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01/02/2013

Jours de pouvoir

Jours-de-pouvoir.jpgComment un homme de lettres aussi fin et exigeant avec son texte a-t-il trouvé le temps de se perdre en politique ? J'exagère à peine, tout, dans le dernier opus de Bruno le Maire nous confirme ce que l'on a pu voir dans ses précédents livres: c'est un homme de l'écrit. Qu'il s'agisse de ses récits, Le Ministre, Des hommes d'Etat, son essai Sans mémoire, le présent se vide ou son roman sur Carlos Kleiber, Bruno le Maire fait mouche.

Quiquonque réfléchit deux secondes à l'existence de ce livre voit bien qu'il ne peut être un vrai politique. Deux ans de journal, même avec une mémoire d'éléphant, vous vous isolez une heure tous les trois jours pour écrire à tout berzingue vos anecdotes que vous remettrez en forme plus tard (ce garçon a un emploi du temps qui s'est singulièrement allégé depuis mai dernier). Et je parle des écrits hebdomadaires, mais le miel du livre ce sont les comptes rendus géniaux de réunions avec Sarko, Jupé ou Villepin (il fréquente peu Morano et Lefevbre) dont il retranscrit les saillies. Et cela, il faut le faire dans les 48h, quand c'est frais. Or, ni Chirac, ni Sarko ni -surtout- Copé ne prennent deux heures par semaine pour écrire le récit de leurs vies politiques. Chirac est un homme de l'oral à l'ancienne, Copé et Sarko en version moderne, toujours un téléphone à la main. Ils font partie de ceux qui ne s'isolent plus qu'en fermant une porte. Qui prenait le temps de s'exclure du réel politique pour aller en territoire de fiction ? St John Perse, peut être, mais il était diplomate. De Gaulle quand il était militaire ou en traversée du désert, idem pour Mitterrand. Quand on est dans l'action, on n'écrit pas. D'ailleurs, à tout prendre comme pari aujourd'hui, je miserai plus sur Bruno le Maire prix Goncourt que Président...

Le plus délicat dans ce genre d'exercice est bien évidemment celui de la distance avec soi. De façon presque confondante -et ce n'est pas un conseil de communicant, ou alors le plus con d'entre eux- le Maire ne s'épargne pas. Pratique courante chez les écrivains mais inexistante dans cette proportion chez les politiques. Il confesse ses erreurs, ses naïvetés et autres erreurs. Il avoue que Baroin a bien joué le coup pour avoir Bercy. Il dit qu'il n'a pas de poids ce qui l'empêche de faire passer le projet UMP. C'est proprement fascinant : il n'y aucun masochisme puisqu'il ne mésestime pas son intelligence ou autre, mais à sacraliser une certaine idée du politique, il avance dans la carrière la tête en l'air et passe le temps à se cogner dans des adversaires plus terre à terre. 

Au-delà de lui et de son rapport au temps - cet homme passe sa vie à faire des footings ou à se déplacer en avion et en train- ce sont ces échanges avec les grands de ce monde et de ce pays qui font de ce livre un monument de mémioraliste. Il a tout archivé, tout consigné, tout vu. L'obstination de Sarkozy a croire qu'il va gagner est proprement saisissante, même exténué, il y croit. Et il fait taire les sarcasmes. On lit aussi la montée du Front National, le mépris pour la gauche sauf pour Hollande qui comme Mitterrand "a des racines de droite" et le besoin de ménager Mélenchon pour ne pas recentrer le PS... On voit surtout sa vie défiler à tout berzingue et le peu de temps dont il dispose pour tout : pour ses enfants dont le 4ème qui vient de naître, sa femme, ses électeurs de l'Eure, les intellectuels à qui il demande conseil (bel hommage à Marcel Gauchet) l'Europe qu'il aime mais qui se refuse à la France et tous les autres sauf Nicolas Sarkozy vers qui il revient toujours. Cette fièvre calendaire se ressent dans l'écriture, syncopée (et pas Saint Copé, le pauvre Jean-François apparaît dans le récit comme un arriviste premium) et alerte. En refermant les 430 pages on en reprendrait. Je doute qu'il poursuive son rôle de diariste dans l'opposition, mais pourquoi pas un nouveau après Kleiber ? Je serai preneur...

Pour finir, le héros du livre à nouveau, Nicolas Sarkozy: "J'ai essayé de changer Balladur, je lui ai fait ses discours, donné des idées, dit ou aller, quoi faire, rien n'y faisait. On ne change pas les rayures d'un zèbre. La vérité, c'est que Balladur, c'est Balladur, Fillon c'est Fillon et Sarkozy, c'est Sarkozy". Il a beau se peindre, se grimer, se changer, rien n'y fait, Le Maire c'est Le Maire, un écrivain égaré en politique. Que je préfère infiniment lire qu'écouter.