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09/09/2016

Un nouveaux XIXème pour le XXIème siècle ?

1_1291901766.jpgDans une émission sur France Culture ("les Nouvelles Vagues") consacrée à l'exploitation des "datas" en politique, on apprenait que Barack Obama avait fait "la plus grande campagne du XIXème siècle" pour l'emporter en 2008. En effet, les informations très précises obtenues grâce aux applications de géolocalisation - l'incarnation la plus absolue du XXIème siècle-, lui avaient permis de faire une gigantesque campagne de porte à porte ; soit l'outil le plus utilisé dans le siècle de multiplication des démocraties, le XIXè. En somme, l'histoire est un éternel recommencement et en renouvelant un medium vieux comme le monde, on avait donné un coup de jeune à la politique. 

En France, évidemment, ce simili paradoxe n'est pas passé inaperçu et notre classe politique a voulu s'en emparer. Lors des primaires socialistes de 2011, Martine Aubry a demandé à ses militants de frapper à des milliers de portes de sympathisants de gauche. Le résultat de la primaire prouve que cela ne suffit pas toujours.  Macron est malin, il a embauché les équipes françaises d'Obama, Guillaume Liégey, cofondateur du cabinet éponyme qui a fait la campagne de 2008. Et il nous explique qu'En Marche, c'est le Yes We Can français... Que le renouveau du peuple, la grande marche non maoïste, le grand bon progressiste qui ravive la flamme révolutionnaire de la jeunesse, c'est Macron. Et là, on se pince.

Parce que, les chiffres sont têtus et ils sont violents avec l'ex de Bercy : Macron recueille un piteux 22% d'opinions favorables parmi les moins de 35 ans, ceux qui ne votent plus, mais est en revanche plébiscité par les +65 ans (51% d'opinions favorables). Manu, c'est le gendre idéal dont ta belle mère a besoin, mais pas la France... Manu, c'est le solutionnisme triomphant : une appli, un "meet-up", une réunion, on marche comme des scouts et hop, on résout l'abstention...

C'est extrêmement irritant cette déferlante solutioniste, tous ces nouveaux prophètes qui jouent des clivages éculés comme le clivage générationnel pour raviver leur petit ego. A chaque fois, ils semblent s'exprimer comme en lévitation, comme hors du champ du réel, eux qui prétendent l'incarner : que répondent les solutionistes à Donald Trump ? Comment expliquent-ils Marine le Pen, Victor Orban, Robert Fico ? A chaque fois, ces mouvements obtiennent l'adhésion des jeunes et sans me vautrer dans la facilité d'un nouveau point Godwin, mais force est de reconnaître qu'historiquement les mouvements qui obtiennent l'adhésion des masses jeunes sont rarement progressistes... Et 2016 ne fait pas exception, on est plus près de la relance de la production de chemises noires que de chemises à fleurs. 

Si l'on revient à notre ami Obama, en 2008, il proposait une sécurité nationale pour tous. Une promesse inespérée pour les américains. C'est sur ce même terreau d'espérance que Bernie Sanders est passé de 1% à 45% contre Hillary Clinton, grâce à ces promesses de hausses fortes du SMIC, de gratuité de l'enseignement supérieur et de la santé. C'est la retour aux utopies du XIXème. Des utopies humanistes. Résumer le changement à un presse-bouton ne fait lever personne. Il est encore temps de s'en rendre compte avant de suivre aveuglément le Lecanuet du XXIème siècle qui n'a de neuf que ses costumes...

 

 

03/09/2016

Partis d'un jour, sans retour

317_001.jpg1% de Français ont une carte dans un parti politique. C'est peu... Au-delà de cela, et à mon sens pire encore, seuls 8% des français ont une bonne opinion des partis politiques. Là, c'est le drame. Les partis, tous, sans exception, sont des astres morts. La tendance n'est pas hexagonale : aux Etats-Unis, si le Parti Républicain existait encore en tant qu'entité politique avec une colonne vertébrale idéologique et des équipes soudées, jamais Trump n'aurait fait l'embryon de la percée qu'il a commise. En Angleterre, cela tient un peu mieux, en Espagne de nouvelles formations intéressantes (Podemos, Ciudadanos) émergent. Chez nous, Walou en termes collectifs, mais une pléiade d'égos auto propulsés vers l'Elysée.

