20/12/2013
Failli être flingué, mais bel et bien giflé
Petit, la flèche brisée faisait partie de mon panthéon cinématographique. Butch Cassidy, Pale Rider et quelques autres viendraient compléter une modeste filmothèque de Western. Mais je n'ai jamais versé dans ce style avec passion. Peut être pour m'éloigner des goûts de mon paternel qui a rédigé des articles dans les encyclopédies cinématographiques sur ce mauvais genre, comme on dit. Déjà que l'atavisme me poussait vers le roman noir, j'avais mon compte en termes de choix honnis par l'establishment. Les cow boys et les indiens quittaient mon univers mental à la fin de l'adolescence pour ne plus jamais y revenir. Non sans quelques sacrifices, comme ne pas voir l'adaptation ciné de Lucky Luke...
Aussi, lorsque je lus partout dans la presse que le grand roman de cette rentrée littéraire avait pour décor les plaines du grand ouest, je regimbais. Par principe. Mais de très fines et très fins lecteurs m'enjoignaient tous à lire cette merveille de style. Alors, j'ai surmonté ma répugnance. A grande, à très grande raison.
Minard écrit si bien, une langue si fluide, si riche, si incroyablement réelle, qu'on oublie parfois ce qu'on lit. Pas au sens d'illisible, au sens où nous sommes tellement transportés dans son univers qu'on la suivrait dans un western, dans l'espace, des usines ou un couvent pour le bonheur de lire. On relit souvent, dans "Faillir être flingué" tant le plaisir de lecture peut nous éloigner de l'intrigue. Quand on pense que les cuistres méprisent ces genres-là pour leur pauvreté littéraire (j'échange tout Darrieusecq, Abecassis, Houellebecq et Foenkinos contre 5 pages de Manchette), on se pince. Minard ne s'embarrasse pas de longs prolégomènes pour nous faire entrer au far west. Nous y sommes dès les premières lignes. Tout sonne juste, claque, fouette.
On sue ou frissonne avec les personnages dans ces vastes plaines hostiles, on tremble à l'évocation ou à l'approche de bêtes féroces (coyotes, ours). Une scène fut pour moi insupportable, évidement, celle où l'un des meilleurs chasseurs bâffre du castor à en vomir.... Fumier ! Faillir être flingué, ne se pitche pas, il se vit. C'est une galerie de portraits (si je dis choral, il faudra faire un jeu de mots foireux avec Okay...) et de scènes primitives et terriblement modernes à la fois.
Car le far west c'est le début de la modernité actuelle, l'accélération des télécommunications, la concurrence exacerbée et le mépris de la nature qui doit s'effacer devant la jouissance immédiate de l'être humain. Fascinant. On aime les scènes de chasse, de beuverie au saloon et surtout cette description voluptueuse de cette merveille de raffinement : les baignoires. Mais je ne vous en dis pas plus, j'espère vous avoir déjà donné envie de le lire ou de l'offrir...
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18/12/2013
Edouard aux mains de boue
Il faut imaginer Edouard heureux. Il a échappé aux sombres desseins que la pythie avait pour lui. Finalement, son destin n'est plus de lutter encore et toujours contre les forces du Grand Capital. Voilà, il s'est faufilé hors de l'usine, il a trouvé le chemin de Bruxelles et il est sauvé. Ouf. Les milliers de copains d'usine d'Edouard se sont réveillés les yeux embués, voyant que leur copain les avait abandonné. A la sortie de l'usine, un candidat FN distribuait des mouchoirs et le verre de l'amitié... Mais ça c'est une autre histoire qui s'écrira, à coup sûr, dans 6 mois.
Comment peut-on lire ce revirement sans vomir ? On peut y voir une certaine cohérence: le PS demande l'abolition de la prostitution pour cause de pratique inhumaine et offre donc à Edouard Martin un job de pute de luxe. Voilà pour l'outrance. Plus prosaïquement, je me demande ce qui m'horripile le plus dans cette histoire. Qu'Edouard Martin ait craqué après quelques années de lutte et ait goûté les petits fours et les petites phrases à force de passer sur les plateaux télé ? Assurément. Mais je crois avoir encore plus de rancoeur pour ceux à l'amoralité assez forte (Hollande, Ayrault ? Un autre) pour avoir eu le toupet de lui proposer la tête de liste. Si le long naufrage de Florange n'est pas uniquement le fait de François Hollande, il faut tout de même que ce dernier accepte ses responsabilités quand il en a fait la grande promesse ouvrière de sa campagne. Florange, c'est le symbole du cynisme, du renoncement éternel du PS à changer le monde et maintenant, en récupérant Edouard Martin ils ajoutent l'insulte à la blessure comme on dit dans la langue de l'économie cannibale... Le PS ne se rend même plus compte de ce qu'il fait tous les jours, qu'il avance comme un gros Moloch répugnant qui lamine toutes les promesses faites en 2012 : verdir l'économie, lutter contre la finance, réenchanter le monde du travail. Et c'est business as usual. De la technocratie, de la superstructure partout et une politique fiscale de gribouille. Ils nous évitaient un seul affront de l'époque Sarkozy : la politique par casting. Un reste d'élégance. Fini... D'un autre côté, la CFDT affiche plus de constance. Ils ne promettent jamais rien : sociaux-traîtres hier, aujourd'hui et sans doute demain. On dit que Merckx est le plus gros porteur de maillots jaunes de l'histoire, mais comparé aux leaders CFDT, c'est un poussin...
