21/01/2013
La honte, une passion américaine
Le dimanche soir, séances DVD de grands films -ou supposés tels- en retard. Je trouvais qu'il y avait comme quelque chose d'indécent dans le croisement de l'actualité à regarder Des hommes et des dieux. Alors, je me suis rabattu sur un film aux critiques ébouriffantes, Shame.
L'histoire d'un trentenaire new-yorkais très riche qui lorsqu'il n'est pas au bureau, passe le plus clair de son temps avec des putes ou sur des sites pornos. Enfin, je réduis le propos puisque son addiction est si forte qu'il passe souvent aux toilettes pour se branler ou télécharger des vidéos plus que licencieuses. La réalisation est léchée -trop- la bande son présente -beaucoup trop- et le tempo lent. Le film remplit tous les critères des films d'auteur new generation, comme dans les mélancolies riches de Sofia Coppola ou Drive. Je ne crois pas que cela mérite que l'on s'excite dans un sens ou dans l'autre, mais c'est raté.
A l'évidence, le film de Steve Mc Queen (pas le même...) tente d'appliquer les recettes d'American Psycho (le livre, j'ai pas vu le film). A savoir un jeune homme au dessus de tout soupçon qui cache une vraie violence. Des vies cloisonnées qui ne laissent pas de marques. Donc rien de nouveau depuis vingt cinq ans, les Etats-Unis sont une société angoissante, violente, où la solitude gagne en importance alors que les nouvelles technologies appellent aux relations. Bon. Si on m'avait filé le scenario de Shame, je l'aurais baptisé Lie. Je ne vois pas, d'un point de vue français, où se cache la honte dans le film. Ni l'addiction sexuelle en elle même. Ce n'est pas la faute du comédien, qui est époustoufflant, mais du propos. Il faut à tout prix montrer que le Monde est une ligne droite et que tous les déviants doivent avoir honte. Cette aberration incarne pour moi les Etats-Unis dans une coquille de noix, comme ils disent.
L'actualité nous apporte encore évidemment un bel exemple avec les vraies fausses confessions de Lance Armstrong chez Oprah Winfrey : les américains raffolent des flagellations publiques. Clinton a exploité au mieux cette exception culturelle pour faire de ses penchants adultérins un argument de sa popularité. Suffit de reconnaître. Idem pour le Bron James, la star du basket américain, qui après avoir trompé allègrement sa femme est venu expliquer pourquoi il l'épousait, toujours chez Oprah.
Ce qui me frappe le plus, c'est qu'il s'agit toujours de honte de puissants, de dominants. Leur repentance cautionne toujours le système, ses excès. Idem pour les tricheurs économiques qui partent discrètement, sauf quand ils ont trop abusé. Pour un Bernie Madoff en cage, combien de patrons de banques repartis tranquilles après avoir siphonné les comptes de leurs banques ? L'important n'est pas la rose, mais la honte: reconnaissez que vous avez honte et on vous fout la paix. Cette religiosité imprègne aujourd'hui une nouvelle pratique économique destinée à déstabiliser les entreprises malséantes: name and shame. Vous nommez les firmes aux comportements peu éthiques et la honte s'abattra sur elle. Manque plus que les sauterelles et la pluie de feu. Au niveau de l'efficacité de ces pratiques, je dirais que c'est aussi puissant que les sermons contre la masturbation: Apple est régulièrement décrié pour Foxconn, ils font repentance et tout continue as usual. Aussi, alors qu'Abel Ferrarra nous tourne un DSK avec Depardieu et qu'un biopic sur Lance Armstrong est en préparation, je rêve qu'un réalisateur américain s'empare du vrai thème honteux de ce pays en inversant la focale : tourner le livre de l'immense William T Vollmann, Pourquoi êtes vous pauvres ? Mais bon, it's not tomorrow the day before comme ils disent...
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19/01/2013
Omniprésente opinion, piège à con ?
Saoulé de questions par un Fabrice Luchini ravi de rencontrer son idole au point d'en oublier les principes élémentaires de la politesse, Roland Barthes eut la plus sage des réparties: "Fabrice, accordez moi le droit de ne pas avoir d'opinion". L'attitude de bon sens de notre grand sémiologue n'est malheureusement pas partagée par nos dirigeants d'aujourd'hui.
Ce serait un énième remix de ces questions de poules et d'oeuf que de chercher à définir à nouveau si la faute incombe aux journalistes qui posent des questions à torts et à travers, ou aux politiques eux mêmes, qui se prêtent joyeusement au jeu des snipers et des cibles. Si retrouver l'auteur du pêché originel est délicat, il est bien plus évident, en revanche, d'observer les conséquences de ce petit jeu de massacres entre amis : une désaffection record envers l'action publique.
Demain dimanche, les grands messes des émissions politiques ont beau se répartir en quelques grandes chapelles (Grand Jury, Chez Elkabach, France 5 ou Tous Politiques), le travers de l'opinionite infecte tout le monde. Partout les même règles éprouvées : cuisiner longuement l'invité sur son portefeuille ministériel s'il est au gouvernement (ou la vie de son parti et les idées dudit parti s'il est dans l'opposition) puis sur toutes les réformes en cours, toutes les sorties médiatiques de leurs petits camarades et enfin tous les faits divers... Je ne comprends pas qu'aucun rédacteur en chef d'une émission politique n'ait tiqué en regardant leurs sommaires. Ca ne tient pas debout. Pourtant, les émissions se démultiplient et toutes celles qui naissent ont les mêmes malformations de naissance contraignant nos dirigeants à se muer en Hercule de la réponse sur tout. Passe encore sur l'aspect Wikipédia avec demandes chiffrées sur tous les sujets, où Bourdin et autres s'amusent à tester la capacité de bachotage de nos gouvernants sur le ticket de métro, la production industrielle de l'Allemagne au 2ème trimestre 1987 ou le cours du Yen par rapport Yuan...
