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13/02/2013

Qu'est-ce que le temps juste ?

316fKIoIw+L._SL500_AA300_.jpgIl m' fallu surpasser le mépris que m'inspirait la 4ème de couv' pour lire l'essai de Guillaume Poitrinal. "Plus vite, la France malade de son temps" annonce sur sa 4ème de couv' une équation aussi simple qu'inepte : si la France produisait en 355 jours ce qu'elle produit en 365, elle gagnerait 3% de croissance. 

L'argument spécieux a de quoi mettre en rogne lorsqu'on songe aux ravages absolument colossaux provoqués par l'accélération des rythmes de travail et de production ces dernières années. L'homme n'est pas essayiste, mais PDG d'Unibail Rodamco, premier opérateur d'immobilier commercial en France. Je feuilletais rapidement, repérais qu'il citait à plusieurs reprises Accélération d'Hartmut Rosa. Bon point pour lui. Je lui donnais sa chance, bien m'en pris.

D'abord le garçon est cohérent : il faut aller plus vite et les 180 pages en tout petit format s'avale en deux trajets de métro raisonnables. Merci à lui pour cette concision. 

Ensuite, la thèse évoquée en 4ème de couverture a sans doute été rédigée pour des motifs commerciaux (je vous jure, cela arrive...). Poitrinal n'est pas un fou et enjoint l'individu moderne a prendre le temps de décompresser (ouf), ce d'autant que depuis la publication du livre, il a démissionné de son poste de PDG pour prendre du temps pour sa vie. Ce genre de détails a son importance. Pourquoi ce titre, alors ? Puisqu'il cite Rosa, qu'il reconnaît les ravages de l'accélération du management par le stress et que lui même ne veut pas être emporté par ce cyclone de la modernité ultra-rapide ? Parce qu'il a bossé chez Unibail, promontoire parfait pour observer les incohérences temporelles... Et l'auteur de partir de l'Etat de la France à partir des incroyables lenteurs qui bloquent des chantiers pour faute d'agréments administratifs. Il dépeint des scènes hallucinantes sur la toxique montée en puissance des normes qui envahissent le métier et rendent impossible toute implantation de bâtiment. Entre son entrée dans le métier en 1992 et 2011, le code de l'Urbanisme avait gonflé plus vite que la grenouille devant le boeuf : près de 2000 pages. Poitrinal revient sur toutes les occasions ratées (Ile Séguin, Hôpital Laennec) pour peu de sauvées (Fondation Vuitton) pour expliquer tout ce que la France pourrait perdre à l'avenir face à des investisseurs lassés par ces lenteurs. Lenteurs inexplicables dans un monde ou tout est passé à la vitesse supérieure. 

L'accélération de la diffusion des techniques médias est peut être ce qui m'a le plus marqué : 38 ans pour que 50 millions de personnes dans le monde s'équipent de la radio, 13 ans seulement pour que le même nombre d'humains accèdent à la télé, 4 ans pour Internet et... 80 jours pour un Ipad. Dit comme cela, il faut reconnaître que cela devient assez dingue. Dans ces conditions modernes, les lenteurs administratives qui empêchent les créations peuvent rendre fou. Ce d'autant que les bâtiments qui ont pris le temps de voir le jour ne sont pas nécessairement plus beau pour autant : Pompidou et le Stade de France sont deux très belles réalisations sorties de terre en un temps record, le Front de Seine vers Beaugrenelle est une verrue dans la ville qui a pris du temps pour pousser... 

Les chiffres et exemples cités par Poitrinal méritent réflexion. Personnellement, je me rappelle le moment où, salarié, une association médico-sociale m'a demandé des travaux de rédaction et de leur facturer. Je déclinais poliment en disant qu'ils m'inviteraient à bouffer. Ils se fâchèrent et je dus me constituter auto-entrepreneur pour mon plus grand futur bonheur. Cela me prit quelques clics. Je ne savais pas, alors, combien la chose était précieuse et rare en France. Devenu indépendant pur et simple j'ai, depuis, découvert l'inertie de l'administration en France, les quintuples papiers dans tous les sens et je suis bien heureux en ces conditions que ma société compte un employé et pas un de plus parce que ce bordel pourrait inspirer un Proust néo punk : à la recherche du putain de temps perdu à l'URSSAF... C'est d'ailleurs la conclusion de Poitrinal qui revient à ce bon vieil adage populaire "le temps, c'est de l'argent". Il le complète (ou l'enrichit, c'est selon) par "le temps administratif perdu, c'est de l'argent foutu en l'air. Retrouvons le temps juste". Là, je simplifie, il le dit plus finement et mieux. Pour ça, il faut le lire. Ca prend un peu de temps, mais fait gagner en réflexion. Une réflexion utile et actuelle, puisque le politique garde les clés des horloges : que ce soit avec les lois sur le temps de travail avec un possible retour aux 39 heures hebdomadaires ou l'actuelle réforme des temps scolaires. Reste à voir quelles portes ces clés-là ouvrent...

