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11/03/2015

Le nouvel égoïsme territorial

9782021230154.jpgIl fait partie de ces auteurs dont vous acheter l'essai sans même le regarder. Ho si, à peine. Pour éviter une nouvelle déconvenue à la Christian Salmon qui avait tout mis dans "Storytelling" et dont les livres suivants ne sont qu'une copie avec quelques bonus premium pour attirer le chaland. Davezies avait frappé un grand coup dans cette même collection avec un livre la crise qui vient, radiographiant les dangers pour la France minée par ses égoïsmes territoriaux et l'inégalité croissante au sein même de la France alors même qu'un ministère éponyme s'était crée...

Là, il revient avec un essai sur les nouvelles divisions au sein des Etats partout dans le monde. Dès l'introduction, il revient sur l'histoire des formations territoriales pour rappeler que les grands ensemble étatiques et supranationaux sont très récents et s'ils sont souvent l'objet de critiques dans une époque amatrice de transparence et de circuits-courts, sont malgré tout garants de stabilité et de prospérité économiques. Problèmes, à l'intérieur de ces territoires, les inégalités galopent de plus en plus vite et les tentations séparatistes émergent partout dans le monde. Parfois, cela frise l'intelligence discrète, comme l'Ecosse qui veut partir du Royaume Uni pour profiter de sa manne pétrolière. Manne aujourd'hui tarie... Mais toujours est-il que de la Padanie à la Catalogne, les volontés de repli supplantent celle du dialogue équitable à l'échelon supérieur. Or, comme le dit ce passage puissant "Dans les discours politiques, la solidarité interterritoriale est généralement traitée sur un mode affectif et idéologique. Ce serait un thème plutôt porté par la gauche, dont l'agenda ménage une large place à la question de l'égalité. Pourtant, ces mécanismes redistributifs, comme ceux existants entre les individus et les ménages, renvoient moins à des questions d'éthique ou de générosité qu'à des arguments de raison. Car l'inégalité est un gaspillage". 

Et c'est toute la brillante mais très courte (102 pages) démonstration de Davezies : redistribuer sur un territoire profite à tout le monde. Les USA sont puissants parce qu'ils ont les USA et les riches texans et Californiens (même si endettés) donnent (même si pas assez) pour se doter d'une agriculture nécessaire à son autonomie. L'auteur voudrait évidement que la redistribution fut tout autre, mais il n'est pas seuls, de plus en plus de très riches américains s'affolent de l'explosion des inégalités territoriales. On l'a vu de façon paroxystique avec Detroit : trop de déclassements et l'insécurité et la panique règneront. D'où le fait que nombre de philanthropes ont investi dans la ville. Sauver Detroit, c'est sauver les USA. Et pas sauve qui peut. La même logique doit se répandre en Europe où les vélléités de scission pullulent. Y compris en France. De façon moins violente, sans référendum. Ce que Davezies appelle "faire chambre à part sans divorcer". Je ne quitte pas le pays, mais je ne veux plus payer pour les régions pauvres. Ineptie.  

Pour qui ne scrute que la vie politique française, la conclusion peut sonner comme un oxymore "pour une décentralisation démocratique". Pourtant, ce que nous dit Davezies, c'est ce que cela ne relève plus du choix, mais de l'ardente obligation : pour continuer à mener les territoires vers une prospérité pacifiée (il parle peu des conflits des états confettis, car ça n'est pas son propos, mais on sent bien que tout cela figure en toile de fond) il faut une vraie décentralisation. Pas comme opposition au centralisme jacobin, mais comme sa complémentarité. Charge au pouvoir central de mieux garantir l'égalité territoriale, la péréquation entre régions riches et pauvres. Charge aux exécutifs locaux de mieux gérer leurs marges de manoeuvres, car eux seuls connaissent les potentialités de leurs territoires. Un jeu où tout le monde parvient à sortir de ses égoïsmes particuliers pour préserver les nécéssaires équilibres planétaires qui ont besoin des grands ensemble des nations pour mieux lutter contre les conflits, pour affronter le réchauffement climatique, pour mieux nourrir la planète. Des enjeux qui méritent bien un abandon d'ego. 

