18/10/2016
Sociale ou démo traîtrise ?
Partout dans le monde, on voit bien monter le nouveau clivage surplombant l’historique distinction entre la droite et la gauche : avec le système ou contre lui. Trump n’est pas « de droite » il est contre le système. Comme Marine le Pen, comme Orban, comme beaucoup de monde. Et même si cela nous pose un problème moral, force est de reconnaître qu’il faut ajouter à cette liste : Pablo Iglesias, Jean-Luc Mélenchon ou Rafael Correa. Ces gens que l’on aime sont en sale compagnie, d’un point de vue éthique. Faut-il pour autant se pincer le nez et les déclarer non fréquentables ?
Voilà le débat qui nous a occupé à table hier soir : vaut-t-il mieux trahir la Sociale ou l’idée idéalisée qu’on se fait de la démocratie ? Tony Blair ou Correa ? Pour mon compagnon de table, le fait même que j’ose poser le dilemme en ces termes relevait d’une pathologie de ma part. Comment pouvais-je oser me détourner de la démocratie ? Car évidemment, la binarité produit ceci de spécieux que, dès lors que vous commettez quelques anicroches aux principes « officiels » de la démocratie, vous êtes un dictateur. Ainsi de Correa qui musèle la presse… Bon. Jusqu’à preuve du contraire, il y a des élections libres, il quitte le pouvoir volontairement après 9 années de mandat unanimement salués comme une immense réussite et aucun opposant n’est mort en prison. Peu importe, il a bousculé le système : haro sur le vilain démocrate. Blair, lui, est un bon démocrate. Peu importe que sa vie post politique soit consacrée à être grassement rémunérée par des boîtes peu fréquentables (Goldman Sachs, Gazprom) peu importe aussi qu’il ait menti sur la guerre en Irak, démantelé le système de santé publique anglais, torpiller l’école, considéré avec Rawls que le chômeur est d’abord un feignant plutôt qu’une victime, exclus les causes sociales de tous ses discours officiels, Blair est démocrate, c’est donc un ami…
Les employés de bar, les taxis, le personnel hôtelier avec qui j’ai parlé ici à Quito m’ont tous dit que même s’ils ne soutenaient pas forcément Correa sur tout, le fait qu’il était de loin le moins mauvais Président qu’ils aient jamais eu. Compétent, intègre et travailleur. Il a obtenu d’annuler une dette qu’il a fait jugé illégitime, relancé la dépense publique pour les grands travaux, triplé les dépenses en faveur de la santé et de l’éducation. Toutes choses que sont dernier adversaire politique ne risquaient pas de faire, lui qui avait brandi la Bible en disant « mon programme se trouve là dedans ». Alors je sais qu’on multiplie les pains, qu’on transforme l’eau en vin et qu’on marche sur l’eau dans ce bouquin, mais les préceptes économiques pour y arriver sont mal détaillés… Avantage Correa. Et il s’en va de lui même alors que ses partisans l’enjoignaient à modifier la Constitution pour rester 5 ans de plus. Ma qué dictateur ?
De l’autre côté, donc, on a Blair ou son épigone Français, Manuel Valls. Ne revenons pas sur la trahison de la Sociale, elle fut 1000 fois détaillée et même eux ne savent plus défendre leur bilan. Interrogé sur son bilan politique Hollande ose « oui, mes mesures sur la compétitivité ont été mal acceptés, mais je devais m’occuper de l’économie et pas seulement du social ». Donc, l’économie c’est de droite ? Connard. Et traître. N’en parlons plus. Mon commensal hier n’essayait pas de sauver la Sociale mais disait qu’au moins l’honneur démocratique était sauf. Ha bon ? Et les arrestations arbitraires de militants écologistes ? Et les pressions et licenciements à France Télévisions ? Et la non protection des lanceurs d’alertes dans les affaires HSBC ou Lux Leaks ? Démocrates. Caramba encore raté. Nous avons vraiment ajouté la honte au déshonneur… Cher Rafael Correa, après un repos bien légitime, si vous voulez venir donner quelques conférences et conseils en France, je vous jure que vous aurez des millions de thuriféraires.
17:49 | Lien permanent | Commentaires (46)
11/10/2016
A mes amis qui lisent l'Obs : la honte c'est Hollande/Valls, pas Juppé.
