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06/12/2011

François Beaune, le talent fou

couv-beaune-9782070134779fs.gifUn homme louche fait partie de ce genre de romans dont on se demande en les refermant si l'auteur n'a pas tout mis. Une gifle, quelque chose de très fort, de nouveau, mais une crainte qui sommeille: celle du coup unique. Nombre d'auteurs sont, le plus souvent sans s'en être rendus compte, des fusils à un coup. Inutile de les citer, ils sont légions et puisqu'ils ont réussi un opus, pourquoi braire sur les suivants ? Citons les plus connus récents, tout de même, David Foenkinos, qui après l'excellent "l'inversion de l'idiotie" débite des daubes de pire en pire et Tristant Garcia qui n'a pas concrétisé les espérances placées dans "la meilleure part des hommes". Ce n'est pas typiquement français et les meilleurs romans des surdoués Safran Foer ou Zadie Smith étaient sans conteste les premiers.

Sauf que François Beaune lui frappe au moins autant que le facteur, deux fois. Vu la gifle que je viens de prendre sur l'autre joue, la première encore chaude du roman évoqué au départ, qui captait si justement la folie, je m'attends à une troisième torgnole. Surtout que chat échaudé craint l'eau froide, lecteur averti itou. Pas question de revenir avec une histoire de frapadingues. Or, on comprend dès les premières pages que c'est le choix de l'auteur. Casse-gueule. Et pourtant... 

Le nouveau personnage, Alexandre, est encore plus saisissant et captivant que l'homme du premier opus. Il dérouterait ceux qui suivent les faits divers en cherchant toujours du sensationnels, des barons en manque de sensations fortes, des enfants battus et des jeunes kurdes qui portent la haine en eux. Foin de tout cela. Alexandre a fait de très bonnes études. Mais il n'a pas une brillante carrière qui s'ensuit. Non, il mène consciencieusement des enquêtes pour la SOFRES. Trop consciencieusement, d'ailleurs. On ne peut pas lui parler, le critiquer. Il est dans sa bulle. Vit avec sa mère, veuve, avec qui il empile les parties de Scrabble, passe à Motus et livre des repas aux Restos du Coeur. Alexandre se dit "touché par la disgrâce", il suscite une espèce d'effroi poli. Les gens l'esquivent plus qu'ils ne l'évitent. Tout cela nous l'apprenons par la bouche même de l'intéressé, dans son journal de cavale pour un meurtre mystérieux, à Lyon (Manhattan étant déjà pris). 

L'autre force brute de Beaune, au-delà de la densité du personnage, c'est la maîtrise du tempo. Il délivre les infos au compte gouttes, brouille les pistes au bon moment mais sans abuser des effets de manche des mauvais polars. Beaune ne joue pas avec son lecteur pour faire le malin mais au contraire nous invite à progresser avec lui dans la compréhension de cette folie ordinaire. Quand nous sommes mûrs, nous plongeons même parmi les clochards, les jeunes paumés qui basculent dans une petite délinquance sans le vouloir et sont surtout violents entre eux. Jamais je n'avais senti un tel réalisme depuis les naufragés, l'immense ethnographie de Patrick Declerc. 

Le livre a paru en septembre dernier, Libé, les Inrocks, Télérama ou Médiapart ont salué le talent de l'oeuvre qui n'a pas raflé de prix. Si Limonov ou Retour à Killbegs méritaient incontestablement leurs bandeaux primeurs, je ne vois qu'une injustice profonde pour avoir privé un ange noir d'une récompense majeure. Il est vrai qu'écrire sur les désaxés, les tordus, les invisibles n'est pas toujours payé en retour. Peu importe, un talent pareil n'écrit pas pour eux et nous livrera forcément un troisième grand moment, de la littérature, contrairement au reste.

04/12/2011

Dans la publicité comme dans le gangsterisme, on viellit rarement bien...

jet-lag.jpgLa première chose qui vous frappe en lisant jet lag de Jean-Marie Dru ce n'est pas tant la nullité de l'ouvrage, que l'immense plongeon la tête la première réalisé depuis le précédent, la publicité autrement (Gallimard 2007). Comment le même homme a t'il pu, sur un sujet similaire, passer du sommet au fond du gouffre en seulement quatre ans ? En effet, le premier sert de bréviaire aux étudiants en communication comme à leurs enseignants désireux d'élever le débat. Le second est une longue et ennuyeuse dissertation d'élève de prépa, truffée de poncifs où d'idées saugrenues ; les 15 pages consacrées à Raymond Barre, où l'auteur trouve le moyen de le comparer à Obama et surtout, se prend à rêver que l'édile de Lyon (notoirement antisémite d'ailleurs, il avait d'autres défauts mais "les français innocents"...) soit encore aux manettes car il avait en horreur la dette et l'hexagone serait devant l'Allemagne. On se pince. Jean-Marie Dru, l'homme qui est vénéré de par le monde pour son côté punk de la pub est en fait un barriste éternel. Cette fidélité l'honore, mais elle explique aussi les relents de tête de veau rancie qui s'échappent du livre. Quelque chose n'est pas passé chez Dru, il a oublié ses idées sur le feu et si on le passait sur le grill de la critique (ce qu'on ne fera pas car la doxa s'accorde à dire que Dru est toujours le punk de la pub) il serait carbonisé en une minute.

