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28/11/2015

Reinventing organisations

4803223_6_9fbe_reinventing-organizations-vers-des_e3d05e4b895c2befc4fafc828b70cd29.jpgSi j'avais lu ce livre il y a 10 jours, cela m'aurait beaucoup moins convaincu. Non que ma conception du monde ait changé entre temps, mais les livres de management sont pour moins sans saveur et seul le récit habité d'un acteur économique peut leur donner vie. 

On m'avait parlé du livre de Frédéric Laloux il y a longtemps, j'ai fini par le commander et le lire au milieu d'un congrès (pendant mes pauses...). Tout m'incitait à la méfiance. L'auteur est un ancien associé de Mc Kinsey, l'incarnation la plus absolue du consensus libéral. Alors moi, les états d'âme d'un repenti de la pensée FMI.... Mais justement, comme pour les mafias, les repentis ont souvent une qualité indéniable : ils n'ont plus rien à perdre et sont prêts à aller au bout de leur confession en se posant la question de la justice de tout cela. Et pour Laloux, la question qui le guide est : pourquoi poursuivons nous un modèle dont tout le monde reconnaît l'inanité ? Selon lui, la raison est simple : nous serions prisonniers de notre système de croyances. Dans « une vision hiérarchique, il ne peut y avoir  qu’un seul cerveau qui dirige le corps, comme il ne peut y avoir qu’un dirigeant à la tête d’une organisation ». L’idée que trois cerveaux autonomes travaillent de façon coordonnée, « sans que l’un ne soit le boss des autres, n’est pas compatible avec la conviction que le monde besoin de hiérarchies pour fonctionner ». Notre vision du monde limite aussi notre façon de penser les organisations et le management, ce qui produit des entreprises sans âme. 

Pour leur en redonner une, il se fonde beaucoup sur les principes de l'entreprise libérée chère à Isaac Getz. Mais il appuie aussi très largement sur l'holacratie, système visant à une autonomie maximale des travailleurs, sans hiérarchie, ni titres ("ce sucre de l'ego"), sans objectifs chiffrés... Une hérésie en somme, par rapport à nos normes. Mais une hérésie extrêmement normée, cadrée, exigeante. Or, cette semaine, donc, j'ai déjeuné avec un génie, le genre de types au CV truffé de diplômes prestigieux qui aime avoir un titre ronflant et se mettre des objectifs fous. Mais non, fondateur d'une entreprise sociale, il a attendu que celle-ci dépasse 10 salariés (sinon c'est intenable) pour passer il y a quelques mois en gouvernance holacratique. Et il en est pleinement satisfait. Tous décident ensemble de l'organisation et définissent des sphères de compétences. Dans chaque sphère, chacun gère sachant ce qu'il a à faire. Et les recrutements sont effectués selon les mêmes modalités. Même les augmentations. D'après Laloux, dans des organisations holacratiques de plusieurs milliers de salariés la part de travailleurs estimant mériter une augmentation supérieure au cours de la vie pour cause de services rendus n'excède pas 1/4. Pas de réflexe court termiste ou égoïste. Le livre dépeint nombre d'exemples holacratiques dans l'industrie, mais aussi la santé (une entreprise rassemblant plusieurs milliers d'infirmiers en Allemagne) ou encore dans l'éducation, cette hétérogénéité est un plus indéniable. 

La seule critique que je ferai à ce livre est qu'il est vraiment écrit comme un rapport Mc Kinsey même s'il essaie de s'en extraire. C'est assez froid et lourd, mais truffé de merveilleux exemples, citations, verbatim d'acteurs libérés. J'en laisse un pour conclure, "on porte aujourd'hui presque trop d'attention à la façon de diriger, principalement, parce que l'idée est répandue que c'est la clé de la réussite économique. En réalité, on a largement exagéré l'influence réelle d'un dirigeant sur la performance technique (...). En revanche, on a considérablement sous-estimé l'importance et l'influence de l'autorité morale sur la vie et la réussite d'une entreprise". (Dennis Blake)

