Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/12/2013

Portrait du jeune marché en artiste

Grands-et-petits-secrets-du-monde-de-lart.jpgAu sortir de la grande rétrospective d'Emmanuel Perrotin, au Tri Postal à Lille, une soif d'en savoir plus sur le marché de l'art m'a pris. Coup de bol, une librairie s'ouvrait à moi avec un livre dont la couverture comportait une illustration de Maurizio Catelan. Bonne pioche. "Grands et petits secrets du monde de l'art", écrit par deux journalistes dont le pédigree me disait qu'elles avaient l'air sérieuses. 360 pages plus tard, impression confirmée : TRES bonne pioche. C'est bien écrit, enlevé, pédagogique, jamais sans aucune volonté d'attaquer, ni même de dénoncer. Non, les auteures se "contentent" de montrer les mécanismes de coteries à l'oeuvre pour créer cette bulle néfaste de l'art contemporain. C'est encore plus implacable quand c'est fait sans volonté d'humilier.

Il faut lire et diffuser les chapitres consacrés au "100 qui tiennent le monde de l'art". Mélange de cynisme absolu, de sybaritisme mal dégrossi, de bluff aussi. Et surtout de concours de qui a la plus grosse. Galerie évidemment. Ou écurie. A ce jeu là, c'est le célèbre Charles Saatchi qui l'emporte avec sa plateforme Internet permettant de donner un lieu d'expression à ... 80 000 artistes. On imagine bien sûr qu'il les connaît tous, les appelle par leur prénom et adresse à chacun quelques doctes encouragements et conseils pour poursuivre leurs quête de beauté. Ambroise Vollard reviens, ils sont devenus... Bah pas vraiment fous, mais vraiment cupides.

Ce que le livre montre bien, sans haine, c'est la concomittance des bulles spéculatives financières et des bulles de l'art contemporain. Car on le sait, les ploutocrates ne savent pas quoi faire de leur pognon : au delà de 6 maisons, un jet et un yacht il faut bien trouver où mettre le cash. Alors voilà un beau dérivatif. Peu par passion, d'ailleurs, à part Pinault qui sort plutôt grandi du livre où l'on note qu'il peut sillonner la planète pour découvrir des artistes, tout se passe par téléphone et par chiffres interposés. L'émotion est curieusement absente de cet univers. Pire : "C'est qui Yves Klein ?". Dans une école la question est légitime et même souhaitable. Dans un café ou une machine à café d'entreprise, elle s'entend très souvent et on peut la comprendre. En revanche, de la part d'un magnat de l'art contemporain qui débourse des dizaines de millions de dollars chaque année, elle prête moins à rire et c'est pourtant une citation de l'un d'entre eux qui répond à l'un de ses conseillers qui lui proposait d'acheter une sculpture d'éponge bleue de l'artiste... Le niveau monte.

L'ancien patron du MET explique d'ailleurs fort bien l'engouement des riches pour l'art contemporain : il s'adapte à tous. Moins codés, on peut être ému par Rothko (que le Castor et l'ancien patron du MET adorent) sans aucune culture historique et religieuse. Plus compliqué pour Poussin et Caravage. De plus, la peinture classique est quasi entièrement dans les musées et non marchandes alors que les contemporains ont l'avantage indéniable d'être en liberté commerciale. D'où les écuries d'artistes qui ressemblent un peu aux fermes à vaches. Damien Hirst ou Jeff Koons sont des poulets de batterie qui ont réussi, même goût fade. Le fric en plus. Le fric le fric le fric : pour tous les critiques, galeristes et autres seuls la cote des oeuvres et des artistes comptent. Le Monde d'hier déplore d'ailleurs que les artistes français ne se vendent pas bien. D'en déduire que depuis Soulages, il n'y a plus d'artiste en France, fors Boltanski et Calle. En rappelant tout de même que nous parlons sur l'échelle d'Hirst et Koons... A cette aune là, il vaut mieux être absent du palmarès mais bon. 

Sur le fric, justement, un chapitre vers la fin vaut son pesant de ce que vous voulez : la Chine. Que penser d'un village abrite 3000 artistes ? On pourrait naïvement penser qu'il s'agit enfin de la réalisation d'une utopie réalisée pour la beauté du geste. Une sorte de phalanstère peuplé de créateurs vivant pour leur art. Que pouic ! Les dirigeants chinois sont pas nés de la dernière pluie médiatique et lisent les cours des oeuvres comme tout le monde : un peu de dirigisme bien ordonné, on fait suer le burnous et au final les retombées financières iront au parti. Quand le réalisme pictural rencontre son homologue économique, à quoi jouent-ils ? A cash cash...

