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29/12/2018

Champ-contrechamp et toile de fond des gilets jaunes

Justice sociale ou quête identitaire, aspiration à des nouveaux Biens Communs ou sauve-qui-peut individualiste, les débats pour connaître la vraie nature des gilets jaunes sont infinis et s'enveniment vite. Expliquer à ceux qui disent avoir trouvé un mouvement répondant aux aspirations fiscales qu'ils défendent depuis des années que cela risque fort de profiter au Rassemblement National n'est pas le prolégomène de discussions sereines.

La semaine dernière a vu l'acmé des invectives entre tenants de chaque camp : des images de SDF faisant des maraudes et donnant à manger aux SDF le soir de Noël, ceux faisant une ronde joyeuse dans un camp, défendaient une imagerie Front Populaire bon enfant et altruiste. L'autre camp diffusaient en boucle les chants de quenelle, les images de banderoles antisémites, anti maçonniques et autres remugles identitaires dégueulasse. On peut compter les points longtemps pour savoir qui a la dominante, mais il est impensable honnêtement de nier l'existence de ces deux courants. Difficile, donc, de savoir pour quoi exactement se battent les gilets jaunes, donc.

Aisé, en revanche, de savoir contre quoi ils luttent : un système économique dérégulé qui, partout, veut moins d'Etat, accroît les inégalités et tire les droits sociaux vers le bas. Je sais bien que la latéralisation droite/gauche est remise en cause aujourd'hui, mais tout de même, d'un point de vue économique, on fait face à une droitisation sans fin. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le programme économique de la France Insoumise, "l'avenir en commun". Avec des écarts de salaires de 1 à 20, et une taxation à 100% au dessus de 360 000 euros annuels, on voudrait nous faire passer ce programme pour bolchévique. Mais il aurait été retoqué par Mauroy pour cause de sociale traîtrise et de concession à la bourgeoisie (Fabius et Rocard, quelques années plus tard, s'en seraient fort bien accommodés, eux). Où sont les réquisitions des banques pour financer la révolution énergétique ? La mise au pas de l'usine d'huile de palme de la Mède ?

Le monde s'est droitisé sur la question de la justice économique, avec des rémunérations passés de 1 à 30 en 1980 à 1 à plus de 400 aujourd'hui. Ces ultra rémunérations sont liés au fait que les PDG sont là pour mener les directives de leurs actionnaires, lesquels sont de plus en plus volatiles (les actions du CAC changeaient de mains au bout de 5 ans, dans les années 80, 3 mois aujourd'hui...). La fiscalité est devenu passoire pour ceux d'en haut. Et pendant ces trente ans, les mouvements de populations vers les grandes villes se sont accélérés avec une désertification des services publics dans la France périurbaine. Là où il y a le plus de barrages, le plus de blocages en jaune, c'est dans les bassins de vie où la population diminue et où les services publics disparaissent. Tout cela forme une même toile de fond : celle de la mondialisation qui jouit sans entrave, quand les populations morflent sans protection.

La toile de fond est de plus unanimement détestée. Pas besoin d'un doctorat en sciences politique pour s'en rendre compte. Partout les gouvernements austéritaires qui continuent le business as usual sont exfiltrés. Ils ne s'en tirent plus en menaçant "nous ou le chaos". Le chantage au fascisme n'est plus opérant. Les peuples ne craignent plus les fachos qui gagnent aux USA, au Brésil, en Hongrie, en Pologne, en Italie...  Je ne comprends pas qu'ils n'entendent pas davantage, qu'ils ne voient pas davantage que tout fond autour d'eux et qu'ils ne peuvent continuer à avoir l'adhésion avec des recettes désormais éculées. 

Combien de temps encore, à s'opposer aux volontés majoritaires des populations de relocaliser leurs économies pour des raisons écologiques, économiques, pour retrouver de la stabilité ? Les quotas d'oeuvres françaises à la radio, à la télé, dans les festivals, le statut de l'intermittence, toutes aberrations économiques pour les libéraux pur jus font de la France un pays a la vitalité culturelle sans pareille en Europe, sans doute dans le monde. En quoi est-ce un progrès de ne dépendre que du crowdfunding ou du mécénat, d'évoluer sans cesse dans un monde volatil parce que ça aiderait à mieux créer ? En rien. En matière alimentaire, tout le monde veut manger mieux et aspire à ce que ses enfants mangent bien. Imposer des quotas de nourriture bio en circuits courts dans nos cantines, dans nos maisons de retraite : protectionnisme grégaire ou bon sens écologique et sanitaire ? 

