26/12/2013
Crier au loup, son admiration
Je m'attendais a minima à trouver un très bon film du 25 décembre. J'ai trouvé un très bon film tout court. Le Scorsese que j'aime, celui de Taxi Driver, des Affranchis, de Gangs of New York et bien sûr, de Casino. Je dis biens sûr, parce qu'en sortant, on est tenté de dresser une liste de points communs entre les deux films. Ils durent 3h, avec un acteur central qui crève l'écran, une narration assez classique (très haut, on repart de la base, on atteint le sommet, chute), mais fort bien tournée, des plans nerveux et une débauche de moyens. Bon. Le Loup de Wall Street vient quinze ans plus tard, c'est encore plus rapide, plus fou, plus de débauche et de rythme. Tant mieux.
Je ne suis pas fan de cela dans l'absolu, mais ici la vitesse sert un propos sur la folie. Je lis dans beaucoup de critiques sur le film (lues a posteriori, évidemment) qu'il s'agit d'un film sur l'Hubris. Ce à quoi je n'abonde qu'à moitié. Car l'hubris est proche de la mégalomanie, c'est autour de vous que ça se passe et il vous en faut plus. Jordan Belfort (di Caprio dans le film) veut la place de n°1, le plus gros yahct, la plus grande maison et la plus belle femme, c'est entendu. Mais ce que montre très bien le film, c'est qu'il est complètement drogué. Au sens ou l'entend la médecine puisqu'il boit plus que d'entendement et se met dans le nez (et beaucoup de pilules, également) de quoi faire blêmir une équipe complète d'addictologues. Jamais il ne peut voir qu'il a gagné, qu'il peut s'arrêter et continue ses arnaques alors même que contrairement à Madoff, il n'est pas embarqué dans une arnaque sans fin à la Madoff avec une pyramide de Ponzi. Non, Belfort aurait pu s'arrêter, mais il était trop drogué.
Par rapport à l'argent, toujours, le film montre magistralement trois choses. D'abord, le fait que vous n'en avez jamais assez quand bien même vous ne savez absolument pas comment le dépenser. Le type rentre chez lui en hélicoptère, emploi une armée de domestique, à bien plus que tous les signes extérieurs de richesse et pourtant il panique à l'idée de perdre une partie de sa fortune qu'il enfouit en Suisse sans savoir ce qu'il en fera. Ensuite, et c'est la morale (laïque pour une fois chez Scorsese) l'argent rend fou les pauvres. Le propos commence par montrer que l'on arnaque bien plus facilement les pauvres hères que les autres, fait connu. Mais là où cela devient retors et fascinant c'est de voir ces mêmes ploucs, ces mêmes relégués du système se venger en étant prêt à dépouiller les riches. Ils n'ont pas de morale, pas de limite, pas de borne. Ils sont prêt à tout, littéralement et le film le montre jusqu'à la nausée. La métaphore est longuement filée sur le surnom du protagoniste, le loup affame ses troupes pour qu'il continue de vouloir déchirer le magot. Dernier point rarement aussi bien montré qu'ici, l'argent est une fable. Une fable qui nous anime en permanence, bouge tout le monde et pousse aux pires vilénies. Une fable au sens où les dettes publiques sont une fable (les gens sensés savent qu'elles ne seront jamais remboursées car cela reviendrait à susciter des révolutions dans tous les pays qui se mettraient à vouloir entrerprendre pareille hérésie politique) comme les grandes fortunes. Il n'y a pas d'économie derrière les bourses, mais cela ne veut pas dire que les boursiers ne gagnent pas des fortunes ; ça, le film le souligne parfaitement.
En ressortant, une interrogation demeure lorsqu'on resonge à Casino. Pourquoi condamne t'on autant les uns et pas assez les autres ? Les sommes en jeu sont évidemment dérisoires chez les mafieux en comparaison. Scorsese pousse évidemment le parallèle en filmant de la même manière les rails de coke avec billets de 100 $, machine à compter les billets (les mêmes chez les banquiers suisses et dans The Wire) putes à gogos, monde ultra masculin, d'une mysoginie sans nom et d'une homophobie aussi crasse que très suspecte (tous ces mecs n'ont pas résolu des trucs, quand même) et archi violence verbale permanente. Pire, alors que l'on en vient à comprendre les gangsters et à les aimer un peu, tous les mecs ici sont détestables, vomitifs. Bien sûr, il y a le pardon par le don, problématique classique, mais chez Belfort ce n'est même pas le don de wise guy qui donne à l'opéra, aux hôpitaux, orphelinats, école ou église, non c'est une aide à des pauvres hères comme lui pour qu'ils deviennent des hyènes et le servent encore plus. Donc pas du don. Des ordures pures et simples. L'autre différence entre les escrocs tient dans la religion. Pas de curé, de pardon, de sanctuaire ou de limite chez les boursicoteurs. De toutes façons, ils ne croient en rien et n'espèrent rien. Peut être parce que pour eux, contrairement aux mafieux, ne voient jamais leurs victimes. D'où leur inhumanité totale. Glaçant, vomitif, révoltant. Le cocktail brutal à consommer dès que possible quand même.