19/11/2015

Abnousse Shalmani, essence de France

cover.jpgLa première fois que j'ai rencontré Abnousse, je l'ai trouvée franchement exaspérante. Elle me coupait la parole, n'écoutait pas religieusement mes doctes analyses, se resservait du vin et allait fumer à la fenêtre. Une vraie tête de mule. C'est bien simple, on aurait dit moi. En femme. Et puis, on s'est revus et avons progressé : nous nous coupions mutuellement la parole, nous resservions des verres, le pied quoi. Et je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas lu son livre, sorti en octobre 2014. Deux mois avant Charlie, 1 an avant l'horreur de vendredi dernier. Je l'avais cherché dans quelques librairies (il avait connu un succès fort honnête pour un premier livre) mais sans succès et comme je me refuse à aller sur Amazon, je ne l'avais pas. Et puis il est arrivé hier dans ma boîte aux lettres, comme par enchantement. Et je l'ai lu d'une traite, avec ravissement.

Si  Jean-Paul Dubois a bien écrit "un roman français" Abnousse Shalmani a signé dans ce récit une lettre d'amour à l'esprit français. Un esprit libre et critique, jouisseur et joyeux. Dans les temps troublés que nous vivons, il faudrait demander à le réimprimer d'urgence en poche et le diffuser chez tous les scrogneugneus, tous les obscurantistes, tous les déclinistes, et deux dernières catégories essentielles. Ceux qui pensent que l'immigration est un problème, ceux qui pensent qu'on peut discuter avec ceux qui font de leur foi un projet politique. Née à Téhéran, Abnousse a montré ses fesses de petite fille à tous les mollahs, a senti une colère monter contre les barbus qui ne voulaient pas qu'elle soit leur égale.  

A 8 ans, elle débarque en France et subit le déclassement social. Pour autant, elle ne se plaint pas, au contraire. Elle découvre notre langue et nos auteurs et les apprend mieux que nous. Oui oui, honte à moi, mais c'est donc la môme de Téhéran qui m'a fait découvrir la féministe Hubertine Auclert, restée dans l'histoire pour la 1ère grève de l'impôt pour motif civique "je ne vote pas, je paye pas". Elle me parle aussi de Sade comme le dit le titre, de Diderot, de Zola et de Victor Hugo, de Louise Michel, Olympe de Gouges, Madame de Maintenon et surtout Merteuil dont elle voulait faire, nonobstant la forte opposition de sa prof de lettres, une héroïne.

Ce récit est ce que j'ai lu de plus français depuis des années, une ode à la liberté, à la curiosité, à la discussion. Internet m'apprend que Rezvani aussi est né à Téhéran. En l'occurence, Abnousse me fait penser à Rezvani en jupons : même lyrisme, même exaltation et quête d'absolu, même sens de la démesure. Le passage le plus émouvant de son livre ne concerne pas des conversations religieuses, mais un souvenir d'elle étudiante fauchée, vraiment fauchée et sans parents pour pallier. Elle arpente le marché aux livres anciens Georges Brassens (où mes parents m'ont offert tant de livres) et tombe sur une édition originale de Pierre Louÿs, son idole - dont elle ne méconnaît en rien l'antisémitisme, les opinions politiques et autres tares, c'est le styliste qui l'a séduite. Si elle l'achète, les quinze derniers jours du mois seront sans viande, sans beurre et peut être même, avec moins de pâtes. Peu importe, elle prend le livre. C'est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup : la groupie du styliste, c'est beau comme elle est.  

17/11/2015

L'étrange symphonie des variations de Godwin

f48871e47b795485d678ad92561059e4e3a22e78.pngHier, j'ai relayé un article de Jean-François Bayart que je trouvais particulièrement intéressant, lumineux parfois. Evidemment discutable et sans conteste à quelques égards un brin narcissique et donneur de leçons. Sans doute, mais pas plus qu'une analyse littéraire de Yann Moix ou un commentaire footballistique de Pierre Ménès. Au bout de quelques instants, la sanction est tombée par commentaire : "l'esprit munichois". Point Godwin en un...

