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22/12/2011

Mieux vaut pleurer sur un siège de BMW que sourire à vélo ?

mariage-337089.jpgQuand la Chine s'éveillera paraît-il. Je ne sais ce que l'ami Peyrefitte pense de l'importation du dialogue social où les délégués syndicaux sont abattus d'une balle dans la nuque quand leurs revendications sont trop éloignées de celles du patronat (sans doute du bien) mais j'aimerai son avis sur les nouvelles agences matrimoniales chinoises. Celles-ci proposent à leurs clientes de leur présenter des mâles dûment sélectionnés afin qu'il ne reste que des millionnaires ou des milliardaires.

Peyrefitte est mort il y a douze ans, on aurait aimé que cet ultime avatar d'un libéralisme dégoulinant de bêtise en fit de même, mais comme ces agences sont bien vivaces, revenons y d'un mot.

Ce critère qui en vaut d'autres est assumé de façon très décomplexée par les consommatrices de ces services. Pas d'hypocrisie, il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade. On peut même avancer avec Jules Renard que si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez-le, mais que pensez de celles qui perdent leur vie de couple pour gagner les courses avec une carte bancaire platinium plutôt que de vivre leur couple (ou pas d'ailleurs) en ignorant la couleur de la carte bleue tant qu'elle fonctionne ? Faux débat semble-t-il, en Chinen où le mariage reste vu comme le meilleur moyen d'ascension sociale. Lors d'une émission de télé-réalité très regardée, une candidate a déclaré "mieux vaut pleurer sur un siège de BMW que sourire à vélo" et la population d'approuver bravement et d'en faire la Confucius des temps modernes. 

A l'heure où il est de bon ton sur les ondes de France Culture d'achever la relecture critique du XXème siècle en faisant converger les idéologies communiste et nazie, peut-on tenter la comparaison à trois avec le libéralisme ? Ayant tenté une fois la plaisanterie d'une ode à Staline inspirée de celle à de Gaulle  par Malraux qui me valut les foudres du directeur de la revue Esprit, j'y retourne à pas prudents : non, rien n'excuse les purges, le goulag, la médiocratie imposée en interne, voilà voilà... Cela dit, bordel, l'idéologie communiste toute déviée qu'elle fut en pratique reste la plus belle idée inventée depuis des siècles.

Loin des modèles théocratiques (tous monothéisme confondu, y a pas que la charia qui déconne) ou ploutocratiques où tout se jouerait ou s'excuserait par la naissance, le communisme proposait de recréer à chacun un destin. Si on ne va pas réhabiliter Staline demain, impossible de nier les millions de gens qui connurent une éducation d'exception et qui, s'ils ne vivaient pas dans l'opulence, ne manquait jamais de l'essentiel. Quand tu reviens de Prague où on a remplacé le communisme par un ultra libéralisme barbare qui pousse tous les petits vieux à devenir gardiens de musée pour ne pas bouffer que du chou (mauvais exemple, c'est vraiment leur gastronomie...) il te vient comme une évidence que l'on pourrait un peu plus instruire le procès du matérialisme libéral ! 

Outre que la crise de 2008 est due aux spéculateurs fous et à ceux qui, possédant 10 voitures, étaient prêts à affamer des peuples pour en avoir 12 avec l'Iphone 5 dans chacune d'entre elles, voilà que la finalité de leur projet sur les âmes se résume ainsi: sois triste et tais toi, pourvu qu'il y ait le pognon... Ah non mais vraiment beau projet ! On peut continuer à moquer du communisme, mais projet contre projet, finalité contre finalité, la lutte s'inverse bien vite. Goliath libéral a des pieds d'argile, mais aussi un corps en toc et un esprit rongé par les vers. David n'a même pas besoin de lance-pierre, souffler fort suffirait pour faire tomber tout ça. 

Céline disait "la gauche, c'est tout le monde à bicyclette, pas de fausse note", la droite nous réplique donc "tout le monde en BMW en pleurant son choléstérol, son ennui et son manque de libido, mais pas de fausse note, il faut que la photo soit belle". En cette fin d'année propice à la consommation, il serait peut être bon de s'interroger sur le sens de tout le barnum. Dans la famille, nos noëls sont plus joyeux depuis qu'on a supprimé ces conneries de cadeaux obligés (pas pour les mouflets quand même, je vous vois venir avec vos piques sur l'inhumanité des staliniens) : tous mes voeux de bonheur à ceux qui recevront dans deux jours un coffret Foenkinos, l'intégrale de Luc Besson et un t-shirt "I love Lagarfeld".

