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06/10/2015

Mettons Air France à terre

Air_France_F100_im2.jpgS'il est vrai qu'une image vaut 1000 mots, alors cette chemise arrachée a définitivement tué le sens de la lutte, chez Air France. Depuis sa publication, elle tourne en boucle dans le monde confirmant, au fond, ce que la presse anglo saxonne a toujours voulu savoir : la France est un pays de dangereux communistes assoiffés de sang patronal...

Et la bataille symbolique est plus que mal engagée. Dommage. On en vient à maudire les excités qui ont fait ça, depuis Gustave le Bon, tout le monde sait ce que la psychologie des foules à d'essence fasciste et l'on peut remercier l'efficacité du service d'ordre d'avoir su éviter que l'affaire ne vire vraiment vinaigre. Ils ont évité un lynchage qui aurait définitivement anéanti tout dialogue possible...

Au fond, on devrait repartir de Max Weber qui écrivait que l'Etat a le monopole de la violence légitime. Or Air France, c'est l'Etat, l'Etat actionnaire, stratège, entrepreneur, ce qu'on veut, mais c'est une compagnie publique. Et la violence de cette entreprise est incarnée par un homme, Alexandre de Juniac, ancien dircab' de Christine Lagarde à Bercy. Il faut l'écouter, le PDG, dans la très chic Abbaye de Royaumont, déclarer sans aucun montage, plan de coupe ou propos sortis de leur contexte, que notre modèle social est archaïque (vidéo ). Tout y passe, l'âge de la retraite, le travail des enfants, l'inanité du droit de grève... Cet homme n'a rien d'un patron "libéral", c'est un malade mental... Pas au sens trivial du terme, je pense qu'il souffre et que son cas relève d'une psychiatrie et d'une prise en charge très lourde. Et qu'on ne peut pas discuter avec ce monsieur...

Par ailleurs, dans un exercice de responsabilité partagée, il faut tout de même s'interroger : jamais, ô grand jamais, un gouvernement dit de gauche n'avait soutenu une direction d'entreprise contre les salariés, allant même jusqu'à remettre la légitimité du mouvement social, et appelant publiquement à ce qu'il cesse. A ma connaissance, une seule personne s'est permis ce crime de lèse gauche : et encore une fois, sans l'accabler évidemment, c'est Manuel Valls... Quand la coupe sera pleine en 2017 et qu'on essaiera encore une fois de nous faire passer des vessies pour des lanternes en agitant je ne sais quel archaïsme syndical, sachons nous souvenir que l'archaïsme n'est sûrement pas là où on le dit... 

04/10/2015

Ha ! La mort des intellectuels...

sartre1.jpgLongtemps je me suis levé de bonne heure. De tous temps, même, en fait. Ca permet d'écouter la radio au calme. Ca permet aussi de subir Brice Couturier... Lequel, dans une déplorable chronique, nous explique somme toute que la France ne compte plus d'intellectuels digne de ce nom. Il égrène une liste de noms en déplorant qu'ils n'aient pas d'héritiers. BHL ne serait pas un nouveau Malraux. A l'évidence, et après ? Raymon Aron n'aurait pas d'héritier ? Encore heureux que personne n'ait cru bon de déverser un tel flux d'eau tiède sociologique... Emmanuel Todd ou Eric Fassin, en revanche, sont de sociologues de bien meilleure facture. Plus loin, fier de ses petits symboles, Couturier nous explique que Bourdieu n'est pas Sartre. Et là, je rigole...

Je rigole parce que j'adore Sartre le romancier, mais si sa philosophie a inspiré nombre de disciples et de groupies : combien d'intellectuels se revendiquent aujourd'hui de lui ? Quel livre d'idées a marqué des générations ? Peu.  Il fut l'intellectuel systémique, écrivant, parlant, manifestant, pétitionnant et soutenant... Incontournable pour agiter la vie intellectuelle, pour l'animer mais pas forcément pour la produire lui même. Un homme de réseaux, auteurs de beaux livres, de belles pièces, mais son existentialisme, aujourd'hui, qui le porte en étendard ? Bourdieu, en revanche, avec son oeuvre touffue, mafflue, a des disciples en pagaille, en France et partout dans le monde. Cinquante ans après leur parution, Les Héritiers fascinent toujours. Trente ans après, La distinction reste une référence indépassable pour nombre d'intellectuels. Et bien d'autres livres encore. Ne pas reconnaître cela nécessiterait une mauvaise foi intellectuelle à toute épreuve. 

On pourrait prendre le même comparatif pour tous les intellectuels, mais nous sommes dimanche et je préfère m'épargner cette fastidieuse activité, m'enfin j'espère que vous serez d'accord que s'il y a parfois des époques plus flamboyantes que d'autres, plus riches et plus prolixes que d'autres, mais ce postulat qu'il n'y a plus d'intellectuel "à la hauteur" est navrante et rappelle surtout que nous nous entêtons sottement à mettre le passé sur un piédestal. Dans la 7ème fonction du langage, le romancier Laurent Binet tue - littéralement et symboliquement - les derniers "grands maîtres" mort dans les années 80, juste avant la chute du Mur de sorte qu'ils n'eurent pas à constater de leur vivant la mort des idéologies. Ce coup de pied de l'âne fut plus que salutaire, mais nombre de critiques médiocres préfèrent y voir une impuissance du jeune auteur à égaler ses glorieux aînés... Quelle connerie... L'admiration n'implique pas la déférence, pour le dire d'une formule. On peut aduler l'intellectuel Bourdieu et ne pas abonder à tout ce qu'il fait pour composer un personnage de grand intellectuel de gauche critique hermétique aux médias dominants.