Je n'ai pas insisté, depuis longtemps je ne réponds plus à ce reductio ad hitlerum cher à Leo Strauss. Mais peu après j'ai ouvert le Monde, version papier. Où des intellectuels de renom ont relu leurs papiers avant de les envoyer au quotidien de référence. Qu'y trouve-t-on ? Une palanquée de nouveaux points Godwin : Jean-Noël Jeanneney et d'autres intellectuels distingués nous expliquent, somme toute, que nous sommes face à des nazis et que toute réponse autre que leur foutre sur la gueule est d'une lâcheté sans nom. Pas de nouveaux Muncih, par pitié ! Bon. Bah c'est bien la peine d'être un intellectuel distingué, auteur de vingt livres érudits et animateur d'une excellente émission sur France Culture (Concordance des temps) pour proférer une analyse qui ne dévie en rien de celle que l'on peut entendre lorsqu'on boit un café à l'heure du laitier au comptoir d'un bar où les piliers à vos côtés agrémentent leur petit noir d'une grande rasade de calva. 

Dans un petit article rétrospectif, le Monde rappelle l'ensemble des attaques qui ont visé la culture depuis le début de l'année. Charlie, évidemment, mais comment oublier le massacre du musée du Bardo, en Tunisie, Palmyre en Syrie, le massacre de Nimroud en Irak, la glaçante attaque au centre culturel du Copenhague et vendredi, donc, le Bataclan ? Pas besoin d'aller plus loin pour comprendre que les représentants de l'Etat Islamique s'accordent avec Goebels pour défourailler quand ils entendent le mot culture. Pas de pot, au lieu d'avoir des revolvers, ils ont des kalachnikovs et des ceintures d'explosifs... 

Il y a, à l'évidence, une volonté de fermeture généralisée, de vie selon une fable étrange proférée par Al Baghdadi qui ne peut faire envie à quiquonque doté d'un iota de raison. Sauf, comme le rappelle Jean Pierre Feuillu si l'on pense que nous sommes à la fin du monde et que ces actions destructrices les sauveront et les mèneront au paradis avec 70 vierges (je n'épiloguerai pas sur ce que m'inspire cet Eden ci...). En cela, ils diffèrent largement des nazis promis à un Reich de 1000 ans par leur leader, des perspectives qui invitent donc à ménager un peu la planète . Mais ça n'est pas cette divergence majeure qui m'inquiète le plus dans le parallèle (même si elle est conséquente et que fors cette clé de compréhension, on fait fausse route). Non, ce que je redoute dans cette multiplication de points Godwin de toute part, c'est qu'il met fin au "#pasd'amalgame". C'est même la clé d'entrée rhétorique des Rioufol et autres néoréacs qui demandent aux musulmans de France d'entamer un long walk of shame façon Cersei Lannister de Games of Throne, où les bons gaulois pourront cracher sur leur panneaux "not in my name"... On leur demande d'expier leur non appartenance au nazisme. 

Mais les nazis ont été élu. Si toute l'Allemagne très loin s'en faut, n'était pas nazie, les nazis gagnaient en influence dans la rue, convainquait des milliers de jeunes déboussolés et des millions d'électeurs qui pensaient trouver du boulot, un avenir. Quels musulmans adhèrent à l'EI ? Quelques milliers de barbares pour des millions de victimes. 98% des personnes tuées par l'EI sont musulmanes. Il suffit de lire les récits des villes capturées par l'EI pour comprendre l'ampleur du calvaire, du cauchemar des populations otages au quotidiens, des femmes violées aux travailleurs réquisitionnés et aux fonctionnaires pillés. Contrairement à l'Allemagne nazie où la résistance intérieure fut faible, là du Front Al Nosra aux Yezidis et autres communautés kurdes qui s'opposent de leur sang aux barbares. Nier cela, c'est emprunter une fort mauvaise pente. Celle du point de la victoire de Dieu (amusante traduction littérale) qui comme toujours dans l'histoire, marque la défaite du genre humain...