Dans un réflexe unanime, nombre de voix à gauche s'élèvent pour hurler contre leurs congénères qui souhaiteraient aller voter Alain Juppé, lors de la primaire. Attention, hein, on ne parle pas de faire campagne, de s'emballer pour des arguments, de sous-peser des programmes. Non, on a lu toutes leurs recettes, depuis la soupe libérale classique au véritable poison. Aussi, lors du premier tour et de l'affrontement entre les 7 candidats, la réponse est simple : qu'ils se démerdent. Aucun n'atteindra les 50% et nous aurons donc encore à souffrir un second tour.
Et c'est là le problème. Eu égard à sa campagne de basse exaltation des instincts grégaires, Sarkozy sera au second tour. Et il n'y a plus grande différence entre Donald Trump et l'ex président en campagne. Economiquement "le candidat du peuple" comme Trump, propose l'enfumage : quand il propose l'exonération des droits de succession jusqu'à 400 000 euros, il s'adresse à qui ? C'est pas sérieux... Sur les thèmes sécuritaires et identitaires, qui constituent 99% de son programme, récemment un journal libéral allemand expliquait que Sarkozy dépassait Marine le Pen sur sa droite. S'il venait à l'emporter, nous foncerions donc en klaxonnant vers un second tour extrême droite / droite extrême. Youpi... Personnellement, je rêve de me tromper : si le second tour oppose Bruno le Maire à Alain Juppé, je n'irai pas voter. Je m'en fous, moi, de la droite, qu'ils se débrouillent. Mais là, comme j'ai voté Jacques Chirac en 2002 pour faire barrage au Front National, j'irai voter contre un démagogue infâme qui propose un référendum manipulé contre "les centaines de milliers de personnes migrantes bénéficiant chaque année du regroupement familial" alors qu'il s'agit de 12 000 personnes pouvant l'obtenir après 18 mois de résidence minimum sur le territoire et des revenus supérieurs à 800 euros par mois permettant de trouver un logement à la famille arrivant. Sarkozy le sait très bien, mais cette réalité ne cadre pas avec la vision qu'il souhaite vendre de grand envahissement.
Aussi, chers amis, votre argument "mais Juppé propose un programme de droite" vous êtes mignons, mais j'étais au courant, c'est un peu le principe d'une primaire de droite, en fait. Le problème vient bien de l'autre côté de l'échiquier politique et ne pas le voir relève de l'ophtalmologie, voire de la psychiatrie. Le problème c'est que nous sommes à la fin du quinquennat et que tout ce qu'il y a à sauver est "ils proposent pire en face". Vraiment ? Sur la transition écologique, sur l'urgence sociale, sur la révolution démocratique, qu'avez vous fait ? Plus d'allègements fiscaux que sous dix ans de droite avec le CICE plus le pacte de responsabilité, ceci sans influence sur le chômage. La double peine sociale, donc. Aucune inflexion de la part du nucléaire ou d'incitation à consommer autre chose que du pétrole. La jolie photo de famille de la COP 21 ne peut décemment tenir lieu de bilan écologique du quinquennat. Reste la démocratie, où l'on voit des amis de Valls (le Sénateur Luc Carvounas) qui ont déposé des amendements pour revenir sur le cumul des mandats et d'autres amis de Valls (le député Carlos da Silva) qui se sont levés la nuit pour voter dans une Assemblée déserte un amendement favorable aux lobbys financiers et empêcher le reporting par pays, ainsi que l'exigeait les ONG engagées pour la transparence fiscale... Ajoutez la loi sur le renseignement, le fait d'accoler "ministère de l'agriculture" et "de l'agroalimentaire" c'est à dire de câliner davantage la FNSEA que les exploitants individuels. Voilà le bilan. C'est ça la honte.
Aussi, quand je vois des éditorialistes de ce torchon de l'Obs donner des leçons aux électeurs de gauche en leur disant "attention camarade", je leur dis "ok les copains. Pour m'empêcher d'aller accomplir un petit devoir bêtement démocrate, montrez moi que j'ai tort en publiant les progrès enregistrés sous le quinquennat". On se retrouve dans l'isoloir le 27, hein. Sans rancune, mais avec une infinité de regrets...
