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05/05/2020

La fabrique de la peur

Que mangerions-nous si nous écoutions uniquement les nutritionnistes ? A quelle vitesse irions nous sur les routes, si nous n'écoutions que les experts en accidentologie ? Est-ce bien raisonnable d'arpenter des trottoirs où il y a des trous ?

Je me rappelle une promenade à San Francisco, en 2013, où j'avais entendu un bruit mat avant d'apercevoir une femme affalée sur le trottoir. Une âme charitable l'avait relevé et lui avait demandé si elle vivait là. Elle avait répondu que non. Désignant la petite crevasse dans le trottoir comme à l'origine de la chute, le samaritain avait dit à la femme qu'elle devait faire un procès au propriétaire de la maison, qui aurait dû égaliser son trottoir. J'avais trouvé cet épisode déprimant sur notre rapport au risque, notre défiance les uns envers les autres et au fond, notre très grande connerie. Aujourd'hui, je suis bien plus déprimé en constatant qu'on nous incite, tous, à devenir cette personne. Nous muer en une République des sycophantes. 

La rapidité avec laquelle l'autre, y compris l'autre proche est devenu un ennemi, est une des choses les plus déprimantes que j'ai vécu de ma vie. Peut être la plus déprimante. On nous dit que c'est pour notre bien, pour éviter une hécatombe. Personne ne souhaite une hécatombe, mais nous sommes à des années lumières d'une hécatombe ! Depuis 3 mois que nous vivons dans l'angoisse de l'apocalypse, nous enregistrons 250 000 décès du Covid. Même en conservant ce rythme (les morts vont décroissant très rapidement et il est probable que la progression ne soit plus qu'anecdotique) cela ferait un million de décès sur un an. Moche. 1 million quand même. Mais ce chiffre ne permet pas au Coronavirus de faire son entrée dans le top 10 des maladies létales dans le monde. Même avec 1 million (ce qu'on ne devrait vraiment pas connaître, bis), nous sommes loin de la tuberculose, de la diarrhée ou du diabète sucrée... (Chiffres OMS https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/the-t...). Il meurt environ 60 millions de personnes dans le monde chaque année, si on nous donnait en parallèle du Covid, les morts dans le monde chaque jour, nous nous demanderions si nous avons raison d'avoir peur?

Il y a deux mois à peine, il y a deux mois déjà, le 5 mars, nous étions enlacés, enchâssés, nous étions dans la vie. Deux mois de lobotomie généralisée où l'on ne parle que des risques sans mettre en avant le fait que les protections contre ce dernier sont efficaces à plus de 90% (contre un virus létale pour 0,5% de ceux qui le contractent...). On nous martèle, comme dans un Gattaca moderne, les mêmes mots d'ordres "restez chez vous, celui qui sort est un hérétique", les mêmes dogmes hygiénistes au lieu de nous enjoindre calmement à l'hygiène et la prophylaxie. La différence est de taille. Dans un cas, on demande poliment à la personne qui voudrait entrer dans une boutique déjà bien peuplée d'attendre sur le trottoir. Dans l'autre, on appelle la maréchaussée car trois personnes sont sur un banc. 

Hier, en promenant ma fille, j'ai croisé deux délinquants. Ils avaient enjambé la grille d'un parc et devisaient, en riant, chacun sur son banc. Ils étaient dans la vie, prudents mais heureux. Si je m'étais comporté comme on l'attendait de moi, je les aurais dénoncé, puisque les parcs sont interdits. Quelle connerie. 