La présidentielle 2017 va mettre en lumière l'accélération de la transformation : Mélenchon parti sans attendre le PCF ou le Front de Gauche, Macron qui outrepasse le PS et Montebourg qui pourrait griller lui aussi politesse à la formation à laquelle il appartient depuis 20 ans. Ce week-end, Marine le Pen organise sa rentrée politique autour de son prénom et de son nombril en mettant le Front National sous l'éteignoir. Les étendards collectifs effrayent, pour vivre heureux, vivons solos... 

Cette nouvelle tendance est très largement alimentée par le récit médiatique qui se fascine beaucoup plus facilement pour de nouveaux visages que pour des histoires de courants idéologiques qui fatiguent les lecteurs. Les querelles suscitées par ces ambitions sont commentées également avec gourmandise "dans l'entourage de ... on moque la sortie de ...". On ne s'ennuie jamais à commenter le tiercé... Au point que nos amis exégètes du présent arrivent vraiment à dire des énormités comme "Macron pourrait tout changer". 

Le hic, énorme, l'éléphant dans la pièce comme dirait nos amis anglo saxons, ce sont les législatives. Là, à l'évidence, tous les candidats alternatifs n'ont strictement aucune chance de faire triompher leurs idées avec leurs troupes. La pesanteur, l'inertie d'un scrutin uninominal à deux tours condamne tous ce qui ne relève pas du PS ou de LR. Même le FN et ses 25 à 30% des électeurs, première force politique du pays, ne peut gère espérer plus que quelques dizaines (et encore) de députés en comptant sur une atomisation complète du paysage politique du pays. D'un point de vue purement démocratique, ça gratte... Le sémillant Macron, en imaginant (personnellement, j'ai du mal, mais prêtons nous au jeu) qu'il devienne président devra composer avec la droite ou la gauche pour avoir une majorité à la chambre, faute de quoi, il aura les mêmes pouvoirs que Chirac de 1997 à 2002. Pas vraiment suffisant pour radicalement changer la donne... 

Impossible d'ignorer cette cruelle réalité arithmétique qu'en l'état actuel de nos institutions, aucune réelle alternative ne peut survenir hors des partis traditionnels... Certes, ils ne pèsent que 1% des électeurs, mais ils concentrent 99% de la capacité de blocage. Pourtant, comme à chaque fois, les commentateurs en parlent en dernier recours et sous la contrainte. Dans une émission de C dans l'air consacré au dégoût des partis, il faut une question de téléspectateur pour qu'ils se décident à en parler, à la toute fin de l'émission et euphémisent cette question pourtant absolument majeure. Cela ne rentre pas dans le récit "d'uberisation de la vie politique" de "grand chambardement à venir' tellement plus vendeur. On peut le comprendre, la réalité est que notre vie politique est complètement verrouillée par notre Vème et que sans une décision mêlant lucidité, sens aigu de l'intérêt général et souci des générations futures de la part du PS et de LR, il ne peut y avoir d'échappatoire. Cessons de feindre l'ignorance et faisons de l'enjeu institutionnel un des débats principaux de la prochaine élection. 

01/09/2016

La folie collective de faire de l'Educ Nat notre pinata

pinata_ane.jpgOn peut y déceler un symptôme de l'époque : pour la rentrée des classes, France Inter a reçu Céline Alvarez, nouvelle grande pythie des pédagogies alternatives fondées sur la bienveillance. Je ne voudrais surtout pas me moquer, j'ai déjà partagé une estrade avec elle et elle dit des choses fort sensées, fort percutantes et démontrées. L'histoire est connue, elle a mené une expérimentation à Gennevilliers, pendant 3 ans et a obtenu des résultats spectaculaires, inouïs, avec des gamins qui ont découvert la volonté d'apprendre, l'aisance scolaire. Bravo. Vraiment. 

Le hic, c'est quand on gratte et qu'on écoute les fans de Madame Alvarez. Car elle dispose d'une armée de fans, inconditionnels et absolus, comme Mylène Farmer. Son livre fait déjà un carton en librairie et toutes ses conférences publiques rassemblent des centaines, voir des milliers de personnes qui psalmodient et attendent la bonne parole pour savoir, enfin, comment enseigner, comment éduquer, comment faire en sorte que ce crétin de rejeton trouve un autre sens à la vie que ces putains de Pokémon... Alvarez elle même est dépassée par l'engouement qu'elle suscite : interrogée ce matin sur l'apathie politique (présumée) en matière d'éducation elle est la première à dire qu'il est impossible de changer de pédagogie du jour au lendemain pour les 12,3 millions d'élèves accueillis par l'éducation nationale. Pousser davantage les expérimentations, donner davantage d'autonomie à ceux qui le veulent/peuvent, comme cette maire qui a sauvé son école rurale en la convertissant à Montessori, ce qui a permis l'arrivée de familles de communes voisines attirées par cette offre, très bien. Mais en faire l'alpha et l'omega est une hérésie pure et, au fond, un caprice d'adolescent.