10:12 | Lien permanent | Commentaires (79)
09/10/2016
Petites sorties pour grands truands
Ainsi, finalement, Donald Trump va tomber. Non pas pour avoir remis en cause le réchauffement climatique ou truandé près d'1 milliard $ d'impôts depuis 18 ans. Non pas pour avoir bâti une fortune sur des activités immorales (les casinos et la spéculation immobilière avec pots de vins aux politiques et expulsions de pauvres hères pour nettoyer les chantiers), pour avoir montré une ignorance crasse de la géopolitique, déversé des tombereaux de propos haineux sur les immigrés mexicains... Non, tout cela il l'a surpassé, il y a survécu. En revanche, pour une vidéo dérobée avec des propos salaces, là l'hallali sonne.
Les soutiens de Trump n'ont pas bronché pour le milliard de détournement ou pour la folie anti écologiste, les propos visant à un suicide planétaire, en somme. Le mur avec le Mexique ! Le mur avec le Mexique n'a même pas empêché des responsables politiques de mettre fin à la mascarade. Alors même que les propos étaient publics, réfléchis, pesés. Là, on parle d'une vidéo exhumée d'il y a 10 ans, des méthodes à la Patrick Buisson. Trois mecs à l'arrière d'un bus qui se lâchent comme des bons gros veyrats. Je n'encourage évidemment pas les propos tenus là, je rappelle juste dans quel cadre ils ont été tenus et dire qu'hélas, ils sont monnaies courantes. Il y a tout de même beaucoup plus de libidineux vicieux que d'écolosceptique... C'est pourtant sur cette base que tous les poids lourds du GOP le lâche, Paul Ryan et Ted Cruz en tête. En revanche, le colistier de Trump, Mike Pence, évangéliste et celui-là même qui aurait dû être le plus outré par l'attitude du magnat de l'immobilier, refuse d'abandonner son strapontin du pouvoir. Vous avez dit constance ?
Il y a près d'un siècle, le sanguinaire Al Capone est tombé pour fraude fiscale. L'empire financier crée par Silvio Berlusconi a brisé l'opiniâtreté de tous les juges, les montages plus que cavaliers de filiales et autres holdings a résisté aux assauts judiciaires. Il a fallu le témoignage d'une prostituée mineure pour que le Cavaliere chute enfin de son cheval dopé. On pourrait poursuivre la litanie longuement. DSK, chez nous a eu maille à partir avec la justice pour la MNEF a toujours eu des partenaires économiques peu recommandables, et des centaines de rumeurs de harcèlements, voire de viols, rien qui ne l'a empêché d'accéder à Bercy ou à la tête du FMI. Et puis, la fable de la femme de chambre qui le prive de l'Elysée et soudain, tout le monde réalise qu'il est infréquentable. Et encore, le jour où un sondeur jouisseur irresponsable s'amusera à le tester pour la présidentielle, je pense que l'on aurait une surprise effroyable. Notre capacité à pardonner dépasse l'entendement.
Peut-on mettre sur un même plan la violence physique et la violence financière ? Evidemment, non. Une vie n'a pas de prix, donc celui qui est susceptible de voler une fortune est toujours moins dangereux que celui qui pourrait assassiner quelqu'un. Bien sûr. Pour autant, le delta s'est trop élargi, récemment entre notre tolérance. On arrive côté physique à une justice digne de Minority Report : de la suspicion généralisée, des caméras dans les zones où les pauvres "pourraient" voler et désormais de l'enfermement préventif pour les potentiels auteurs de crimes. Pour quels résultats ? Déplorables, évidemment. Cette logique populiste de herses, de lignes Maginot sécuritaire ne résoud rien. Pour autant, on en rajoute encore des louches jusqu'à la vomitive proposition référendaire de Sarkozy qui dit qu'en gros tous les porteurs de Djellabas ou tout ceux qui ont commandé un Coran ou regardé une vidéo de Tariq Ramadan doivent aller en prison au motif spécieux "qu'il n'y a pas de fumée sans feu". Dans le même temps, on laisse se présenter aux élections des responsables mis en examen à plusieurs reprises dans une multitude d'affaires d'une gravité extrême et pour lesquelles on trouve systématiquement un "faisceau d'indices concordants". Là, si vous exhibez le chiffon du "pas de fumée sans feu", on vous hurle dessus, on vous rétorque "principes républicains", "indépendance de la justice", "présomption d'innocence"... A ce point de deux poids de mesures, la nausée est la seule attitude convenable.
13:31 | Lien permanent | Commentaires (28)