27/02/2014
Tant qu'il y aura des cinéastes
Le dernier film m'ayant vraiment marqué doit être Le loup de Wall Street. Di Caprio en avait dit "c'est comme un film d'auteurs avec un budget de 100 millions $" et j'avais trouvé l'image catastrophique. Car elle insinuait sournoisement que le cinéma d'auteur était supérieur au reste et n'attendait que de l'argent pour donner sa pleine mesure. Dans le cas du Loup, il y a un excellent film, mais je ne vois pas ce que le cinéma d'auteurs vient foutre là. Lui qui arrive souvent à emmerder ses spectateurs avec un budget équivalent à trois bouts de ficelles. Et vice-versa ; inutile de s'appesantir sur le nombre de film aux budgets colossaux qui vous font fermer les paupières.
Dans un cas comme dans l'autre, l'argent n'est qu'un accessoire. Le fait est que malheureusement l'on voit de moins en moins de films réalisés avec peu de moyens. Et là, dans la semaine, j'ai vu deux films, deux grands films, dont les budgets cumulés n'atteignent pas le transfert d'un second couteau du football français.
En DVD, d'abord, un OVNI de 2011, Pater. Un film qui commence par des gros plans sur de la ventrèche de thon et des rouleaux de lard et pruneaux à de quoi intriguer. Ce sentiment d'étrangeté ne vous quitte pas tout le long du film. Il y a un propos. Alain Cavalier, le réalisateur, joue le Président de la République et demande à Vincent Lindon d'être premier ministre. Avec une seule proposition de loi à faire aboutir : instaurer un salaire maximum, sur la base d'un écart entre le plus faible et le plus fort. Voir s'il s'agit d'un rapport de 1 à 10 ou 1 à 15. Il y a 1000 façons de filmer ce scénario et Cavalier a choisi la 1001ème. Des allers/retours permanents entre la fiction et la réalité, entre l'anecdotique et le gigantisme. Sans jamais quitter des intérieurs d'appartements germanopratins (sauf un pique-nique en forêt) on voyage dans l'histoire, envisage le reste du monde. On ne sait plus bien si l'on regarde un film ou si on assiste à un débat politique. Les acteurs eux mêmes ne savent plus où ils habitent. Pour le plus grand plaisir du spectateur. Ca doit s'appeler la magie du cinéma.
Le second, je l'ai vu classiquement dans une salle obscure. Je partais voir le nouveau film de Wes Anderson, mais en arrivant au cinéma, alors que nous approchions de la caisse, "complet". Je soupirais et allais tourner les talons pour noyer ma déception dans le houblon, mais mon amoureuse voulait tenter l'autre film qui commençait incessamment sous peu, Ida. Magie des téléphones intelligents, nous avions la possibilité de regarder d'un clic de quoi il s'agissait : film polonais, en noir et blanc. Années 60, campagne polonaise. Une jeune orpheline va prononcer ses voeux et avant de le faire sort pour la première fois du couvent voir sa tante qui lui révèle qu'elle est juive. Tu parles d'un pitch...
Heureusement, nous ne nous sommes pas fiés au résumé. L'histoire est bien celle-là, mais elle est bien plus que cela. C'est une quête identitaire pour la jeune fille comme sa tante. Une réflexion profonde et désespérée sur deux destins englués dans une voie sans issue. La religion pour la plus jeune qui, pas encore entrée pleinement dedans, sent bien que la vérité est ailleurs. Le communisme pour la plus âgée, juge à même de faire passer Robsepierre pour un enfant de choeur et qui est fatiguée d'être si dure. La rencontre de ces deux flammes donne une odyssée sans démesure, mais terriblement belle. Ca aussi, ça doit s'appeler la magie du cinéma. Pourvu que ça ne cesse jamais.
08:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/02/2014
La journée de colère sans fin des jeunes français
Si les racistes sont indubitablement des gens qui se trompent de colère, celle des jeunes français a ses raisons que la raison n'ignore plus du tout. La récente enquête "Génération quoi" ne changera pas forcément la perception des décideurs de tous ordres. A tort. Il faut lire le résumé de cette enquête pour laquelle 210 000 jeunes de 18 à 34 ont répondu. Ce n'était pas un sondage de rue ou téléphonique, affaire d'une poignée de secondes. Non, il fallait se fader 143 questions, pour 20 minutes, sans rien à gagner autre que faire avancer le schmiliblick.
Cet engagement volontaire mériterait tout de même que les médias couvrent plus l'événement qu'une vaine querelle à propos d'une des rares fois où Valls ne dit pas de conneries (évidemment que Goasguen vient de l'extrême droite). Ce qu'on lit dans Génération quoi est une défiance généralisée, trait français, mais exacerbée chez ses plus jeunes représentants. L'impression de ne pas être payé à la hauteur de leurs mérites. Là aussi, on dira qu'ils ne sont pas les seuls. Mais l'écart entre leurs désirs et la réalité est bien plus fort pour eux et les perspectives de statuts protecteurs ou de confortables retraites se sont évanouies. D'où l'augmentation très vive des désirs d'exils. Désirs d'avenir ailleurs, en somme. Désirs d'autant plus fort parmi les élites. Or, et c'est là le malaise, aucun pays ne survit sans sa jeunesse diplômée. On a bien vu les conséquences désastreuses dans les anciennes colonies de l'exode des meilleurs d'entre leurs jeunes. Cela laisse les pays exsangues, momifiés et sans créativité. Contrairement aux idées reçues arguant que nous formons trop de jeunes, nos élites sont trop chétives. Si vous êtes dans l'informatique ou ingénieur, vous êtes chassés en permanence. La France devrait plus largement se saisir de l'orientation, de la formation tout au long de la vie et autres chantiers pour mettre en adéquation besoins et aspirations plutôt que d'ériger le pacte de responsabilité, cette ligne Maginot du plein emploi.