L'attente démesurée d'une "nouvelle voix éducative", la haine actuelle de l'école commune me fait froid dans le dos...C'est un nouveau populisme qui grossit à vue d'oeil et l'on ne fait rien pour le stopper car c'est un populisme acceptable. Il y a une jubilation commune à taper sur l'Education Nationale comme les mômes sur une pinata lors des fêtes d'anniversaire... Les manifestations de cette haine sont très hétérogènes : aspiration à des pédagogies alternatives types Montessori, communication non violente et mindfullness pour tous ou au contraire retour à des pédagogies traditionnelles où l'on peut lire/écrire/compter. Regardez les succès de librairie : un crétin réac à souhait et facho comme pas deux comme Jean Paul Brighelli enregistre des ventes à six chiffres pour des ouvrages où il explique qu'il faut bannir l'ordinateur des salles de classe et revenir au par coeur pour mieux connaître notre histoire commune... Et ce benêt est le conseiller éducation de Nicolas Dupont Aignan quand il ne distille pas ses précieux avis à Marine le Pen. Nous voilà bien...

La critique repose sur une seule lame de fond : l'école est responsable de tout. Il y a cent fois plus de surdoués incompris depuis quinze ans, de génies ignorés par l'éducation nationale... Ca n'a rien de nouveau et je ne peux pas dire par expérience personnelle que tous les profs m'avaient bien percé à jour, mais je ne prends pas mon cas pour une généralité et surtout j'évite d'en tirer un ressentiment stérile. Les parents d'élèves aiment poursuivre d'une colère facile l'école, ce bouc émissaire si commode car il ne peut se défendre : elle ne sait pas enseigner les langues, oriente mal, n'apprend pas "les vraies voix de la réussite" et ainsi de suite... Et toi, petit parent d'élève cracheur, tu as cherché à écouté ton môme où tu l'as forcé à aller vers des voies tracées et élitistes ? Non, juste pour savoir... Faut être deux, pour réussir les jeux de massacre et celui qui a commencé n'est pas toujours celui qu'on croit. 

Défoncer l'école est devenu une facilité qui nous dispense de voir ce qui déconne chez nous. Attention, hein, je ne mets l'Education Nationale sur un piédestal immaculé, ne la pare pas de toutes les vertus, mais je m'interroge sur les raisons pour lesquelles on l'accable aujourd'hui. Quand la France dégringole joyeusement dans les classements PISA, quand nous avons une part croissante de mômes qui ne maîtrisent pas les savoirs élémentaires en arrivant en 6ème, est-ce seulement par nullité crasse de notre école publique ? Je ne crois pas. Je ne dis pas qu'un surcroît de moyens changeraient tout, mais tout de même. Les inégalités scolaires sont aussi corrélées à des inégalités de moyens folles et l'on peut savoir gré à ce quinquennat d'y avoir en partie remédié en mettant plus de moyens humains dans les quartiers ZUS comme dans les zones dépeuplées. Les résultats seront visibles dans 10 ans, on ne pensera pas à décerner les lauriers au gouvernement actuel, tant pis. Notre incapacité à voir ça nous pousse vers des solutions de panique sur le Titanic : le soutien scolaire privé explose, les listes d'attentes pour inscriptions dans des établissements privés, explosent. Officiellement illégal, l'enseignement à domicile explose aussi. Une enquête du Monde parlait de 60 000 enfants par an qui suivaient une scolarité à domicile auprès de parents qui se relayent. Une conception très poussée du chacun pour soi qui ne peut guère mener ailleurs que dans le mur.

L'adage populaire explique que "quand le bâtiment va tout va" voyant dans le signe des constructions une confiance dans l'économie et l'avenir. Mais notre vrai avenir commun se trouve dans les salles de classe. C'est sans doute plus exigeant, moins lisible, plus incertain, mais la réalité c'est que "quand dans la cour d'école va, tout va". Regardons là-bas et au lieu de déserter la cour, cherchons plutôt à y ramener les sourires.