Le livre se présente comme un abcédaire, même pas à l'envers (tant qu'à "disrupter"...) de la publicité mondiale contemporaine. Parfois, quelques fulgurances nous surprennent avant d'être irrémédiablement rattrapé par des pensées plombantes. Le chapitre où Dru explique comment il a aidé le Danemark à croître en faisant des marques danoises les ambassadeurs d'un pays où tout le monde ne connaît que Copenhague mais pas les autres villes. Dès lors, que n'attend la France pour lancer une grande campagne aux investisseurs mondiaux en prônant la qualité de Loréal et Michelin... Malheureusement, je ne change pas une virgule, Dur pense ça. Le chapitre sur la rémunération des publicitaires est encore plus consternant: il pleure en se lamentant que les pubards sont deux fois moins payés que les cabinets de conseil en stratégie et donc que la pub est menacée par un certain malthusianisme financier. On croit rêver. Lui expliquer, et surtout lui démontrer très facilement, que les cabinets de conseils sont, a minima, deux fois trop payés serait sans doute vain et pourtant...

Inutile de s'appesantir là-dessus, respectons la convention de Genève. Interrogeons nous sur les raisons du marasme. La première piste mène à l'éditeur. Dru remercie Manuel Carcassone chez Grasset qui est également l'éditeur de Macé-Scaron et de Beigbeder ou encore Lolita Pille, c'est dire si en matière de publicité, Dru avait à qui parler. Non, la ficelle est un peu grosse et je crois que cela vient d'ailleurs. 

La vérité, nue et triste, est que Dru s'est laissé prendre aux pièges comme tous les publicitaires installés. Les publicitaires ne peuvent s'installer. Dopés à la compétition, sans attaches, ils sont des danseuses ou des boxeurs et ne doivent jamais s'embourgeoiser comme le dit très justement Apollo Creed à Rocky Balboa (si si, j'assume) "there is no tomorrow" : http://www.youtube.com/watch?v=XlbKn8_p3vk. Comme le boxeur ou encore le gangster, le publicitaire doit être toujours en mouvement pour échapper aux contres ou balles adverses, dès qu'il cesse de bouger, la proie est plus que facile, une quille XXL. Dru s'est figé dans sa réussite comme Han Solo dans le mur de Jabba the Hut (le niveau des références de cette note m'interpelle). Il n'est pas le seul.

On a tendance à l'oublier, mais Séguéla a eu du talent et réalisé de bonnes campagnes pour Mitterrand et contre la drogue (l'inverse eut été rigolo) avant d'être cette épave d'un bronzé si outrancier qu'il dépasse le vulgaire pour faire peur, et si beauf et infatué que David Douillet a des ravissements d'esthètes. Maurice Lévy, devenu cette consternante marionnette ventriloque du MEDEF qui se gargarise de ne plus avoir de salaire, avant de voir que ses émoluments ne bougeront pas d'un iota, mais il se paiera en prime, a eu beaucoup de flair pour mener Publicis là où ils sont. Son successeur actuel (mais Pépé le Momo en a déjà épuisé bien d'autres) Arthur Sadoun danse pour l'heure le quadrille comme seule Calamtiy Jane le faisait avant; mais pour combien de temps ? Pire, récemment interrogé par des étudiants sur les nouveaux punks de la réclame, je répondais bêtement que cela devait toujours être Fred & Farid. Hélas, eux aussi ont racorni comme une gelée anglaise oubliée sur une table en fin de banquet. Sans doute pensent-ils que tourner des vidéos en arborant ostensiblement des couleurs criardes et oubliées comme le jaune Moutarde constitue le summum de la subversion.

L'âge ne fait pas tout à l'affaire. Je connais un publicitaire qui est jeune depuis un bon trente ans de plus que moi, mais qui ne s'est pas figé et pour cause. Il est mort déjà dans sa jeunesse. Pas physiquement, mais pire pour un publicitaire, disparu de l'image. Revenu de là bas avec son sourire goguenard en bandoulière, il n'est pas menacé. Malheureusement, on ne lui confiera pas de gros budgets non plus, mais il se vengera en ourdissant un projet subversif, une école pour néo punks.

Moralité ? A proscrire, la moralité. La raison d'être des publicitaires est de choquer le bourgeois inlassablement. Ce n'est pas forcément reluisant, souvent décrié et toujours éreintant. Mais à tout choisir, c'est plus marrant que concepteur de crédits à la consommation ou moniteur d'aquabiking dans un spa des Champs Elysées... 

Pour finir sans esprit grincheux, on peut montrer que dans la publicité on vieillit mal sauf quand on connaît encore le sens de l'autodérision comme là : http://www.youtube.com/watch?v=_zIQWRgRCoI

02/12/2011

Rien ne justifie de ne pas lire "Rien ne s'oppose à la nuit".