La liste est longue avec presque toujours des avantages à la pelle. Peut-être les produits manufacturés coûteront-ils plus chers, mais on doit pouvoir mener une vie bonne quand même. Pour les produits bas de gamme, leur augmentation obligera leurs acheteurs à réparer davantage, à lutter contre l'obsolescence programmée et, espérons le les industriels eux mêmes seront attentifs à ces aspects. Et les hauts de gamme. Apple rognera peut être sur ses marges pharaoniques sans que l'on pleure de trop. 

Je ne crois pas au "réformisme révolutionnaire" de Macron pas plus que je n'ai jamais acheté le "hollandisme révolutionnaire" d'Emmanuel Todd qui compense sa gigantesque bourde en s'énervant chaque jour jusqu'à aduler sans réserve les gilets jaunes. Je ne crois pas que Macron saura déconstruire toute l'idéologie thatchérienne qui compose la colonne vertébrale de ses idées. Mais je ne crois pas plus que le renversement de ce dernier pour le plaisir de le renverser suffira. Parce que la pulsion dégagiste profite toujours aux identitaires dans les urnes. Si déchirer la toile de fond doit nous amener à toucher le fond, ça ne peut pas être un bon calcul. 

 

25/12/2018

Gilets jaunes : le dégagisme boomerang

A dégagisme, dégagisme et demi. J'avoue me délecter des circonlocutions des honnêtes gilets jaunes pour désavouer les militants vêtus de gilets jaunes qui se sont filmés chantant la quenelle et proférant des horreurs devant le Sacré Choeur. Soudain, face à l'évidence des images, tout le monde s'est récrié "ça n'est pas nous ! Arrêtez ! Vous ne pouvez pas nous assimiler". Idem pour les 3 ordures qui ont insulté une fille de déportés à Auschwitz. Pasdamalgam. Et j'ai souri. Pas plus. Pas plus car je sais évidemment que ces tristes sires, ces antisémites immondes, ne représentent pas tout le mouvement. Ca n'est pas la détestation du sionisme qui a poussé des milliers de gens a occupé les ronds points pendant des semaines, la nuit, les week-ends. Ca n'est pas l'antisémitisme et le racisme qui surpasse une majorité de discours sur la fin de mois anxiogène. Evidemment, mais il y aussi cela. Et le pacte de Marrakech. Et le racisme. Une étude portant sur plusieurs milliers de sympathisants des gilets jaunes faisait ressortir que 48% d'entre eux considèrent que "en termes d'emploi, il faut accorder une préférence nationale". Donc bon, pour la pureté du mouvement spontané, on repassera.

Soudain, les gilets jaunes ont pris en pleine gueule la complexité du monde et le dégagisme en boomerang. J'espère que ça les amènera à réfléchir à leur propre dégagisme qui leur sert de carburant. Contre les élus dont ils aiment à dire qu'ils sont "tous pourris et trop payés, gavés" alors même qu'en termes de masse, un nombre croissant d'élus locaux (l'immense majorité des élus, le parlement rassemblant 800 personnes...) démissionnent ou renoncent à se représenter car leur tâche est trop dure, trop ingrate et trop peu payée... Et dégagisme contre les intellectuels qui seraient tous des salonnards nababs et les journalistes. Les procès qui s'en suivent sont d'une violence rare : ces deux corps professionnels seraient coupables de déconnexion avec le réel, ils seraient tous empreints de la même vision du monde ce qui nous fait vivre dans une dictature libérale, ils sont des créatures pour milliardaires et font un récit du monde conforme à ce qu'attendent ces indécentes fortunes. En somme, les journalistes et intellectuels de ce pays sont tous des clones de BHL et Apathie. Chic. 

