06/10/2016
Primaires, la collision des temps
L'avenir n'est jamais certain, d'accord, mais ça n'est pas une raison pour s'y rendre en zigzaguant sans cesse. Du point de vue de la constance, les primaires actuellement à l'oeuvre (sans doute moins pour celle d'EELV, mais son audience confidentielle et son influence itou pour faire référence à un précédent billet, fait que l'on s'en contrefout) à droite et à gauche ont de quoi laisser pantois. Et pour parler franchement, nous donner la gueule de bois démocratique.
Ce matin, NKM, que l'on classerait volontiers comme une des plus modérées de la primaire, reprend à son compte la proposition phare d'Hervé Mariton, resté en rase campagne faute de parrainages : la flat tax. Cette décision libertarienne que pas un candidat de droite n'ose brandir, voudrait que Bernard Arnault et un employé de chez Sephora s'acquittent de la même proportion d'impôts. Exit la progressivité sur laquelle repose toutes les fiscalités au monde, à plus ou moins forte échelle. On se pince. La journaliste aussi, qui demande comment compenser l'immense injustice sociale causée par une telle mesure. Et là, je crois que l'on bat des records de démagogie, pour ne pas dire d'ignorance crasse et de connerie pure : NKM nous propose un revenu universel à 470 euros par personne après avoir ôté toutes les aides. Pour quelques millions de foyers, cela correspond à une perte sèche (si on enlève l'aide de la CAF, la prime à l'emploi, le RSA activité et autres) de plusieurs centaines d'euros par rapport à 700 ou 800 euros d'aides qu'elles touchent. En clair, on vous supprime des aides et on vous demande de payer plus d'impôts. Mais quelqu'un de censé relit-il le programme de celle qui aime à rappeler qu'elle est passée par l'Ecole Polytechnique, l'empyrée de nos mathématiciens ? Pitié... Elle a juste pris une mesure orpheline politiquement et celle qui pousse dans le débat public (le revenu de base) et les a passé au shaker en espérant que le cocktail serait buvable. Raté...
Cela dit, n'accablons pas NKM, j'en vois au moins 3 qui l'égale dans les palinodies programmatiques sans nom pour complaire à l'air du temps changeant : Sarkozy, évidemment, mais aussi Fillon et de l'autre côté, Montebourg.
Sarkozy... Faut-il préciser ? Le changement climatique, l'identité, les racines de la France, l'assistanat, le travail, les impôts... Ce bon monsieur se contredit sans cesse, ça n'est pas moi qui le dit ce sont les décodeurs du Monde ici. Edifiant. Rien à sauver. Allez hop, suivant. François Fillon.
Quelle décrépitude... Il commence sa campagne avec une dignité toute IIIè République, quasi Mendésienne, type "je perds, mais je m'en fous, je ne dévie pas de mon programme" et la rouste approchant, l'orgueil reprend le dessus et il se lâche en hurlant des insanités dignes d'Eric Zemmour (qu'il est curieux d'accoler la notion de dignité et le nom de ce mange merde...). Dans son livre sorti à la va vite et intitulé "vaincre le totalitarisme islamique" il ose, (page 57 pour ceux qui ne me croiraient pas) citer les historiens nauséabonds et crapuleux qui évoquent l'admiration du Mufti de Jérusalem pour Hitler et en déduire une thèse selon laquelle l'islamo-nazisme est une constante de l'histoire. Et le même d'oser la comparaison entre le massacre des chrétiens d'Orient et ce qui pourrait survenir en Occident si nous n'y prenons garde. Pauvre loque... La description est vomitive : il explique qu'on ne peut plus enseigner la Shoah nulle part et que "l'Ecole a démissionné". Bah vas y le marquis de la Sarthe, enseigner là où tu ne foutras jamais les pieds. Pauvre con. Et la fin, avec ces propositions est plus grotesque encore : contre le terrorisme islamique, il faut expulser par milliers (lui a t'on dit que les terroristes étaient français, pour la plupart ?), construire des dizaines de milliers de places de prison, réarmer l'école (bigre) et demander au GAFA de lutter contre la propagande islamique (c'est comme si c'était fait). La vieillesse est un naufrage, la peur de la défaite électorale aussi.
Reste Battling Montebourg, le challenger, l'outsider, le bretteur qui monte et à la fin de l'envoi qui touche. Regardez le claironner, tempêter, rouspéter pour au final devancer Hollande dans les sondages de la primaire à gauche. Fichtre, c'est donc qu'il a un programme économique qui fait mouche ? Sur l'écologie, le champion du gaz de schiste et du productivisme se fait également le chantre des circuits courts sans voir d'interférence sur la ligne verte. Sur la fiscalité il veut encourager les start-ups (dont tout le monde sait qu'elles sont toutes vertueuses) et fracasser fiscalement les importations; sachant que nous ne sommes plus auto-suffisants d'un point de vue alimentaire, Montebourg va se faire des potes chez ceux qui font les courses. Une minorité...