Demain, nous nous émerveillerons devant toutes les gentilles initiatives de nos amis du marketing pour célébrer ce jour de l'amour au milieu de 364 jours où la passion peut choir...

11/02/2013

Regarder des idées neuves avec de vieilles bésicles

malvoyant.jpgHeureusement j'avais la bouche vide. Tout ce qui aurait été contenu, solide ou liquide, je l'aurais expulsé de stupeur et de colère froide. J'écoutais l'économie en questions sur France Culture, (réécoutable ici) et après de soporifiques débats sur la potentielle dévaluation de l'Euro, nos camarades du cercle de la doxa éclairée se mirent à parler de l'économie sociale et solidaire (ESS) sujet qui me tient à coeur. Dire qu'ils en parlèrent mal relève vraiment du doux euphémisme. Ils déversèrent en un temps restreint, un impressionnant monceau de conneries. 

Les tenants de l'ESS se sont récemment alerté de cette méconnaissance. Philippe Frémeaux, le directeur d'Alternatives Economiques a mené une vaste enquête, que l'on peut retrouver . Il montre la très large méconnaissance de l'ESS par tous les économistes ou presque. Certains comme Daniel Cohen manifestent de vrais signes d'intérêt, Philippe Askenazy aussi, mais globalement, au-delà de la méconnaissance, il y a de fausses connaissances. Des clichés, en français courant. Là où la chose devient ennuyeuse, c'est lorsque leur propos de bistrot sont colportés sur des ondes écoutées en général pour leur qualité et leur sérieux. Entendre des approximations aux grosses têtes d'RTL ou aux Grandes Gueules de RMC est monnaie courante, mais si on ne peut pas faire confiance à France Culture, ou va t'on ? Les économistes réunit ce samedi listèrent doctement des pratiques liées à l'ESS des années... 80. Baverez était tout heureux de connaître Finansol ou les Cigales, anciens dispositifs de financement solidaire mais ne dit rien de tous les nouveaux fonds éthiques ou du Comptoir de l'Innovation, piloté par Nicolas Hazard et qui a levé 10 millions d'euros en seulement quelques mois. Pire, le même Baverez avance doctement qu'on nous ment sur les chiffres car les seules entreprises productives dans le champ de l'ESS seraient les SCOP et leurs 42 000 salariés. Monstrueux non-sens ! Déjà, la plupart des entreprises d'insertion sont productives. Ensuite, cette seule référence au statut prouve une paresse intellectuelle forte : il existe des associations productives, innovantes et audacieuses et des entreprises vivant sous subsides publiques et sclérosée... Cette nouvelle démonstration de cette propension des éditocrates à parler de tout et n'importe quoi est relativement déprimante sur la possibilité de changer de modèle. On voit bien qu'ils sont bien plus disserts sur Bale 3 et autres réformes bancaires que sur une autre économie. Mais ce sont eux malgré tout qui conseillent nos amis du politiques. Pas étonnant, dès lors, que le pouvoir fasse peu de cas de ce sujet pourtant majeur. L'espoir étant ce qui nous reste, on en vient donc à miser beaucoup sur Benoît Hamon et sa grande loi à venir sur l'ESS. Puisse ce texte éclairer d'un jour nouveau nos amis omniscients...

10/02/2013

Y a-t-il un européen pour sauver l'Europe ?

01664474-photo-y-a-t-il-un-flic-pour-sauver-hollywood.jpgC'est assez fascinant d'entendre l'euroscepticisme des gazettes lorsque l'on voit les arguments déployés. A les entendre, l'Armageddon financier dans lequel nous sommes serait la faute de Bruxelles. On nous dépeint une hydre dévoreuse de subsides, qui surpayent les fonctionnaires, emboutit son argent dans d'improbables projets de ronds points au milieu de déserts humains ou de vagues projets d'art conceptuel.