20/12/2011

Et soudain l'opéra de Prague résonna des sanglots

Vaclav-Havel.jpgNous cheminions ce soir-là vers l'Opéra. Vaclav Havel était mort et nous l'avions appris par Internet. Rien dans la ville où il avait du être un héros ne pouvait laisser supposer que les habitants souffraient. Sur la grand place, les gaufres, marrons chauds et vins chauds s'échangeaient dans un concert de rires. Les boutiques ne désemplissaient pas ; dans une semaine, Noël, et rien de plus sacré que la plus grande fête du Dieu de la consommation. Que ce fut à Budapest, à St Pétersbourg, à Bucarest, Sofia ou Riga, jamais je n'ai vu un tel appétit de consommation, une telle soif d'avoir que dans les villes qui connurent le communisme jusqu'en 1989 (ou 1991, ça dépend). Ecoeurés à la limite de l'épouvante par cette foule grouillante, nous délaissions les artères pour emprunter les venelles pavées sous une pluie neigeuse. Nous arrivions à l'opéra empreints d'une mélancolie ouatée (ça réchauffe).

Là, nous fûmes saisis par le respect du protocole et par notre propre manque de mise en pli. Nous nous étions décidés sur place, pour une représentation de Rusalka. Un opéra d'autant plus lourd de symbole qu'il est écrit en langue tchèque, par Dvorak, et fut joué pour la première fois dans ce même opéra de Prague. Peut-être est-ce cette singularité qui donnait un supplément d'âme et de fierté aux spectateurs qui jouaient le jeu: les robes du soir se mêlaient aux smokings. Même les plus jeunes semblaient avoir loué des habits surannés pour la soirée. L'atmosphère s'emplissait de XIXème siècle et nous étions grotesquement anachroniques avec nos jeans. Une minute avant le début de la représentation, une voix en tchèque puis en anglais nous enjoint de bien vouloir couper nos téléphones portatifs. L'orchestre s'éclairait et se tint prêt alors que le lourd rideau rouge restait fermé. Un micro trônait au milieu de la scène comme un poteau rose.

Soudain, un homme en smoking apparu la mine grave comme un jour sans pain. Il tenait un papier à la main et se tourna vers la loge présidentielle. C'est en observant la vacuité de celle-ci et les roses blanches posées sur le rebord que nous comprîmes. L'homme se mit à parler et dans cette langue hermétique pour nous, nous ne reconnûmes que "Vaclav Havel" "Dramaturge" "Culture". Autour de nous, les yeux rougis, les tchèques pleuraient leur Grand Homme. L'homme en noir reprit son souffle et repartit une seconde fois dans sa sombre mélopée, en anglais cette fois. Sans doute cela le peinait, mais il n'en laissa rien paraître et s'acquitta de cela avec une élégance digne du prince Salina. Cette fois, toute la salle pleurait. S'ensuivit une minute de silence infiniment mieux respectée que dans les stades. Puis, toujours comme dans les grands messes sportives, retentit l'hymne tchèque que nous ne connaissions pas mais qui nous touchait par contagion.

L'opéra débuta comme si de rien n'était, plus bel hommage à un homme de culture qui aurait forcément souhaité que le spectacle continuât. Aux entractes, nous nous mêlions aux smokings et robes longues pour boire une coupe qui avait un parfum de dernier verre, avec un délicieux arrière goût de catharsis. 

Après les 3h de représentation, nous partîmes dîner dans une pizzeria estudiantine où la mort d'Havel semblait à nouveau lointaine. Que la mort de leur de Gaulle où quelque chose d'approchant se limitât à l'opéra nous peinait. Nous rentrions donc vers notre hôtel un peu désappointés, empruntant l'avenue Narodni quand, vers minuit, nous fûmes alertés par une foule imposante et un puits de lumière. Quelques policiers débonnaires encadraient un cortège d'inconnus qui apportaient des bougies et venaient se recueillir prêt de la plaque commémorant la révolution de velours. Le lendemain, avant de reprendre l'avion, nous repassâmes au même endroit et la foule était deux fois plus nombreuse. Me vînt à l'idée que la dernière fois qu'un tel rassemblement lacrymal eut lieu à Paris, c'était pour Lady di. 