10/03/2015

Connais ta ligne rouge toi même

ligne-rouge.jpgCe post n'est pas une leçon de morale. Je n'aime guère ça, ne me sens ni compétent, ni légitime pour cela. J'aime les moralistes quand ils ont du style et du souffle, mais n'est pas Chamfort qui veut, malheureusement pour moi. Ce post, en revanche, parlera de morale personnelle, ou plutôt de sens des responsabilités. Pas que je méfie de la morale, mais le terme est impropre comme d'autres que les spins doctor de l'époque mettent trop en avant. La morale, donc, est à prendre avec des pincettes, car pour faire progresser certaines causes, une absence de morale peut redevenir un atout.  Idem pour "Ethique", que je n'aime guère sorti du champ de la médecine où il est le plus légitime. L'éthique adaptée aux affaires et au business glisse vite, l'éthique n'a pas de prise sur les divers "washing" ; et puis, ceux qui surjouent les chevaliers blancs sont parfois étonnant. Même le MEDEF s'est doté d'un code d'éthique. D'où la double esquive sémantique.

Responsabilité, en revanche, ça me convient. Au sens où l'entendait Ricoeur lorsqu'il expliquait que l'irresponsabilité est anonyme quand la responsabilité est forcément incarnée par quelqu'un. Or, l'époque charrie de la tribune, du livre, de l'argumentaire de retour positif à l'individu. Pas au sens individualiste, mais au sens où chacun doit être un acteur de changement, faute de quoi tous les grands acteurs nationaux ne changeront pas. Cela peut être vu comme un renoncement du politique, la mort des idéaux collectifs. J'entends évidement la résignation et pourtant cette idée de l'exemplarité individuelle me séduit. Dans la limite du possible : on ne peut exiger de tous les leaders écologistes qu'ils ne se déplacent jamais, mais ils peuvent limiter au maximum, encourager les déplacements collectifs... Certains déplacements ne serviront que leur ego ou leur compte en banque, dans ce cas là, il faut savoir refuser. A chacun sa ligne rouge.

La majorité des citoyens ne sont pas confrontés à ces choix, mais ils peuvent le faire via la consommation : Monsanto ou pas ? Une banque fraudeuse ou mutualiste ? Des fringues fabriquées par des adultes ou des enfants, etc etc...

Et puis au delà de cela, nous sommes donc parfois confrontés à des choix professionnels plus ou moins engageants. Sans être PDG, entrepreneur ou autre, nombre d'entre nous sommes exposés à cela : voulons-nous travailler selon ces méthodes, avec ces interlocuteurs pour ces causes ? Parfois, on peut discuter. Depuis cinq ans que je suis en free lance, j'ai relu mon CV pour un client qui me le demandait récemment et je ne vois pas de nom qui me fasse rougir. Je coopère avec nombre de fondations, de départements RSE et autres acteurs de changements, de grandes boîtes. J'ai aussi dirigé des programmes de rencontres économiques au sein desquelles j'ai fait monter sur scène une immense majorité de boîtes et d'assoc très honorables (je regrette Critéo...). Je dis bien "d'assoc très honorables", car je suis d'accord avec le fondateur du groupe SOS, Jean-Marc Borello, "le statut ne fait pas la vertu. Il y a des entreprises de bonne volonté et des associations de malfaiteurs. Voilà, souvent, la plupart du temps, on peut discuter.  

Mais il y aussi les cas où il n'y a rien à négocier, où l'on ne peut être malin et retourner la cause, faire progresser les choses de l'intérieur. Pour le dire autrement il reste des socialistes de gauche (si si) qui se battent pour changer les choses de l'intérieur. Ceux qui viendraient au FN en se jurant de virer les fachos tout en menant leurs carrières se fourvoient -consciemment ou non- ces gens-là ne changeront jamais... Adapté à l'économie, il y a des boîtes qui sont fondamentalement non changeables. Définitivement pourries. Hier l'une d'entre elles m'a fait une proposition indécente à divers titre. Indécente par la rémunération que l'on me proposait au regard du faible investissement en temps de travail que cela exigerait de moi... Indécente également du point de vue du déroulé de l'événement. Un séminaire pour cadre premium d'une très très grosse banque française sur une île au large de Toulon. 

Si j'ai pu retoquer cette proposition indécente, c'est avant tout parce que je peux me le permettre. Sans être Bill Gates je gagne suffisamment bien ma vie pour ne pas compter, ne pas être accablé de dettes ou ne pas avoir un besoin vital de cet argent pour acquérir quelque chose qui me manque. Bien sûr, ladite somme représente plus que ce que je gagne à l'ordinaire et aurait modifié mes revenus de l'année de façon conséquente. Mais le rapport gain contre perte d'estime ne me paraissait justifier un tel dévoiement de mes idées (je m'en voudrais de galvauder "idéaux"). Si j'élargis la réflexion au-delà de mon petit cas, cela me conforte dans l'idée que les responsables politiques, mais aussi de nombre de haut fonctionnaires et autres décideurs, régulateurs et contrôleurs publics doivent être bien payés afin de ne pas céder aux sirènes de la corruption par nécessité. Après, cela n'empêchera jamais certains de céder tout de même par avidité, par complaisance, cynisme ou manque d'idéaux, mais l'on peut déjà se prémunir contre la première catégorie. 

