02/01/2014
Moins de cow-boys et d'indiens en 2014 ?
Dans un des premiers épisodes de la série A la Maison Blanche (the West wing) un des conseillers du président des Etats-Unis, Josh Lyman, fait part de son appréhension au chef "nous parlons de plus en plus de nos ennemis". Et le président d'abonder. La phrase est anodine et correspond pourtant à une réalité socio historique forte, suite à la fin de la Guerre Froide, le consensus dans un monde adepte du libre marché n'est pas venu. Notamment parce que le cerveau humain a besoin d'un ennemi pour se développer. L'adhésion, la collaboration, l'agrégation ne constituent pas une colle humaine suffisamment forte. Du moins pas au point de détrôner la nécessaire tentation compétitrice, quand ce n'est séparatiste ou belliciste.
Depuis cet épisode filmé en 1999, il y eut quelques événements mondiaux qui ont accentué cette vision belliciste de l'existence. Le 11 septembre bien sûr, qui a réactivé pour le plus grand bonheur des va-t-en guerre un ennemi tout désigné sur la planète -les barbus- mais aussi, de façon paradoxale, la démocratisation d'Internet. Thèse aujourd'hui encore très controversée tant nombre d'intellectuels se sont engagés en faveur d'Internet en tant qu'outil résolument démocratique, à la limite du communisme. Mettant à disposition un flot historique de connaissances, les tuyaux du web allaient permettre une élévation sans précédent des connaissances humaines et donc, diminuer les conflits. My ass. Il faut relire les flots de conneries ayant entouré la naissance de la télévision, on retrouve le même genre d'utopies. Dans les 2 cas, il suffit de faire un commentaire de texte de Rabelais et de son "science sans conscience". Idem pour l'extension des médias de masse : sans éducation préalable, ils n'ont pas de raison de constituer un progrès intrinsèque.
Je pense vraiment que l'un des plus grands essais de 2013 est "La démocratie des crédules" de Gérald Bronner (PUF) pour sa démonstration de ce que le web est un espace qui produit de la "mêmeté" idéologique, notamment parce que les gens ne se LISENT pas. Et aussi parce que les gens n'APPRENNENT pas comment chercher. Du coup, le web renforce leurs acquis, leurs convictions et alors même que les citoyens n'ont jamais disposés de telles sources. De fait, le web sert à renforcer les convictions de ceux qui vont dessus, guidés par leurs communautés, alors même que l'ensemble des thèses existent. Bronner montre bien comment l'architecture du web et des réseaux sociaux -l'archétype est l'existence du "like" sans "dislike" ou autre type de nuance- est un vaste hangar d'approbation qui peut se révéler dangereux...
Aux Etats-Unis, cette hystérisation croissante, cette opposition des uns et des autres est de pire en pire. L'Institut YouGov a montré la progression croissante de la part du "Bashing" dans les débats politiques : en clair, vous passez plus de temps à dénigrer vos adversaires, qu'à avancer vos idées. Navrant. Surtout quand le même institut pointe une hausse inouï des mensonges factuels. Vous démontez l'ennemi à coups de rumeurs, de croyances, de faits mal digérés colportés par ceux de votre camp sans écouter l'adversaire. La France n'en est pas là, heureusement. Mais cette vilaine pente, nous l'empruntons aussi.
Deux exemples récents tirés de ma propre expérience (bon point d'observation dans la mesure où j'arrive à me regarder correctement) m'ont rappelé (j'étais relativement au courant) l'homogénéité forte de mon réseau numérique. Je ne fais rien pour la contrôler, l'organisation en rizhome d'Internet est ainsi faite qu'elle attire les "likant" et éloigne les "dislikant". Pas exclut. Tout ceux qui me connaissent réellement savent ma passion pour le débat, le conflit, les idées. Je ne retire personne de mes contacts facebook, ne prohibe personne, n'enlève pas les commentaires qui me déplaisent. Car j'aime le débat, le conflit, l'opposition d'idées. Et que ce soit sur des thématiques sociétales -mariage pour tous, euthanasie à venir- ou plus politiques -ras le bol fiscal- voire inclassable -Dieudonné- l'évidence veut qu'à une exception près (il s'appelle Patrick Bertrand et dirige une très belle assoc Passerelles & Compétences) mes détracteurs pourrissent mon mur Facebook sans m'avoir lu. Et ça me navre. Pas pour le mur. Mais pour ce que cela dit de la violence des échanges en milieu tempéré. Parce que je pense que ce mur peut refléter un micro bout du débat sur le mur France. D'ailleurs, mes détracteurs sur les questions ecclésiastiques m'ont récemment avoué, la boisson aidant, m'avoir retiré de leur fil d'actualité. Ne même pas lire. Etrange... Sur un mur ataviquement acquis à des thèses sérieuses comme l'enfantement d'une vierge, mes réserves casuistiques n'avaient pas leur place. Exit donc le doute laïque.
Je m'éloigne de mon cas, sans intérêt, pour revenir aux millions d'opposants au Président Hollande. Ce qui me chagrine vraiment est qu'ils hurlent encore qu'aucun débat n'a eu lieu. On peut reprocher beaucoup de choses -j'ai une liste longue comme le bras- à ce gouvernement mais pas ça. Le débat sur le mariage pour tous s'est étalé sur un temps record, un nombre d'amendements, de dialogues et d'échanges incroyables. Mais couvert par le brouhaha.
Je sais bien que l'opposant à ces idées lisant ce texte me dira que je me comporte en cow boy et ça me navre derechef. Car si la tempérance ne fait pas partie de mes vertus et que la surenchère, parfois nimbée de mauvaise foi, m'habitent, j'écoute toujours ce que dit l'autre. Pour la bonne et simple raison que c'est la seule manière de le démonter. L'exemple récent de Dieudonné m'a montré que la parole sur ce sujet était impossible : vous êtes avec ou contre. Un dialogue avec un étudiant pro Dieudonné m'a vraiment chagriné. Il n'entend pas que je suis pour la liberté d'expression. Mais l'antisémitisme n'est pas une expression ou une opinion, c'est un délit. Je lui montre, extraits vidéos à l'appui que Dieudonné n'est pas antisioniste, mais complètement antisémite. Il me répond en substance "c'est des beaux enfoirés à la LICRA". Il n'y a pas d'échanges possibles. Et ça, c'est l'expression la plus absolue de la défaite de la pensée. Puisse 2014 inverser cette tendance. En ce début d'année, il est permis de rêver. En plus c'est gratuit ce qui devrait créer un consensus.
08:55 | Lien permanent | Commentaires (2)