Mais cette universalité de réponse aux faits divers et aux dérapages des uns et des autres est un vrai poison facile à combattre: il suffit de le retirer. Ne pas demander 40 fois aux invités de lundi dernier "l'un des porte-parole a comparé François Hollande à Hilter, qu'en pensez-vous ? Najat Vallaud Belkacem a déclaré que le camp du progrès ne défilait pas et que les manifestants effectuaient leur chant du cygne ; un commentaire ?". Le départ de Depardieu en Russie, est-ce la fin de l'identité française ? L'assassinat en bas de la rue d'un jeune homme est-ce le signe de l'inexorable vague de violence qui gangrène la société française ? L'engouement pour les soldes, fin d'un système ou consommateur malin ? La consommation de croque tofu, alter mode ou rejet de l'agriculture française ? Les progrès du gazole; écolo quand même ?, Le retour des chemises à jabot, passion romantique ? Les meubles à monter soi même, passion bricolo ou complot anti écolo ? Les animaux de compagnie comme miroir de la solitude ou nouvelle empathie ?
L'inflation est inexorable avec tous ces nouveaux supports, ces nouveaux réceptacles de la grande centrifugeuse de l'info dans laquelle nos gouvernants se ruent joyeusement et acceptent sans barguigner de répondre à toutes leurs conneries. A ceux qui auront la décence de s'indigner de cela et refuseront de répondre, quelle que soit leur étiquette politique, je dis merci par avance. Personnellement, j'applique ce sage principe, quand mes étudiants me demandent pourquoi Psy fait 1 milliards de vues sur youtube j'admets que je n'en sais rien. Et que je m'en contrefous en plus...
Demain, nous nous préparerons comme chaque année pour les manifs oecuméniques du 21 janvier puisque c'est ce même jour (pas la même année) que sont morts Louis XVI et Lénine. Nous réviserons donc notre Sardou et notre Ferrat...
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17/01/2013
Extension du domaine de la défiance
Dans une actualité hyper chiffrée, difficile de s'alarmer plus que d'habitude tant le déclinisme rayonne. Pourtant, le pire n'étant jamais certain et j'ai une nouvelle fois trouvé une série de chiffres pires que les autres. Vraiment pires. En plus, il est aisé de comparer ce qui est comparable, puisqu'il s'agit d'un baromètre; celui de la confiance des français dans le politique par le CEVIPOF. La 4ème édition en l'occurrence, qui explose les mauvais chiffres des éditions précédentes. On le retrouve ici pour ceux qui souhaitent déprimer, ceux qui jubilent en écoutant des chants funéraires, qui aiment le climat actuel et autres facéties face au bonheur :
http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-po...
La première vague montre qu'à 95%, les français ont encore confiance ou très confiance en leurs familles et leurs proches. Songeant aux histoires d'inceste et autres viols, je me dis que c'est pas mal. Les choses se grippent lorsque l'on passe au volet politique des choses. La défiance s'étend avec une vigueur sans précédent. Non seulement, ce qui peut s'entendre, vis à vis de certaines personnalités politiques, mais surtout vis à vis de la capacité du politique à changer les choses. 23 ans après la chute du mur de Berlin et alors depuis 40 ans, mais de façon incroyablement plus forte depuis 10 ans, le modèle capitaliste hoquète violemment, rares sont encore les gogos à croire que des programmes changeront leur existence à eux. Pire, il n'est que de voir la montée en puissance extrêmement rapide de la croyance dans les manifestations, les boycotts et autres actions plus radicales pour modifier la marche du monde. Il est notable que les enquêtes ayant eu lieu en décembre dernier, nous étions déjà depuis six mois sous le règne de François de Hollandie. Les décisions du gouvernement étant d'un mainstream libéral troublant - régulièrement salué par les agences de notation, le FMI ou plus récemment par le MEDEF dans le cadre des négociations sur la sécurité dans l'emploi - il est plus que délicat pour le chaland de s'y retrouver. Tous les cassandre avides de déclin français se complaisent à filer le parallèle avec les années 30 en expliquant que la crise de 29 est derrière nous et que nous fonçons droit devant 39 si un vrai coup de barre n'est pas donné pour le Paquebot occidental. Le collectif Roosevelet 2012 a écrit à JM Ayrault pour dire qu'il était fort sympathique de signer des déclarations d'intention, mais que de ne pas les faire suivre d'effets finirait par avoir des conséquences catastrophiques. Ce baromètre est un premier élément de réponse. Au-delà de la méfiance dans le politique, il montre une fermeture croissante vis à vis des mouvements migratoires, une montée des peurs face aux différences que l'on a bien vu dans la rue parisienne dimanche (peur d'autres formes d'amour et de famille) et une banalisation devant la précarité économique. L'aspect le plus inquiétant de cette étude du CEVIPOF est bien celui-ci : au delà de l'écume de la contestation des gouvernants actuels, c'est bien l'immense vague réactionnaire qui doit nous inquiéter. Une crise où les coupables avancent masqués et désignent du doigt les étrangers et les plus fragiles d'entre nous comme responsables. L'énormité du subterfuge ne fait rien à l'affaire, il justifie pour l'heure l'adage "plus c'est gros plus ça passe". Et ça n'est pas fait pour rassurer en pensant aux jours prochains...
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