Quelle connerie la guerre, Barbara, mais elle est encore plus conne quand l'ennemi c'est nous même. Je pense aux mariages qu'on va interdire pour notre bien. Tu parles d'une connerie... Je ne sais plus si c'est Merleau-Ponty dans Les Aventures de la dialectique ou le générique d'Arnold et Willy qui dit "il faut de tout pour faire un monde" mais c'est foutrement vrai. On a besoin d'écouter les oncologues et leur mises en garde. Ça n'empêche pas de noter que nombre d'entre elles et eux fument. On a besoin d'écouter les nutritionnistes, sans nous résoudre à des manger des fanes et racines. On a besoin des infectiologue pour comprendre comment évolue, se déplace, se transmet le virus. On les remercie pour leur travaux, mais on doit écouter tout le monde pour vivre. 

Je rappelle à toutes et tous que les capotes peuvent se trouer et donc transmettre le SIDA. Cette saloperie tue plus d'un million de personnes par an depuis 30 ans. Faut-il toutes affaires cessantes que nous arrêtions toute vie sexuelle, seule méthode 100% certaine pour ne plus diffuser la maladie ? Faut-il nous suicider à long terme pour survivre demain ? Vous avez 4h, moi je sors faire un tour. 

03/05/2020

Nous méritons les conspirationnistes

La France semble plus perméable que d'autres démocraties aux infox et autres thèses alternatives. Pas au niveau des États-Unis, où le locataire du bureau ovale encourage à boire de l'eau de javel pour se protéger, mais bien plus qu'en Allemagne, en Italie ou en Espagne... Nous croyons plus facilement aux fariboles sur la face cachée du Covid, faite de gigantesques profits pour big pharma, qui d'ailleurs seraient peut être à l'origine du virus... Triste, mais hélas grandement explicable par un mauvais exemple venant d'en haut. 

Le site du gouvernement propose depuis le 1er mai "une liste des sources d'informations sûres et vérifiées pour lutter contre la propagation des fake news". Vont-ils se condamner sévèrement eux-mêmes ? Selon eux, selon notamment le ministre de la santé et celui de l'intérieur, les masques "ne servaient à rien" il y a quelques semaines. Ils seront demain obligatoires et quiconque pénétrerait dans une gare SNCF sans masque après le 11 mai prendra 135 euros d'amende. Les mêmes arguaient "qu'il ne servait à rien de tester tout le monde" en omettant de dire qu'ils avaient cafouillé leurs achats de tests. Par bonté d'âme, nous éviterons de citer les propos de Jean-Michel Blanquer, démenti une vingtaine de fois en deux mois, qui passe son temps à diffuser, malgré lui, de fausses infos aux rectorats... Quid d'Elisabeth Borne qui assurait naguère que les professionnels de la propreté "n'ont pas besoin de se protéger pour leur métier", suite au décès de plusieurs éboueurs ? Pénicaud, Castaner, ad lib. Sans parler du pauvre Cédric O et ses pathétiques sorties sur "Stop Covid" qui respectera la vie privée et dont toutes les données seront non consultables par les pouvoirs publics. L'oubli des données et internet, c'est antithétique. Rappelons que Benjamin Griveaux a envoyé des vidéos destinées à être effacées pour justement qu'on ne puisse les ressortir. Rideau... 

Comment expliquer le gigantesque silence de l'immense majorité des médias autour des enquêtes de Médiapart ?  Les paroles s'envolent, les écrits restent. Dans les enquêtes de Mediapart sur les masques et des tests, pas de "source proche de pouvoir", ou encore de "témoin qui souhaite rester anonymes", pas d'insinuations mais des faits irréfragables. Des mails accablants montrant l'impéritie du binôme Véran-Salomon. Des pieds nickelés criminels qui ont refusé les mains tendues proposant d'aider à acheminer des millions de masques quand il était encore largement temps, avant que ce marché ne soit le far west... Ce genre d'enquêtes devraient évidemment faire la Une de l'ensemble des grandes rédactions, à commencer par les médias publics. Rien. Un entrefilet. Mise à part une longue interview de Plenel par Brut, rien.  