Pour éviter cela, à l'avenir, on devait demander aux candidats de déposer soit un programme fixe (s'ils y croient) soit une méthode programmatique (pour ceux qui croient que l'avenir de la démocratie est vers un programme élaboré en commun) lorsqu'ils annoncent leurs candidatures, mais plus de changer leurs priorités à la moindre dépêche des agences de notation ou d'alerte sécurité. Laissons les girouettes sur les toits.
14:54 | Lien permanent | Commentaires (50)
05/10/2016
Audience sans influence n'est que ruine. Tout court...
Lundi nous avons appris, médusés collectivement, hallucinés collectivement, que Madame Kardashian Kim a une audience cumulée de 160 millions de personnes sur les réseaux sociaux. 160 millions. Plus de deux fois la France, plus de la moitié des Etats-Unis. Plus de 160 fois l'audience cumulée de Libération...
N'en jetez plus, il est aisé d'écrire à la suite de cet incident "cours camarade avides de faits et d'informations vérifiées, le vieux monde est derrière toi". La modernité c'est l'audience qui donne accès à tout. Peu importe le flacon émetteur pourvu que l'ivresse chiffrée se répande. Et nous saoule de liqueur réactionnaire.
On est jamais loin, en l'espèce de se renfrogner et de se replier sur le "c'était mieux avant". Finkielkraut aujourd'hui, qui déplore que la parole d'un rappeur vaille celle de Patrick Boucheron. Eric Zemmour aussi le déplore en ajoutant qu'hélas, le rappeur dépasse désormais Boucheron car les chiffres sont considérables. A cette aune Zemmour dépasse Badiou. Respirons un peu. Ca n'a rien de nouveau, il y a 40 ans, le grand Jean-Patrick Manchette déplorait déjà dans son journal "qu'aujourd'hui, avec la télévision, le pétomane et Flaubert se valent. Et demain l'avantage sera au pétomane". Rien de neuf, donc.
Les courroies de transmission sont plus globales, synchronisées, plus folles. Jerry Lewis aurait adoré Youtube, Churchill se serait délecté avec Twitter et Wharol aurait raffolé d'Instagram. Et un paquet de tocards inconnus contemporains de ces géants leur seraient passé devant en audience. Mais quid de l'influence ? Qu'il nous soit permis d'en douter...
En littérature, personne n'a égalé les ventes de Guy des Cars et combien en lisent ? Combien de grands critiques en parlaient, le recommandaient ? Personne. Des Cars se vendait exclusivement en bouche à oreille, avec ses thuriféraires et sans effort et sans conséquence. Il a vendu, il a disparu, on en parle plus.
En politique, on confond trop souvent popularité et électorabilité (pardon pour les puristes). Jean Lecanuet, Bernard Kouchner peuvent en témoigner. Emmanuel Macron finira par comprendre que c'est une loi d'airain.
Madame Kardashian s'inscrit dans cette mouvance. La seule différence est que son auditoire immense repose sur un vide sidéral. Ni artiste, ni sportif, ni politique ni figure économique, elle est la tête de gondole la plus emblématique du creux de l'audience. Comme le disait Guillaume Erner sur France Culture, "La conscience commune s’est émue de ce vol, alors que la conscience commune ne s’est pas émue qu’une personne sans profession autre que la gestion de sa célébrité, ait pu rassembler un patrimoine d’au moins 9 millions d’euros. Ce qui prouve une fois de plus que le vol est beaucoup plus sévèrement jugé dans notre société que l’imposture qui passe, et qui n’est même pas dénoncée". Si c'est aussi bien accepté c'est que, pour une fois, il s'agit d'un début de revanche du lumpen prolétariat sur le capital : ils sont célèbres sans demander la permission, sans passer par les canaux officiels du capital mais en s'auto-promouvant directement. Quand EnjoyPhoenix devient une star avec des millions de jeunes filles qui suivent ses conseils de beauté diffusées en ligne, elle n'a pas passé d'entretiens et de partenariats, elle parle la foule suit... Et le capital récupère, la rattrape en monétisant sur son dos et en organisant des événements grassement rémunérateurs, autour de son minois. La seule différence c'est donc la déprolétarisation, on peut presque y lire une victoire. Presque...