Dans La société de défiance, comment le modèle Français s'autodétruit, le trio Algan/Cahuc/Zylberberberg montre que les français sont les plus réticents à croire leurs dirigeants. Cette nomination contribue à alourdir le fardeau. Mais le PS s'en fout, lui qui ne va pas sombrer aux municipales grâce à l'étiage incroyable du FN, lui qui n'aime pas l'Europe et s'en fout des européennes. Les régionales sont plus ennuyeuses puisqu'avec 21 régions sur 22 détenues par la gauche, les élections de 2015 s'annoncent façon "chronique d'une mort annoncée". Leur problème...
Reste pour les communicants à tenter de sauver la face en rédigeant à la hâte un récit de ce cocufiage en règle. Le pire, c'est que le PS pourrait en partie réussir son OPA mentale. Ils veulent envoyer à Bruxelles quelqu'un qui a le sens du combat syndical, qui propose une autre voie... C'est vraiment du social washing grossier, mais ça passe. Par rapport à une UMP qui vire un sortant compétent, travailleur et polyglotte (Arnaud Danjean) pour mettre une inculte, à peine monoglotte et feignasse (Morano) doublée d'une europhobe patentée... Dans le duel UMP / PS, le PS n'est donc même pas perdant et c'est tout ce qui les intéresse. Le 3ème larron de l'élection dans cette région, Florian Philippot, voit le boulevard électoral dont il disposait déjà, s'élargir jusqu'à l'indécence.
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17/12/2013
Bonheur romanesque
C'est un livre qui donne envie de lire d'autres livres. D'autres romans. Un livre qui donne envie d'être éditeur pour connaître cette extase si rare de la découverte. Un livre fresque, où les premières pages sont une incitation si chaleureuse à la suite que l'on sait qu'on se séparera à regret. 440 pages plus tard, on se quitte bons amis mais on ne dédaignera pas une suite, même si la fin n'appelle pas franchement les prolongations.
J'avoue deux choses honteuses. D'abord, je n'avais jamais entendu parler de l'auteure, Emmanuelle Bayamack-Tam, alors qu'il semblerait qu'elle a déjà rédigé presque dix livres. Je n'en retrouve aucun en poche, signe que l'auteure ne rencontre pas le succès qu'elle mérite. Celui-ci est sorti en début d'année. J'ai lu peu de presse dessus, mais Internet a gardé quelques traces d'une renommée discrète mais laudative. Deuxième honte, j'ai été happé par un bandeau de prix. Généralement, cela me laisse froid et "Prix Etonnants Voyageurs Ouest France" a beau être une mention sympathique, cela ne me faisait pas bouger. "Prix Alexandre Vialatte", en revanche, par déférence au grand auvergnat, je l'ai humé. Une quatrième de couv' qui ne disait rien, un titre moche comme ceux des -beaux- films de Jacques Audiard, mais quelque chose de magnétique dans le style. J'ai plongé.
D'abord, il y a une voix, drôle et détachée. Un style, fleuri et imaginatif en diable. Surtout, ce livre tient grâce à l'admirable récit savamment décousu par la narratrice, Kimberly. Personnage attachant pour son intelligence supérieure stupidement venue sur terre dans une famille Bidochon. Elle est drôle et piquante sans jamais être inhumaine. Touchante et forte car elle sonne vrai en diable, qu'elle récite du Beaudelaire, contemple ses dread locks ou finit la nuit en dansant au Pacha. La galerie de portraits féroces de ses soeurs, stupides et luisantes, de sa mère, aigre et mauvaise ou de son père, tatoueur de son état mais dont le cerveau n'imprime rien. Il y a aussi le petit copain depuis l'enfance, la vieille dame indigne rencontrée par hasard et beaucoup d'autres encore qui sortent de ce roman choral. En lisant ce roman, j'ai pris le même plaisir que lorsque j'ai rencontré la saga Malaussène de Pennac. Mais avec 20 ans de plus. Putain 20 ans... A 13 ans, Pennac était une obligation et une rencontre pour moi singulière ; la lecture pouvait ne pas être une purge. Bien vite la Princesse de Clèves me persuaderait du contraire et je délaissais les livres pour les consoles de jeux. Voilà pour ma confession sarkozyste...
Emmanuelle Bayamack Tam peut être lue à 13 ans, mais aussi à 33 (avec des poussières, d'accord) 53, 73 (je prends de l'avance pour quelqu'un) ou encore 93, -113 sans doute, mais le panel de lecteurs est plus restreint- tant on veut suivre l'auteure dans sa joyeuse sarabande. Noël approche, vous risquez lourd en offrant un prix de l'automne déjà choisi par d'autres, ruez vous plutôt sur cette merveille d'humanité qui n'a pas été réveillée par les trompettes de la renommée. Sans doute dormait-elle comme une bienheureuse.
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