Nous ne sommes pas dans une dictature, nous n'avons pas de médias officiels, nous ne pouvons pas bloquer l'info et c'est heureux. Mais la concentration des titres français dans les mains de 7 oligarques et la nomination de l'exécutif à la tête de l'audiovisuel public comme la consanguinité (au sens propre) entre politiques et grandes voix médiatiques remettent sévèrement en cause notre indépendance d'esprit. D'où notre piteux classement par RSF, en termes de liberté de la presse...

Ne pas reprendre les mensonges d'état, mais au contraire axer les journaux, les reportages, les sujets, sur la tonalité de l'exécutif faite d'infantilisation permanente "respectez bien le confinement, sinon pas de chocolat, pas de déconfinement le 11 mai" c'est ouvrir la porte à d'autres récits. Dans un monde ouvert, il n'est pas compliqué de s'informer hors grands canaux, pas compliqué de se rendre compte qu'il n'y a pas d'équation magique entre confinement et nombre de mort, au contraire. Les ultra confinés ont des chiffres de morts catastrophiques. Ceux qui testent, isolent et se protègent, s'en tirent cent fois mieux. On continue à nier cette vérité grosse comme l'éléphant dans la pièce. On pousse littéralement toutes celles et ceux qui sont perdus dans les bras de ceux qui vous jurent que la vérité est ailleurs, que Bilderberg a inventé ce virus pour faire pleuvoir des dollars sur big pharma, mater les révoltes et obliger les pauvres à accepter des jobs de misère... 

L'interview de Chapoutot où il explique que Merkel parle aux allemands comme des adultes et Macron comme des enfants a tout résumé des drames actuels. Parfois, on ment aux enfants pour leur bien, pour les protéger. Jamais aux adultes. Quand les enfants découvrent les mensonges, ils sont vexés, blessés et il faut du temps pour renouer la confiance. Les adultes vont chercher d'autres référents, d'autres récits, d'autres sources. On ne peut les blâmer... En employant les méthodes des régimes autoritaires (le ministère de l'information qui trie celle qui est autorisée, sans penser à mal, ça inspire plus Goebbels qu'Albert Londres), on suscite un dégoût évident et on mithridatise les électeurs aux dangers des régimes autoritaires authentiques. Vivement 2022... 

 

02/05/2020

Le charme discret du doute de la bourgeoisie

Après sept semaines de confinement, les certitudes des économistes se sont évanouies. Naguère, ils vous expliquaient tous doctement comment telle mesure fiscale, telle réforme du marché du travail bougerait à la marge 0,1% point de croissance et comment, en les combinant dans un Meccano d'une complexité rare, on pouvait retrouver une prospérité certaine. Disparues, ensevelies par les monceaux de chiffres inouïs liés au Covid.

11 millions de chômeurs partiels, 100 milliards de dette publique supplémentaire, 55 milliards d'épargne "forcée" des français. Seule certitude : les huit semaines de confinement auront changé plus que tout la carte économique du pays. Et personne ne sait ce que cela donnera demain. Enfin, pas tout à fait.

Si on prend les choses dans l'ordre, on sait ce que cela va donner pour une partie du pays. Celle qui va plus mal économiquement qu'avant le confinement. Les 12 millions de français.es qui sont à 50 euros près à la fin du mois vont sans doute plus mal. Avec des dépenses où les loisirs sont rares, le confinement leur donne peu de sources d'économies. A contrario, entre la cantine gratuite des enfants qui disparaît et les razzias sur les premiers prix (voire l'inexistence des premiers prix, en ce qui concerne fruits et légumes frais qui ne sont plus importés) en supermarché qui les contraignent eux aussi à augmenter leur budget courses, ça coince au portefeuille. Eux iront plus mal, n'auront pas eu le loisir de réfléchir au superflu, et tenteront de reprendre le fil d'une vie où le travail sert avant tout en remplir le frigo. 