A lire comme un talisman avant de continuer à arpenter les galeries, ça aide à se préserver des discours de chaman pour mieux se concentrer sur ce que l'on voit et ressent.

02/12/2013

Faire ses devoirs de mémoire

6ac9d752.gifWeek-end Lillois avec notamment, la visite de l'expo au Tri Postal du galeriste Emmanuel Perrotin. Une expo immense, très inégale avec de vraies belles surprises, des choses plus contestables et du bon gros foutage de gueule : l'art contemporain, quoi. Comme de plus en plus souvent dans les musées, j'étais amusé par le ballet incessant de jeunes photographiant systématiquement TOUTES les oeuvres. J'en ai vu faire cela au Guggeheim ou à Orsay, à la Maison Rouge comme à la Tate. Partout. Une espèce de non sens total ou les audaces picturales les plus absolues, les plus grands chefs d'oeuvres sont traités rigoureusement de la même manière que des oeuvres banales ou mineures. Je sais par avance pour avoir discuté avec certains de ces maniaques du déclencheur qu'ils n'en auront pas nécessairement retiré quelques oeuvres fortes. Rien filtré ou tamisé, mais tout capturé. Ce n'est pas là que je veuille faire mon Finkielkraut, mais tout de même : une telle incapacité à hiérarchiser, à mémoriser, à chercher à s'accaparer les connaissances, est inquiétante. On voit bien au contraire comment, pour certains, la culture et les connaissances se limitent désormais à une conception acquisitrice ou consumériste : stocker la beauté, accumuler les savoirs dans sa poche ou son ordinateur. Tout à portée de main est l'argument sans cesse invoqué. Fort bien, mais concrètement, qu'en font ils ? Tout existe sur le web comme archives sur la seconde guerre mondiale et pourtant de nombreux événements restent trop inconnus. Près de 5 siècles après Rabelais, nous ne méditons toujours pas assez son "science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Le phénomène de saturation de l'espace mémorielle imminent et le risque qu'il y a à ne pas faire vivre ces connaissances accumulées a été très bien analysé par l'ancien patron de l'INA, Emmanuel Hoog, dans son livre Mémoire année zéro.

Il existe évidemment des raisons d'espérer en la matière et parfois elle vous viennent de la façon la plus inattendue. En milieu de semaine, j'ai pris un café avec quelqu'un que je connais peu, pour l'heure. Nous nous sommes rencontrés par des hasards numériques et pour des raisons qui dépassent mon entendement, à la seconde de nos entrevues, il m'a offert un livre. Pas n'importe quel livre. Un livre que je ne pouvais m'offrir, hors de prix au sens propre puisqu'hors commerce. Le récit de la vie d'engagements de ses grands parents, commençant lors de la seconde guerre mondiale. Humbles, ils ne prétendent jamais avoir été des héros ou avoir été du côté du bien. Militants communistes, ils ont suivi ce qui leur semblait juste et cela ne correspondait pas à Pétain. Pour eux, "l'engagement dans la résistance de nombreux français, c'était d'écouter Radio Londres". C'est dit sans acrimonie, plutôt en rigolant, l'oeil pétillant. Le livre est construit de façon chronologique et avant la seconde guerre mondiale, s'attarde de façon très opportune sur la révolution qu'a constitué pour des millions de travailleurs, le Front Populaire. Idem pour la suite de l'histoire, ils ne maugréent pas, mais garde intacte leur foi dans le progrès. Bien sûr, internationalistes, ils déplorent la façon dont l'Europe des marchés s'est constituée. Idem pour l'alliance avec les socialistes où ils servirent parfois plus de cache-sexe de gauche que de véritable force de co-construction programmatique.

C'est un livre rare, donc. Il a dû être diffusé dans la famille des aïeux et un peu au-delà. On ne souhaiterait pas nécessairement qu'il connut une diffusion plus large mais plutôt que des centaines, des milliers d'autres jeunes gens aillent interroger leurs grands parents. Qu'ils leur demandent d'accoucher ce que furent leurs rêves, leurs espoirs, leurs aspirations. Ca aiderait non seulement les intervieweurs, mais par effet de pollinisation, leurs proches, leurs voisins et leurs entourage, à mieux s'approprier le récit national et ainsi à vouloir lui donner de plus souriantes perspectives. Aussi, je crois qu'il faudrait parmi toutes les réformes en cours à l'Education Nationale, trouver un peu de temps pour apprendre aux jeunes à faire leurs devoirs de mémoire.