Toute cette gabegie supposée sert les intérêts de tous les indépendantistes catalans ou écossais qui hurlent à la mort qu'ils sont eux des modèles de vertu, mais que c'est Bruxelles et Strasbourg qui les ont précipité dans la chute. Bien. Ne brouillons pas le débat avec une myriade de données techniques, mais tout de même, rappelons un chiffre essentiel à l'heure de ces débats crispés : 1%.

Le budget européen consenti par les Etats membres, c'est 1%. Le budget fédéral Suisse, 12% à 13%. Les 50 Etats américains redistribuent 25% de la richesse des Etats vers Washington. Ca signifie que si nos amis du Kentucky, de l'Iowa ou de l'Ohio ne crèvent pas la gueule ouverte, c'est parce que même chez ces champions libéraux des Etats-Unis, le fric du pétrole texan ou de l'Alaska parvient à être redistribué. Nous sommes donc à un niveau de redistribution 25 fois inférieur et la question est donc de savoir si on peut encore réduire ce budget... Concrètement pour la poche de chaque habitant de l'UE, cela signifie quoi ? Selon la Fondation Robert Schuman, la contribution annuelle de chaque habitant de l'Union européenne au budget est évaluée (en euros actualisés) à 100 euros à la fin des années 70, 200 euros au début des années 90 et 235 euros aujourd’hui. Une grosse redevance télé, quoi... Tout ça pour contribuer à l'espace de la première zone économique mondiale...

Pour être parfaitement honnête, Maastricht, j'étais trop jeune, mais depuis que le droit de vote m'a été donné par la République Française, je ne me suis pas distingué -du point de vue la doxa - par mon europhilie. J'ai voté non -avec le recul, j'en suis plus fier chaque jour- en 2005, ce texte qu'on nous a à nouveau infligé, mais sans vaseline démocratique cette fois, via la stratégie de Lisbonne. En dehors du référendum, en 1999, 2004 et 2009, j'ai toujours voté pour des formations à la gauche du Parti Socialiste. Cela me cantonne d'après les éminents politologues distingués et patentés dans le camp des europhobes au même grade que Marine le Pen. Permettez moi de trouver l'argument spécieux... Parce que je trouve que l'Europe dans un monde ouvert, c'est une belle idée. Ca devrait mettre plein de monde d'accord. Les complexés de la race blanche façon Zemmour, devrait être heureux qu'on pèse sur la planète, mais comme ils sont trop cons et cocardiers, ils veulent à tout prix que ce soit juste la France, même si celle-ci ne représente même plus 1% (décidément) de la population mondiale. Elle devrait également ravir tous les petits pays qui rejoignent un ensemble et peuvent ainsi monter sur les épaules d'un grand pour former un géant. Mais voilà qu'ils veulent garder leurs exceptions fiscales... Ajoutez à cela les nostalgiques qui aimaient toutes ces monnaies différentes (connerie oui, j'avais toujours des billets de 1000 lires, soit 3 francs, soit 0,45 euros, que je n'avais pas réussi à écouler et que je ramenais en France jusqu'à l'année suivante, quand nous retournerions en Italie) et ceux qui ne croient pas à Erasmus, vous comprendrez qu'on est mal parti...

Pourtant les projets sont là, à condition de ne pas amputer ce 1%, mais de le tripler (je sais, je sais, mais ça ferait jamais que 3%). Alors, on pourrait se doter de projets de recherche digne de ce nom, d'un service civique européen, tenter de réindustrialiser et nous entendre plus intelligemment en matière agricole pour arrêter cette aberration : chaque année, les allemands exportent 2000 tonnes de patates vers l'Angleterre et dans le même temps, l'Allemagne importe 2000 tonnes de patates anglaises. Vous avez dit bilan carbone ?

Hier alors que je suis allé voir Django Unchained (fort chouette, peut être 20 minutes à couper. Tarantino a manifestement plus de mal à couper ses scènes que des têtes) je me suis rappelé que ces Etats Unis entre eux ont derrière une histoire qui n'a rien à nous envier en matière d'atrocité. Pourtant, au XXème siècle, c'est toujours eux qui sont venus nous sauver. Va t'il falloir qu'Obama débarque à Bruxelles pour nous mettre d'accord sur un vrai budget ?