A l'instant, France Inter vient de couvrir l'enquête en citant quelques chiffres sans autre forme d'émotion. Une distance d'autant plus regrettable que l'un des enseignements majeurs de l'enquête tient justement dans la volonté de radicalisation de la part des jeunes qui rêvent d'un nouveau mai 68. On l'a vu avec les différents mouvements de ras le bol, cristallisé dans le Jour de Colère où le pus défilait en criant "à mort les juifs, les pédés" et autres joyeusetés. Le sujet a été éludé par tous, considérant que ce n'était qu'un épiphénomène. Sans voir que l'on ne parle que d'eux. Et si peu de tous ceux, très largement majoritaires, qui veulent s'engager. Le service civique était choisi par 10 000 jeunes par an il y a 3 ans. On atteindra les 50 000 cette année et 100 000 prochainement. Partout les jeunes montrent leur volonté de s'impliquer, de donner du sens pour peu qu'on les écoute et leur donne des responsabilités. On les dit égoïstes et indolents, mais dans les baromètres annuels, il ressort que la rémunération ne cesse de glisser parmi les priorités des jeunes diplômés qui veulent avant tout du sens à leur tâche et un bon équilibre vie personnelle/vie professionnelle. Un altruisme hérité des excès de l'histoire, ils ont vus leurs parents se perdre en essayant de gagner leur vie. Les aider à réussir la leur doit être l'absolue priorité.
08:35 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/02/2014
La Seule époque
Dans les interviews d'artistes du XXème siècle, une des questions rituelles était "à quelle époque auriez-vous aimé vivre ? ". Cette interrogation toute simple amenait systématiquement une réponse autre que "maintenant". L'immense majorité des interviewés étaient ce que Finkielkraut appelle (à son propos et on ne saurait le détromper) des "mécontemporains". Romantiques exaltés, avides de la Renaissance, désireux de connaître la Révolution ou le Printemps des Peuples, tous avaient des rêves d'autres temps, d'autres moeurs.
Plutôt que de nous infliger des sondages consternants de subjectivité sur le nouveau Graal, "le bonheur", il serait plus éclairant de lancer une grande enquête pour demander aux français s'ils préféreraient vivre à une autre époque. N'ayant pas d'appareillage statistique digne des haruspices, je suis obligé de m'avancer tout seul et je dirai au doigt mouillé que la proportion de personnes désireuses de vivre en d'autres temps est très faible. Ce, parce que l'instantanéité dans laquelle nous sommes plongés englobe tout, cannibalise tout.
Les arguments pourraient se tenir dans les deux camps. Pourquoi vivre dans une époque antérieure avec des périls militaires permanents, moins de droits pour les femmes, un ordre moral plus grand ou encore une mortalité infantile et adulte beaucoup plus forte ? Repoussoirs. Oui mais, pourquoi vivre dans une époque où les inégalités croissent, les périls écologiques ne reflueront pas, les maladies sexuellement transmissibles non plus, les menaces militaires pourraient tout faire imploser ? Est-on certain que l'on s'amuse plus depuis qu'on a inventé Stromae, les Neknominations et le Petit Journal ? Pas sûr.
Autour de moi, je ne vois qu'une personne qui se soit trompée d'époque. Fait pour mourir à la guerre sans se retourner, pleurer par les autres comme un héros. Mais un seul. Tous sont bien dans leur XXIème siècle. Les optimistes y verront le fil du progrès permanent de l'humanité et l'idée que politiquement, la grande marche se poursuit à un rythme lent mais certain et que le bonheur des peuples ne cesse de croître. On sait bien qu'il n'en est rien et que le bonheur comme le malheur ne se décrète pas, même en temps de socialisme triomphant. Je crois plutôt que si l'époque fait un tel consensus c'est plutôt en vertu de ce que Zygmunt Bauman dénomme la modernité liquide. Cette accélération contemporaine qui nous effraye en faisant sauter nos grands repères solides, mais nous fascine en même temps tant à l'évidence nos vies actuelles sont plus riches que les précédentes en termes d'événements vécus. Un jeune diplômé français en 2012 occupera 27 postes différents avant sa retraite, connaîtra plus de partenaires privés que par le passé. Sans doute un certain nombre de ces changements seront largement involontaires, mais cette précarité sera bien acceptée car l'idée que tout peut recommencer est la plus forte. Nous sommes donc tous heureux de vivre une époque Poker où ceux qui sont condamnés à avoir de mauvaises mains ne fracassent pas la table en rêvant de la Quinte Flush qui ne viendra pas. Mouaif, j'aimerais quand même vraiment qu'on produise ce sondage à très large échelle...
09:47 | Lien permanent | Commentaires (0)