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23/12/2013
Ou est le gras ?
"Il faut tailler dans le gras des dépenses publiques". Cette phrase est répétée comme un mantra par l'ensemble des responsables publics. Après y avoir vu la ritournelle favorite des libéraux et de la droite la plus dure, j'ai fini par me ranger à y trouver une certaine justesse. A certaines conditions préalables, mais quand même. L'idée qu'on peut benoîtement considérer que 57% de dépenses publiques n'a rien d'alarmant m'intrigue. A titre personnel, c'est surtout parce que la qualité de service n'est pas à la hauteur de l'investissement que je suis mécontent et de façon plus citoyenne dépassant mon petit moi, que je suis consterné.
Noël arrivant, celui qui veut me faire un cadeau m'indique un lien me donnant une vue précise des dépenses publiques. Pas le budget ou les comptes de la Sécu, les régimes des retraites ou autres grands postes de dépenses. Ca, on les retrouve aisément. Je parle de tous ces interstices de budget, ces fameux "jaunes" budgétaires qui contrairement à ce que l'on trouve dans les oeufs ne sont pas nourrissants. De l'aveu même des hauts fonctionnaires en charge de budgets avec qui j'ai pu discuter de cela, le "jaune" c'est une espèce de fonds de réserve alloué de façon discrétionnaire. Comment ne pas croire que le drame français relève d'une multiplication de ce type de mannes ? Couplé avec une multiplication à l'infini d'agences, de comités, de centres de gestion, et de strates intermédiaires plus dures à anéantir... Eparpillées, dispersées, si on les met bout à bout, cela forme un amas de dépenses colossales, provoquant cette obésité de l'Etat qui empêche de relancer le service public.
Chez Copé cela donne "enlevez moi un 1 million de fonctionnaires et je remettrais la France en marche". C'est évidemment imbécile. En revanche, chez Jacques-Antoine Granjon, le patron et fondateur de ventes-privées.com ça donne une déclaration plus intéressante "je suis patriote. Nous avons le plus beau pays au monde et je suis heureux de payer mes impôts pour contribuer à sa marche. La seule question que je pose est : puisque je paye autant d'impôts pourquoi les profs, les flics, les infirmières sont-ils si mal payés ?". Je ne saurais dire mieux.
Dans les tracts des syndicats patronaux, on nous exhibe toujours les rémunérations exceptionnelles des très hauts corps de l'Etat. Oui, les inspecteurs de l'éducation nationale gagnent très bien leur vie, idem pour quelques mandarins au sommet des hiérarchies culturelles, sanitaires ou judiciaires, mais globalement on ne peut pas dire que ceux qui choisissent la fonction publique le font par amour de l'argent. Plus préoccupant, pour le dire en termes informatiques, si on fait la différence entre front office et back office, à savoir les représentants de la puissance publique qui sont au contact des citoyens et ceux qui gèrent, on se pose des questions. A tout le moins. Sans parler de complotisme. Je connais dans le détail les rémunérations des profs, depuis la maternelle jusqu'à l'université et ce n'est pas ça qui ruine le pays. Idem pour les flics, de l'homme de la rue jusqu'au commissaire. Les sages-femmes, les infirmières, les médecins hors dépassements d'honoraires, nos juges, greffiers. Les responsables de Pôle Emploi... Tous ceux qui, au quotidien, traitent avec les français ne sont pas guettés par l'obésité salariale.
En revanche, j'en ai vu dans ma vie des commandes faramineuses en rapports, en études, en conseil, en frais de représentation et communication (balle dans le pied, je sais)... Des voitures avec chauffeur servant des "sous directeur à la planification de la refonte raisonnée", des nouveaux adjoints "à la modernisation", toute une para, une méta et une méta-para administration hypertrophiée. Des subventions versées en dépit du bon sens jusqu'à des investissements faramineux pour une utilité sociale discrète (sait-on que le compteur intelligent d'EDF va coûter 1,7 milliards d'euros ?). A l'évidence, le gras est là et le supprimer redonnerait tellement de souffle à l'action publique. Pour une fois, ne faudrait-il pas combattre le mal par le mal ? Nommer une nouvelle agence, ou un Haut Commissariat ?