Demain, nous déplorerons la rudesse de ce mercredi qui rentrera dans l'hiver sans frapper, mais nous consolerons car dès le lendemain, les jours rallongeront.

18/12/2011

Carte postale de Prague

260px-Prague_Castle_as_seen_at_night.jpgDepuis que les voyages sont morts et que même Levi-Strauss a déclaré leur fin pour laisser la place au tourisme, industrie de masse, les vacanciers glorifient le check. Pour les non anglicisants, check, c'est une vérification. Une check list résume les tâches restant à accomplir.

Dans une vie antérieure, avant Junior Castor, soit avant JC, il m'est arrivé de partir en vacances avec ces nouveaux conquérants qui avancent vers les aéroports l'allure déterminée, la carte bleue prête à frémir et les guides de voyages déjà stabilotés. Car leurs vacances ne laissent pas de place à la flânerie. Surtout les longs week-end: 4 jours, pas de droit à l'erreur, il faut foncer, baliser les 46 points à voir de la villle tout en se prenant une cuite règlementaire. 4 jours, c'est infiniment court quand on veut pouvoir y faire rentrer des anecdotes pour ses dîners à venir en étant persuadé de ne jamais y revenir car d'autres check lists avec des villes accrochées dessus attendent de par le vaste monde.

La capitale Tchèque ne se prête pas aux check. Surtout lorsqu'elle vous a été présenté par des amoureux de la ville. Ils ne vous parlent pas d'un musée ou d'un autre, mais de restos, de café, de pause billard. Perdre deux heures à boire des bières en jouant aux billards au Café Louvre est la hantise du checkeur. Quand les heures sont prises entre 16h et 18h, le sacrilège confine au blasphème. C'est pourtant ce que nous fimes vendredi sans une once de mauvaise conscience. Pas plus que nous n'en eûmes samedi en snobant les files d'attentes devant le château. Regarder la relève de la garde pour rire, certes, entrée dans les cathédrales, bien sûr. Mais poireauter dans le froid ou payer pour que l'on vous donne l'accès à certaines rues, non merci. L'après-midi, après une incursion au musée Mucha, partir avant la fin du documentaire, reporter au lendemain une hypothétique visite de plus et finir la soirée à écouter du modern jazz en se disant là aussi après le deuxième set que le troisième et dernier sera superfétatoire. Ce n'est pas de l'inachevé, de l'inabouti ou un manque de caractère bien au contraire, l'affirmation de l'émancipation des commandements du touriste. La logique est simple: le touriste discipliné revient toujours épuisé de week-end, alors que se profile le couloir des fêtes, cela ne nous paraît pas bien oppportun.

Prague est la plus belle femme du monde ravagée par deux maladies honteuses: le tourisme de masse et le capitalisme agressif. La première lui obstrue les artères jusqu'à la suffocation à certaines heures, mais le tout reste respirable. Contrairement au corps humain, il faut donc éviter les grosses artères en les considérant pas comme vitales pour aller respirer vers les quartiers périphériques. Le capitalisme agressif, en revanche, est un mal plus insidieux, c'est un cancer qui ronge la peau de la ville. Comme ces demeures majestueuses, ces rues bigarrées d'où surgissent tout à coup d'hideuses réclames pour de la bière de mauvaise qualité ou des rappels pour des concerts à la qualité suspecte. En marge de cela, sur l'île de Kampa, on trouve un musée d'art moderne désert avec une enfilade de pingouins jaunes en plastique du plus comique, une galerie photo très cosy avec d'épatants lauréats d'un concours Nikon que nous ignorions. Même malade, la plus belle femme du monde garde une prestance à nulle autre pareille et quand vient la nuit, en ce moment c'est à 16h, elle se pare de ses plus beaux éclairages pour laisser éclater son insolent sourire d'éclairage. On redécouvre alors tout ses édifices aux enluminures hésitantes toujours entre un luxe raffiné et une surcharge rococo. Ce soir, ce sera Rusalka à l'Opéra. A ce propos vive le caractère universel de la danse et de la musique, parce que la langue tchèque, c'est complexe dès le premier mot et la bière moins chère que l'eau ou les whiskys nécessaires à se réchauffer n'y changent goutte, on ne comprend pas tout. Ca doit être ça, la poésie.