Pour revenir à l'audience et l'influence. Madame Kardashian en a t'elle tant que cela ? Après tout, seuls les chatons bondissants peuvent rivaliser avec elle pour le delta étonnant entre célébrité et "mérite". Mais justement parce qu'elle n'a aucun mérite, qu'elle n'a pas conquis ses fans sur des actions ou des propos, elle n'a pas d'influence. Oprah Winfrey, elle, tire son influence de l'immense affection que lui prête ses fans qui jugent qu'elle est la meilleure intervieweure du PAF. Alors quand elle écrit un tweet pour vanter les mérites d'un appareil de cuisine de SEB, l'action de la marque grimpe de 100 millions $. Ca c'est du lourd. Comme la parole de certains acteurs appelant au boycott, comme George Clooney réussissant à imposer la tenue d'un référendum de partition au Soudan. Madame Kardashian serait-elle crédible si elle appelait au boycott d'une marque ? Si elle s'engageait aux côtés de Donald Trump ? Changerait-elle des votes. Son impact ne serait peut être pas d'un zéro absolu, mais guère éloigné. Comme sa mésaventure ne changera pas la donne pour le tourisme en France, d'ailleurs les médias américains ont été bien plus futés que les français, sur le coup.
Une société sous influence, ça n'est pas un projet joyeux et égalitaire, mais c'est toujours moins inquiétant que la seule emprise de l'audience, qui n'est pas encore là. Obama peut couper Facebook, pas l'inverse. (Pour l'instant...)
06:47 | Lien permanent | Commentaires (33)
03/10/2016
L'ordre ne se limite pas au maintien
Ce matin en écoutant Xavier Bertrand parler du problème des indemnités chômage, je me suis dit que l'absence d'ambition présidentielle libérait vraiment la parole. Depuis que ce type a abandonné la course à l'Elysée et surtout qu'il s'est sincèrement vu comme le mec qui rentrerait dans l'histoire pour avoir perdu face à Marine le Pen, il est beaucoup plus sensé.
Invité ce matin sur une grande radio, il devait commenter la décision de ses anciens copains de la primaire de droite, d'abaisser les indemnités des chômeurs de plus en plus fortement à mesure qu'ils restent sans emploi. Une décision d'apparent bon sens ; moins tu cherches, moins tu touches pour bien te montrer le sens de l'effort. Dans une vie antérieure, Bertrand aimait lui aussi à proférer ce type de propos registre "gros rouge qui tâche". Seulement voilà, en prenant la tête de la Région, il a pris de la hauteur et il s'est conséquemment exprimé avec raison "il faut remettre les choses dans l'ordre. Pourquoi punir les chômeurs qui n'y sont pour rien, si l'on ne leur propose pas aujourd'hui de solutions pour s'en sortir ? D'abord, repenser notre modèle social face au chômage en réformant profondément la formation des chômeurs et leur accès à d'autres dimensions essentielles, comme la mobilité ou l'accès au logement. Après, seulement, on pourra réduire les indemnités chômage". Flexisécurité bien ordonnée commence par sécurité, en fait...
Autre grande réforme mal emmanchée car prise à l'envers : l'éducation. Promesse de campagne du candidat Hollande : 60 000 embauches de profs. Promesse répétée en boucle comme un mantra. Au lendemain de l'annonce, les syndicats d'enseignants avaient rétorqué "chiche ! Mais 60 000 profs à augmenter, comme tous les autres. Plus travailler sur leur temps de travail, la pénibilité, l'évolution de carrière, l'autonomie...". Mais Hollande n'en avait cure. Il avait donné son objectif chiffré à atteindre dans le quinquennat. A quel prix...
Car à fonctionner dans ce sens là on ne recrute pas toujours les candidats voulus : le nombre de candidats au CAPES et à l'agrégation le prouve. Plus informés que la moyenne, les aspirants profs voient bien que le métier n'a pas été revalorisé, financièrement comme en termes de conditions de travail. Aussi, ça ne se bouscule pas au portillon et en fin de quinquennat, histoire d'être bien démago et de tenter de rattraper par les bretelles les profs qui désertent le bulletin socialiste (en partie pour le FN, en partie pour Juppé, en partie pour l'abstention...) un petit dégel de point d'indice... On a pris les choses à l'envers et cela ne souffre pas de contestation. C'est bien là le drame, tout le monde sera d'accord pour dire que les choses auraient du aller dans l'ordre inverse et Hollande le sait bien.
Si l'on ne peut évoquer l'ignorance, il faut bien réfléchir aux raisons profondes et on aboutit assez vite à un seul motif : l'électoralisme. Commencer par modifier les conditions de travail des profs désorganise le travail. Commencer par les payer mieux pèse sur les finances publiques sans bouger les chiffres du chômage. Bref, à ultra court terme vous êtes perdant. Comme vous êtes perdant en investissant sur la formation et la mobilité des chômeurs plutôt qu'en coupant le robinet allocataire. Donc, par court termisme et électoralisme primaire, on satisfait son instinct grégaire. La lutte de l'élection et de l'intérêt général ressemble à ce titre à s'y méprendre à celle opposant pot de terre et de fer. Dommage...
12:18 | Lien permanent | Commentaires (8)