Non, je ne suis pas contradictoire. Il suffit de prendre des garde fous. Première condition sine qua non, qu'il soit biodégradable, c'est à dire nommé pour une durée donnée, de 3 ans par exemple. Ensuite, qu'il soit constitué uniquement de non élus. Des purs tenants de l'intérêt général venant d'univers différents, représentants d'une diversité de parcours, de secteurs. Enfin, qu'il s'engage justement à ne pas toucher au front office, c'est à dire aux fonctionnaires en contact avec les français, mais à un objectif drastique et raisonnée de dépenses du reste. Petit papa noël, c'est à toi de jouer...
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22/12/2013
Progrégaire...
L'implacable course en avant du progrès n'est peut être pas sans fin comme le croyait un peu naïvement ses avocats. Au contraire, la phrase de St Just selon laquelle "le bonheur est une idée neuve en Europe" doit s'actualiser sans cesse comme un logiciel informatique, sous peine d'être vérolée et de buger. Comme aujourd'hui...
J'ai souvent été frappé par la montée en puissance récente des thèses empreintes de pensées magique, selon lesquelles le progrès social était inéluctable. Que c'était uniquement une question de temps et de génération. Non pas que je redoute quoi que ce soit des jeunes en particulier, mais c'est partir d'un postulat bien hasardeux que de croire que les jeunes, en tant qu'amas indifférencié, seront forcément plus progressites que leurs aînés. On le voit avec les résurgences actuelles de mouvement à caractère racistes. Encore que cela reste impalbable, intangible. On pare la génération qui vient de toutes les vertus, ce qui par ricochet peut exaspérer les aînés qui ont le pouvoir et peut également radicaliser les plus jeunes non conformistes. Les débats sur la loi du mariage pour tous en furent une excellente illustration : alors que tous les sondages indiquaient une différenciation gigantesque par classe d'âge (une courte majorité opposée chez les +75 ans, une égalité en dessous, un bel avantage chez les moins de 50 ans et un raz de marée en faveur de la réforme chez les moins de 25 ans) les caméras de télévisions n'ont eu de cesse d'exhiber les jeunes du mouvements avec le même acharnement qu'elles ont de montrer les trains qui déraillent ou la neige en juillet...
Cela serait une bataille sans fin, comme pour les manifestants, de mesurer le repli grégaire d'une société à l'aune des mouvements de protestations. Trop incertain, comme les recensements d'actes à caractère raciste effectués par des assocs. Ce n'est parce qu'ils ont l'étiquette "good guys" qu'il faut se fier à leurs outils : c'est très triste, infiniment triste à dire, mais un certain nombre de tocards ont fait de l'antiracisme un plan de carrière et prennent un malin -et infect- plaisir à agiter des chiffons rouges toutes la journée pour mieux justifier leur existence. Passons.
Les lois, en revanche, sont concrètes. Or, la décision du gouvernement espagnol de faire passer un texte interdisant quasi intégralement l'avortement signale un violent retour en arrière. Seules exceptions, lorsque le foetus sera le fruit d'un viol (l'évidence de la preuve ne brille pas toujours) ou lorsque celui-ci mettra en danger la vie de la mère. Une régression sans précédent qui, en dépit de protestations vives, est passée par la voie démocratique. L'extension du domaine du grégaire, c'est aussi le fait de faire porter à des boucs émissaires leurs propres limites. Ainsi à t-on pu voir pendant les manifestations d'oppositions au mariage pour tous une vraie haine rejaillir en disant que "ces gens-là" ne seraient pas capable d'adopter et d'élever des enfants, pour mieux masquer les limites actuelles d'un modèle qui poussent de plus en plus de couples à se déchirer, à ne pas réserver l'attention nécessaire à l'éducation, à n'en faire qu'à leur tête. A chaque fois un papa et une maman, comme ils disent.... On peut voir là un reportage effarant sur les dérives du libéralisme, des "enfants kleenex". Dieu n'est jamais loin quand des conneries pareilles sont là. Comme le dit le reportage "les victimes sont les familles, les coupables sont les enfants". Connards. Comme d'autres connards continuent, au nom de la religion à inscrire leurs enfants dans des thérapies pour les soigner de cette terrible affliction : l'homosexualité. Derrière toute régression sociale, il y a un clergé, si mes exemples sont choisis parmi le catholicisme, c'est que jusqu'à preuve du contraire, il s'agit de la religion la plus influente dans les démocraties occidentales, mais je ne me fie évidemement pas plus aux autres monothéismes.
Sur ce, un progrès est certain pour les six mois à venir : les jours vont rallonger. Ouf.
09:58 | Lien permanent | Commentaires (0)