Sincèrement, qui peut croire qu'il n'y a plus d'intellectuels flamboyants en 2015 ? Lordon, Piketty, Esther Duflo, Françoise Héritier, Norbert Alter, Alain Erhenberg, Réjane Sénac, Alain Supiot, Yann Algan et maints maints autres. Au fond, ce débat qui revient très -trop- souvent est à peu près aussi navrant que le manque de respect des jeunes pour l'autorité et le travail. On peut juste déplorer que France Culture y ait consacré une matinée... 

01/10/2015

Le péril philanthropique

62f06f2fc1e758fd293ebf0545e5000e.jpg83 personnes concentrent donc autant de richesses que le reste de l'humanité... Les 400 américains les plus riches possèdent 2 340 milliards soit plus que le budget de la France voté aujourd'hui. De tels chiffres donnent le vertige d'abord, l'envie de vomir aussi. On ne peut pas se contenter d'exiger de légères améliorations, il faut à l'évidence une saignée sans précédent pour ramener un peu de moral dans ce bas monde. En dépit de l'envolée folle des inégalités, cela n'en prend pas le chemin. Trump propose des exemptions pour les plus fortunés et Hillary Clinton ne semble pas décidée à s'attaquer aux ultra riches qui financeront sa campagne (moi aussi, comme beaucoup d'électeurs de gauche, j'aime Bernie Sanders, mais un brin de fatalisme s'abat sur moi dès lors que je rêve de sa victoire). 

Tant que le Politique n'assure plus la régulation, nous en sommes réduits à demander à ces ultras nababs de faire quelque chose d'utile de leur fortune. Car ce qu'il y a de plus navrant, c'est que bien souvent, ils n'en font pas grand chose, de leurs milliards. Ils les placent, achètent des terrains, des titres, des marques, mais leur action pour changer le monde comme ils le proclament à longueur d'estrade, est plus restreinte. Depuis quelques années, on assiste à une nouvelle faim de morale de la part des 99,9% qui exigent de ces 0,1% de la planète, qu'ils rendent des comptes. Gates et Buffet ont devancé l'appel en signant un texte, The Giving Pledge, où ils s'engagent à donner de leur vivant plus de la moitié de leurs colossales fortunes, à des oeuvres philanthropiques. Bon. Fermez le ban ? Pas forcément. Pour plusieurs raisons. L'une d'elle tient au fait qu'aux Etats Unis, contrairement à la France, l'argent des fondations (et on parle de dizaines de milliards $ dans le cas de celle de Gates) peut être placé où bon leur semble pour faire fructifier l'argent. En l'occurrence, l'argent du fondateur de Microsoft est placé chez Monsanto. Avouez que la prise du Palais d'Hiver n'est pas imminente...

Ensuite, et c'est ce que montre magistralement le livre de Nicolas Duvoux "les oubliés du rêve américain", l'afflux d'argent peut empirer les choses quand, comme c'est fait dans les quartiers pauvres de Boston où il a enquêté (il s'agit de son HDR de sociologie), les philanthropes décident de faire "mieux que l'Etat", avec une haine pavlovienne dudit Etat. Ainsi, en quelques années, ils instillent l'esprit de concurrence où il était absent, dans l'école primaire et dans la santé. Ceux qui donnent pour les quartiers défavorisés le font avec leurs codes, leurs habitus, leurs morale. Ils veulent "redonner confiance" pour transmettre "l'esprit d'entreprendre" ; en termes de santé, ils veulent des pauvres minces, grâce à leurs recettes de viandes sans gras et avec des haricots verts qui remplacent les frites...

Sur ce problème d'approche se superpose un dilemme politique : là où les philanthropes interviennent, l'Etat recule. D'ailleurs, il n'est pas le bienvenu. Le discours dominant des donateurs est d'expliquer aux bénéficiaires des programmes que les allocations fédérales relèvent de la charité, contrairement à leurs dons à eux qui sont un "vecteur d'autonomie" et voilà comment on a renversé la réalité... Au final, les philanthropes organisent une grande tombola de la misère, où ils choisissent eux mêmes les lauréats, à qui ils donneront bourses et autres aides, afin que perdure le ciment de ce pays "le rêve américain"... La grande angoisse de ces nababs, c'est que les habitants de ces quartiers cessent de croire à cette fable. Alors ils en prennent quelqu'uns et les exhibent, les narrent tels des exemplas des temps modernes...

Il ne faut pas jeter la philanthropie avec l'eau du bain yankee. La philanthropie peut beaucoup, énormément, tant qu'elle est un laboratoire d'innovation sociale, là où l'Etat a peur d'aller. Tant qu'elle est un mécène culturel, pour ce que les pouvoirs publics ne peuvent financer. Tant qu'elle agit pour la recherche fondamentale, quand le politique est trop frileux pour ne pas soutenir autre chose que la recherche certaine de trouver. Alors, oui, la philanthropie peut changer les choses si elle n'a pas l'hubris de faire à "la place de", mais bien "aux côtés".