Au final, non seulement je ne regrette pas d'avoir retoqué cette offre, mais surtout je sais qu'elle fera jurisprudence dans ma vie professionnelle. Toute proposition sera toujours jugée à l'aune de nombreux paramètres, je ne ferais pas d'oppositions de principes, mais je sais où se situe ma ligne rouge. Pour éviter les injonctions contradictoires qui abîment profondément ceux qui veulent tout concilier - réussite financière et sens de leur travail - je conseille à tout le monde de trouver sa ligne rouge. 

08/03/2015

Chronique de l'incompréhension ordinaire

Singe-Incomprehension.jpgTous les matins cette semaine, ce fut la même scène sous mes fenêtres. Avec une version paroxystique, hier. Des travailleurs très lève tôt, et des voisins exaspérés qui hurlent et menacent d'appeler les flics. Des travailleurs immigrés appelés en nombre pour retaper en un temps record un resto qui fait l'angle de ma rue avec celle du Faubourg Poissonnière. Une nouvelle brique dans la gentryfication du quartier.

Ravalé ou changé de propriétaire, je ne sais, le resto ainsi retapé aura monté ses prix et ne verra sans doute pas sa clientèle s'évaporer, au contraire. A côté de chez moi, le week-end, impensable de rentrer sans réservation dans un des dix ou quinze restos chics qui poussent comme des champignons bios. Ils révèlent mieux encore que des boutiques de fringues le décalage croissant au sein du pays. D'un côté, ceux qui comptent tout, de l'autre ceux qui peuvent rentrer dans ces tavernes sans regarder la carte. Il y a, bien sûr, des tas de strates intermédiaires, allant de ceux qui peuvent rentrer exceptionnellement dans ce genre de gastos, pour une occas, à ceux qui peuvent bosser un peu plus pour se le payer, etc etc... Mais tout, à Paris intra muros, défient de plus en plus les statistiques nationales. Prix de l'immobilier, boutiques de fringues, prix des sorties culturelles et donc des restos, impossible de vivre à Paris sans de nombreuses astuces allant de parents fortunés, à un immobilier modeste (HLM, ILM, loyer de 48, propriétaire débonnaire, bail ancien...) et autres astuces pour vivre différemment (comme mes potes plus jeunes avec qui je sors boire des bières et dont je réalise qu'ils ne mangent jamais dehors. Mais ils ont une sacré descente à jeun). Si la population parisienne est de plus en plus gentryfiée, l'activité ne désemplit pas, au contraire, et il faut donc ramener des bataillons toujours plus nombreux de travailleurs pour faire fonctionner tout cela.

J'en reviens donc à mes travailleurs, ni parisiens ni même français. Ils dorment sans doute dans le camion où entassés dans une pièce proche du chantier que le proprio possède aussi. En les observant, je vois un condensé des crispations présentes dans l'actualité politique. Travailleurs français vs immigrés, coût du travail, capacité à mobiliser beaucoup de monde en peu de temps, donc conditions de travail. Des français accepteraient-ils les délais indécents, un peu fous, exigés de ce propriétaire qui veut rénover ces immenses locaux en un temps record ? Probablement pas. Alors le proprio en remet une louche et ces pauvres hères attaquent le turbin dès 7h du mat', à la masse ou au marteau-piqueur. Les riverains se plaignent, à raison. Ils font arrêter le chantier au motif qu'il est interdit de faire du bruit à cette heure. Les forçats sont exaspérés, mais interdits. Hurler, se plaindre, continuer, c'est attirer la maréchaussée... Au final, tout le monde se retrouve en chien de faïence et l'on pense que ce genre de situation est un cul de sac. Sauf qu'en réalité cette anecdote illustre tristement la crise de responsabilité : et elle incombe à 100% sur le propriétaire véreux, coupable de vouloir aller trop vite, trop fort, pour pouvoir marger davantage avec une nouvelle carte aux prix enflammés. Dans le capitalisme actuel, le principal dérèglement tient à cela : absence de responsabilité et absence de volonté de réfréner l'accélération insane au motif que si on ne le fait pas, un autre prendra sa place. Accélérer pour sauter dans le vide ne m'apparaît pourtant pas le meilleur moyen de remporter une course...