Le-Prix-du-Roman-Fnac-2011-revient-a-Rien-ne-s-oppose-a-la-.jpgLe chemin qui mène vers un livre ressemble rarement à une ligne droite. A part pour les best-sellers conçus pour, façon Levy/Musso/Nothomb/Foenkinos/Pancol qui comptent leur fan-club dans les startings blocks, prêts à se jetter sur l'opus frais le jour de la sortie comme les foules en délire qui se précipitent pour aller voir le dernier Twilight. C'est simple et carré et puisque les lecteurs de ces livres en sont ravis, tant mieux pour eux, laissons Grincheux au vestiaire. 

Exit Grincheux donc, mais exit Simplet aussi. Comment choisir parmi les 600 et quelques nouveautés de septmebre ? Dit comme cela, le choix est biaisé, hypocrite. En réalité, chacun selon sa grille de lecture est confronté à un choix d'une grosse vingtaine d'ouvrages (bon OK, laissez moi croire que tout le monde est confronté à ce choix, je sais bien que ça n'est pas le cas, je connais les chiffres) dans la vague de septembre qu'il doit se dépêcher d'engloutir avant la prochaine vague de janvier. Problème, lisant également beaucoup d'essais et ne rechignant pas aux classiques pour m'aérer l'esprit entre deux entreprises auto-fictionnelles un peu boursoufflantes, il est à peu près certain que le choix parmi les 20 ira presto. Sorti de Limonov et de Franzen, je rattrape Xavi Molia aux branches, parcours malheureusement le Defalvard (la curiosité est un vilain défaut) et quelques autres, je survole le Goncourt qui parvient à me faire bailler en deux minutes à la librairie...

Autre problème, étant né début novembre, une nouvelle vague de cadeaux amoindrit encore les chances des livres de septembre. C'est ainsi que j'avalais goulûment les 600 pages du dernier Vargas Llosa, étonnamment bon (je ne comprends pas qu'on lui ait filé le Nobel) l'histoire de Roger Casement, anticolonialiste condamné à mort. Bref, avec toutes ces lectures, j'avais fini par sacrifié 2/3 livres qui me tentait dont le dernier Jean Rollin sur Britney Spears et le Delphine de Vigan. C'est vrai quoi, déjà lu "No et moi" la rencontre d'une ado avec une jeune paumée. C'était simple, beau et extrêmement juste. Seulement voilà, la personne qui m'avait offert ce livre transpirait la mièvrerie et j'ai dû intérioriser, à tort, que Delphine de Vigan était un auteur chamallow. Et puis à la radio le contraste m'a frappé comme un uppercut. J'allais zapper pour chasser l'épouvantable Pascale Clark, si bête qu'on en vient à être indulgent avec Isabelle Giordano, mais la voix de l'auteur venu défendre son oeuvre m'interpellait. Elle évoquait sans fausse note et surtout sans trémolo ce qui s'apparentait tout de même à une jeunesse délicate. 

Rien ne s'oppose à la nuit au-delà d'un très beau titre et d'une couverture superbe (on apprend à la fin ce qu'on subodore depuis le début, c'est bien sa maman) s'engloutit d'une longue coulée à cause du ton trouvé. On pourrait dire "grâce à", mais dans une histoire mêlant un grand père libidineux affectueux souvent au delà du raisonnable avec ses enfants, petits enfants et nièces, avec une mère folle comme un lapin et une héroïne elle même en proie à l'anorexie, la grâce à quitté le récit. Les pages consacrées à l'anorexie font écho à un précédent ouvrage de l'auteur où elle évoquait ses anciens troubles alimentaires non pas pour imiter les mannequins de l'époque mais pour laisser la vie quitter son corps ; la nourriture c'est de l'amour, laisser l'amour hors de son corps c'est assécher jusqu'à la fin. Etre sauvé par une sonde symbolise bien le côté inhumain de ce retour à la vie. On ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments, avec du ressentiment non plus et c'est cela la beauté de ce livre. Delphine de Vigan n'en veut pas à sa mère qui s'est suicidée sans toucher à rien. Atteinte d'un cancer et épuisée, elle s'est laissée éteindre comme une bougie. Inacceptable pour une fille, même si sa mère lui a mené une vie impossible avec ses allers retours/permanents à Sainte-Anne. Tout est toujours traité avec amour, jamais elle ne souligne autre chose qu'une grande fatigue à devoir courir après sa mère folle à lier à la camisole chimique (ce qui fut le cas). Elle n'évoque pas les probables séances d'électrochocs et autres, se contentant de nous faire réfléchir au lien d'amour plus tenace que tous ces événements rocambolesques. On songe à Personne de Gwenaelle Aubry, qui avait elle un père fou. On pense aussi à toute l'oeuvre de Lionel Duroy que de Vigan cite abondamment en se disant qu'on ne choisit pas toujours sa famille, on compose seulement. Et de Vigan a composé une symphonie qui s'écoute sans entracte ou temps morts. Rien ne s'oppose à la nuit, logiquement, je l'ai dévoré l'obscurité venu, les téléphones et autres appareils éteints, avançant jusqu'à ce que le mot "fin" s'ensuive. Ce matin, la morsure de l'aube avait un goût de vie, envie de la mordre en retour.