Il y aussi ceux qui sont hors écrans radars, je ne les oublie pas. Ceux qui n'achètent rien car ils n'ont rien et comptent sur les distributions alimentaires, de vêtements, de meubles en espérant éviter expulsions et autres catastrophes. La gravité de la crise implique qu'il y aura beaucoup de perdants. Et puis les hors filets de sécurité d'État, artisans, indépendants précaires, gérants... Une crise globale, quoi. 

Mais quid de tous les autres ? Je ne parle pas des margoulins qui ont fait fortune avec des pratiques mafieuses dans la revente de masques, de gel et de surblouses. Non, toutes celles et ceux qui font que la France est un pays riche et qui entretiennent une économie de pays riche, faite de tourisme de luxe, de loisirs onéreux, de consommation opulente. Après huit semaines, et sans doute plus, passées sans pouvoir consommer tout cela, que feront-ils demain? Nul ne le sait.

La réouverture de la boutique Hermès en Chine et ses 2,7 millions de dépenses en une journée est un exemple, mais un seul de ce qui pourrait se passer demain. Une ruée sur des Iphone X, des voitures trop chères, des sacs et bijoux de luxe pour lesquels toutes les économies du confinement seraient englouties ? Chez les plus addicts à la consommation, peut être. Mais je n'arrive pas à y croire.

Sans plus de certitude que les autres, je vois juste une forme de lucidité qui se dévoile chez nombre de celles et ceux qui vont bien. Une réflexion affinée sur le "système" qui les tient depuis des années. La part de vérité contenue dans l'adage "il ne faut pas perdre sa vie à essayer de la gagner" prend de l'ampleur et nombre d'entre nous (je mets évidemment dans le lot de ceux qui vont bien) voudront faire évoluer le partage entre travail et temps libre, à l'avenir.

Pour celles et ceux qui oeuvrent dans la fonction publique avec une rémunération quasi identique partout (les primes territoriales relèvent de la -mauvaise- plaisanterie), peut-être ce confinement aura-t-il été le coup de trop : on vit mal à Paris avec une paye de prof ou de juge, mais plutôt bien à Nantes et comme rois et reines à Limoges. Sans nécessité vitale, scolarisation d'enfants, carrière, on pourrait assister à des transferts massifs. Pas un "retour à la terre" mais aux territoires. Pour ceux qui bossent dans le privé, la prise de conscience de ce qu'ils peuvent vivre avec moins pourrait là aussi opérer des transferts d'autant plus fort que le pli du télétravail est sans doute pris de manière définitive. Pas aussi fortement qu'aujourd'hui, tout le monde voit les limites des réunions actuelles, mais bien plus fort qu'hier. Impensable, demain, de réunir ses cadres éparpillés dans l'Ile de France, voire dans l'hexagone pour un point de 2h. Sic transit gloria Zoom. 

Ma génération et plus encore celles et ceux qui ont dix ans de moins sont au coeur de cette évolution : chaque année, quand bien même leurs salaires augmentent, leur pouvoir de vivre diminue. Regardez les graphiques sur ce qu'un jeune couple en CDI peut acheter comme appartement à Paris. Sur trente ans, la chute du nombre de m2 possiblement achetable (ou à louer) est vertigineuse. Eux ont bien senti qu'ils touchaient le fond de la piscine du système et pour quelques déterminé.e.s à repartir de plus belle dans une ascension professionnelle acharnée pour faire mentir les graphiques, nombre voudront essayer une autre piscine, voire un étang...

Ceci ne sera pas qu'une longue idylle, nombre de restos avec bistronomie, d'enseigne de prêt à porter, de cours de pilates, d'industrie "wellness" ne résisteront pas à la sobriété choisie d'une part de la bourgeoisie. Je suis prêt à parier que le pays survivra quand même. Toutes celles et ceux qui bossent 70h par semaine pour se payer des semaines de jeûne et de silence déconnecté à 4 000 euros deux fois l'an réaliseront que l'on peut obtenir la même chose gratuitement en Lozère (zéro mort du Covid) à condition de démissionner...