Les violences morales, mais surtout physique à l'encontre des journalistes sont présentes dans toutes les manifestations des gilets jaunes et concernent tout type de presse : écrite, radio et surtout télé. On peut ne pas aimer BFM, mais le fait que leurs journalistes cachent leur logo en manif pour éviter d'être pris à parti et traités de "collabos'. Le fait que nombre de journalistes de presse soient insultés, conspués, menacés, que les gilets jaunes ne veulent plus du filtre de l'analyse journalistique, juste du Facebook live pour montrer "la vérité du mouvement" dans une dérive confondant transparence et démagogie. 

Ces attaques sont immondes, mais elles sont aussi idiotes. Prenons un livre comme "les intellos précaires". La situation déplorable de l'immense majorité des professions intellectuelles dans la première édition s'est encore dégradée lors de la parution de la seconde. La majorité des soutiers de l'édition, peinent comme les gilets jaunes à boucler leur fins de mois. Il suffit de voir les statistiques de ventes moyennes pour comprendre que l'écrasante majorité des auteurs ne vivent pas de leurs plumes. Idem pour les journalistes.  L'invasion des milliardaires dans le champ des médias n'est pas une cause mais une conséquence paradoxale de la paupérisation de ces métiers. Dans les médias, le CDI est devenu aussi fréquent que les oasis dans le Sahel. Selon les données de la Commission de la carte de presse, le salaire moyen d'un journaliste est ainsi de 3.912 euros brut par mois en CDI, soit 3 300 nets. Près de deux fois le salaire médian. Problème, cela concerne une minorité des journalistes aujourd'hui, l'écrasante majorité émargeant aux 2.273 euros mensuels d'un pigiste, qui par définition n'a même pas la sécurité de l'emploi. Faire d'eux des privilégiés est d'une crétinerie sans nom.

Faire d'eux des laquais, des courtisans et que sais-je encore est tout aussi navrant. Un éditorialiste n'est pas un journaliste. Je veux bien qu'on dise qu'une grosse majorité des éditorialistes sont déconnectés ou décalés, mais pas tous (ceux d'Alternatives Economiques et autres invités à équilibrer les plateaux connaissent le SMIC et le prix du litre de diesel...) et surtout pas les journalistes dans leur ensemble. D'ailleurs, il existe une hypocrisie sans nom à taper sans cesse sur les médias quand leurs audiences globales ne baisse pas d'un iota. Gilets jaunes, soyez cohérents : si vous voulez vraiment ennuyer les journalistes, éteignez vos télés. Ca leur causera plus de tort que vos insultes. 

 

19/12/2018

Un cric ou un RIC pour une démocratie en panne ?

François Bayrou écrivait des institutions que "comme pour le moteur d'une voiture, elles n'intéressent personne alors qu'elles sont essentielles. On ne s'y intéresse qu'en cas de panne et on ne tire jamais les leçons de ces accidents". Je ne saurais mieux dire et mieux écrire et le RIC est pour moi l'énième avatar et l'énième mauvaise réponse à une question cardinale et majeure. 

La crise des gilets jaunes, parmi toutes ces composantes, illustre aussi de façon criarde, blafarde, la déliquescence de nos institutions verrouillées et archaïques. Que la foule se mobilise quand elle a l'impression que le mandat qu'elle a donné au travers d'élections n'est pas respecté, c'est bien légitime. Que des gouvernants abusent de leurs mandats, pour détourner certaines promesses de leur essence, voire prennent des mesures dont ils n'avaient jamais parlé, c'est certain. En outre, le premier symptôme de notre déliquescence démocratique, c'est l'abstention. Si elle est un thermomètre, la fièvre française atteint des sommets inquiétants qui ne va pas retomber avec les élections européennes. Aussi, bien évidemment que la demande de davantage de démocratie est légitime. 

