Moulinex" mettent une gifle et c'est déjà la fin.

Aubenas retourne écrire le livre dans sa chambre de Mimi Pinson. Sans doute est-ce pour cela qu'il sonne si juste.

Demain, la semaine reprend ses droits de bassesse, fini les droits d'hauteurs du week-end.

16/04/2010

La moins bonne part de Tristan Garcia

MPDH.jpgDeux actualités pour notre surdoué des lettres, Tristan Garcia: la meilleure part des hommes est disponible en Folio, ce qui lui permettra de conquérir de nouveaux lecteurs et aujourd'hui même sort mémoires de la jungle en grand format dans la blanche de Gallimard aussi.

Garcia est né en 1981, il a publié son premier roman en septembre 2008 et une grosse année après, tout en enseignant la philosophie, revient avec un livre de près de 400 pages sur un thème radicalement différent demandant quelques recherches éthologiques. J'espère sincèrement qu'il l'a écrit avant et que c'est son éditeur, attiré par l'odeur des royalties qui lui a demandé s'il n'avait pas écrit quelque chose avant et qui a sorti l'opus. Le procédé a marché récemment avec Jonhatan Littel dont a publié des écrits adolescents après le succès des Bienveillantes, dans une logique purement commerciale.

Si j'espère qu'il l'a écrit avant c'est que cela apaiserait ma déception... Son nouveau livre est d'un ennui, mais d'un ennui... On retrouve tous les défauts des forts en thèmes (il est normalien) : un projet ambitieux avec cadre géographique et temporel imaginaire; narrateur original -un singe- et foison de personnages. Des contraintes, des contraintes pour montrer qu'on peut écrire "Grand". Le style, mon général, le style est là -déjà ou encore ?- mais le style ne peut pas tout quand on s'ennuie à ce point. Passé la surprise agréable des 40 premières pages à voir ce singe expliquer qu'il voudrait être homme, voudrait parler... on commence à bailler. Ensuite, réflexion sur la question de nature, du singe apprivoisé qui se retrouve à nouveau à l'Etat sauvage et doit réapprendre à se déshumaniser. Intéressant, non ? Bah non. Mémoires de la jungle, c'est "Gorilles dans la Brume" vue par Donkey Kong avec un soupçon de "Planète des Singes" et de Flipper le Dauphin pour l'empathie animalière... Bref, une déception sans nom...

Heureusement, reparaît donc, et pour une somme modique en plus la meilleure part des hommes. J'ai beaucoup offert ce livre et vais continuer. Le style là encore est incisif, dépouillé de cette manie horripilante des jeunes auteurs pour "la phrase qui tue": un paragraphe dont on se demande ce qu'il fout là, et hop, planté tel un haïku tranchant comme un katana, la phrase calibré pour evene.fr. Un processus dont abuse Zeller, Foenkinos, Nicolas Rey et autres...

Garcia, lui, s'en moque, il ourle avec virtuosité trois styles pareillement convaincants pour faire parler les trois voix de son jeune écrivain/activiste, son philosophe rance en quête de spotlights et sa journaliste tendrement désabusée. Ce style est là au service d'une trame enivrante, on ne lâche pas, peste contre les pages qui filent trop vite. On se prend, aussi, souvent, à se dire "mais oui" "c'est ça" "bien vu l'artiste", bref, sans vouloir rien dire des années SIDA, des années fric, des années Mitterrand aussi, il dit beaucoup plus. Sans verser dans le moralisme, on fait un constat beaucoup plus tranchant de ces années-là, Garcia signait alors un opus magna qui vaut bien qu'on oublie le second en attendant très très impatiemment qu'il retrouve le chemin de ces débuts.

Demain, la bourse sera fermée, qu'est-ce qu'on va bien pouvoir foutre ?

15/04/2010

L'Anraquecoeur du système

9782070120185.jpg Hier midi, déjeuner consistant. D'abord parce que l'aligot saucisse ça vous plâtre un estomac, même entraîné, ensuite, parce que mon partenaire d'agapes a le cerveau meublé. Le genre de type a tenir ce genre de blog http://egregore.erwanlarher.com/ lisez un brin le projet de son roman à paraître et vous verrez...

Bref, après cette parenthèse intellectuellement réjouissante (et après une légère sieste) je me devais de délaisser les oeuvres légères et me plongeait avec une pointe d'angoisse dans l'Arnaque, la finance au-dessus des lois et des règles, par Jean de Maillard.

Premier soulagement, c'est bien écrit et avec une pointe d'humour: le chapitre sur les planques fiscales s'intitule "nous irons tous aux paradis". Ensuite, c'est pédagogique et non pas démagogique. Contrairement aux journalistes libéraux qui s'offusquaient comme des vierges effarouchées de Libé au Figaro des profits indécents de ces dernières années, notre limier remonte plus en amont pour montrer comment l'avidité de la finance démange comme un prurit tous ceux qui s'en approchent.

Son approche des contingences est particulièrement séduisante et percutante: plutôt que de parler comme pour la mafia de "délinquance organisée", il préfère parler de "délinquance systémique". Et pour cause, la fraude se répande tant, avec des systèmes d'interdépendances, qu'il n'y a plus de parrain ou de capi... Les agences de notation ont besoin des managers fous pour gagner des fortunes, car elles doivent pourvoir mettre des triple A, les marchés ont besoin des agences de notation pour garder leurs vertus et les hedge funds ont besoin de managers kamikazes, qui, eux mêmes, ont besoin de liquidité... Bref, ce petit monde s'encule joyeusement en couronne...

C'est un livre captivant et un brin déprimant car il montre bien comment nous sommes face à un joueur sous addiction et qu'un sevrage (une réduction des liquidités émises sur les marchés) créerait des contractions rejetées dans un premier temps et comment il va falloir y aller en douceur pour achever les dinosaures.

Il faut vraiment que ce soit la crise, car, il y a deux ans, vous m'auriez dit que je prendrais un essai économique pour ne pas le lâcher (sauf pour PSG/Quevilly quand même) je vous aurais pris pour des doux dingues, comme quoi il ne faut jurer de rien...

Demain, nous reparlerons de romans, car quand même, s'ils ne font pas tourner le monde ils rendent tout de même la vie plus belle (même sans pub sur France Télévision).