On voit bien, 10 ans après la réforme Constitutionnelle de Sarkozy, que notre pouvoir législatif est toujours aussi vertical. Allez trouver 180 parlementaires et 1/10ème des électeurs inscrits, ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval et n'a pas été utilisé depuis. Pourtant, sur bien des points, il serait légitime qu'on puisse discuter, débattre, amender et éventuellement retoquer des projets gouvernementaux qui n'ont aucun assentiment populaire, voire de permettre au peuple de proposer des réformes et charge au Parlement de les voter ou non. Tout cela n'existe pas d'où le blocage. Des ronds points, des textes, de tout. En l'espèce, sans coup de force et malgré une illégitimité galopante, Macron peut faire ce qu'il veut jusqu'en 2022 car jamais sa majorité ne frondera.

Mais je ne vois pas en quoi le RIC changera quoi que ce soit. D'abord, cette idée n'a rien de neuve et elle existe dans des tas de pays où elle traite en réalité de sujets mineurs. Ensuite, l'insupportable sophisme consistant à hurler "le peuple le peuple le peuple" c'est dégueulasse et démagogique. De ce point de vue, le Front ou le Rassemblement National est dans son rôle : ils demandent des référendums pour que la France recouvre sa souveraineté, notamment en matière de contrôle des frontières. On voit le plan "voulez vous que la France continue à ouvrir ses frontières à tous vents, aux islamistes, aux terroristes en herbe et autres esclaves modernes qui prendront vos emplois ?". Suspense insoutenable concernant le résultat...

Ce qui était moins prévisible, mais bien navrant, c'est l'attitude choisi par la France Insoumise qui continue sa mue populiste assumée en faisant le pari du populisme social cher à Chantal Mouffe. C'est Alexis Corbière qui a expliqué hier qu'on pourrait ainsi mettre au RIC le mariage pour tous, pour relégitimer ledit mariage ou alors l'abandonner si le peuple n'en veut plus. La drague à l'extrême droite et aux réacs bien lourde, en somme. Adrien Quatennens assumait le point godwin du sujet : la peine de mort. "Et pourquoi pas ? si le peuple veut en débattre. Faisons confiance au peuple !". Ruffin a embrayé sur les mêmes idées en disant que globalement ceux qui n'aiment pas le RIC n'aiment pas le peuple. Acmé du sophisme. Et là, c'est la négation paradoxale de la démocratie par la stratégie populiste comme le montre parfaitement Yascha Mounk dans "le peuple contre la démocratie". 

Des méthodes qui jouent l'opinion contre le fond des textes. Pour ce faire, on flatte des bas instincts, simplifie des réalités complexes et autres procédés navrants vus partout où des populistes l'emportent. Par ailleurs, les RIC ne permettent pas de régénérer la démocratie en épousant des grands sujets, mais touchent à des vétilles :  Les RIC, en Suisse, portent donc sur des sujets comme la légitimité des minarets et la coupe des cornes des vaches (deux vrais sujets très récents) ce qui amusent sans doute ceux qui rassemblent, mais ne fait pas progresser la démocratie.

Une voiture en panne a besoin d'un garagiste et de cric, pas de RIC pour savoir quelle est l'origine de la panne. Le RIC ne nous mènera pas de bonnes réponses. Quel est le premier mal dont souffre la France en termes de répartition des richesses, et donc de qualité et quantité des services publics ? La fraude fiscale, mille coudées devant les autres sujets. Comment fait-on un RIC sur ce drame, ce crime contre l'Etat ? "Etes-vous pour ou contre que les entreprises pratiquent l'évasion fiscale ?". Une fois qu'on aura obtenu 99% de contre (Cahuzac sera pour...) on sera bien avancé.... Les problèmes complexes n'ont pas besoin de réponses simplistes.

Le RIC aurait une légitimité pour montrer le décalage de certains textes de lois : consultés, jamais une majorité de français n'aurait voté la disparition de l'ISF, le maintien du glyphosate et autres atrocités. Là dessus oui. Hamon proposait le 49-3 citoyen, c'en était l'esprit. Les Insoumis proposait une Constituante et une 6ème République qui a autrement plus d'allure que ce petit RIC qu'ils récupèrent par opportunisme et facilité. "Il ne faut pas ériger son impatience en dogme" écrivait Lénine. Ca n'est pas parce que Macron est illégitime en diable et chancelant qu'il faut chercher à le faire tomber par n'importe quel moyen. Nous valons mieux que cela.