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09/05/2020

Normalisation de la trouille

Les courbes se sont croisées et ne se reverront jamais : alors que les nombres de morts, de malades graves et même de personnes infectées sont en chute libre, le nombres de français tétanisés augmente sans que rien ne puisse l'arrêter. C'était prévisible, mais maintenant, nous y sommes : à force de nous avoir infantilisé, brandi des menaces complètement exagérées, d'avoir tenu un discours anxiogène à un point où nous avions parfois l'impression de nous réveiller à Tchernobyl au lendemain de l'explosion, la levée du confinement va être atrocement compliquée car des millions de gens ne veulent plus sortir... 

Quand tout ce bordel sera terminé et qu'on regardera, calmement, dans le rétro, on s'interrogera tout de même sur l'inflation de normes toutes plus ineptes les unes que les autres, ne servant à rien fors nous faire peur. Les seules mesures qui marchent, c'est la prophylaxie : se laver les mains tout le temps, se couvrir efficacement bouche et nez, ne pas se coller aux autres. Point. Du bon sens qui ne nécessite aucune norme. Depuis mars, à chaque fois que le ministère de l'Intérieur nous pond une nouvelle injonction normée, personne ne moufte (forcément) mais ça n'a aucun sens. Qu'on arrête "les grands événements le temps qu'il faudra", certes. Mais l'abaissement à 5 000, puis 1 000, puis 50, est un exemple splendide de norme inepte. Vingt personnes dansant sur des slows avec force échange de fluides sont infiniment plus contagieuses que les 2 000 manifestants pour la paix en Israël qui se sont espacées de deux mètres dans une des images les plus spectaculaires de ces dernières semaines.

Et pour le reste ? Une promenade dans un rayon de 1km. Au nom de quoi ? Ceux qui vivent entourés de champs vides peuvent marcher 5km sans croiser âme qui vive, alors à quoi bon ? Une amie d'ami, 75 ans, a écopé de 135 euros d'amende parce que les flics avaient calculé (Google avait calculé...) qu'elle était à 1,2km de son domicile. Qu'en a le Covid à foutre ? Idem pour l'heure de marche ? Je pense à tous les parents de gosses suractifs, notamment certaines formes d'autisme répandu où ils les font se défouler pour leur bien, pendant des heures, pourquoi les limiter à 1h, quel risque supplémentaire y a t'il au bout d'1h30 dehors ? Demain, les 100km de déplacement, tout aussi con. Un type qui sillonne la France dans sa caisse, se lave les mains à profusion et se masque le visage est bien moins contaminant qu'un autre faisant 500 mètres en crachant par terre...

On va multiplier les PV pour franchissement de département, mais on continue (nombre de témoignages concordants là-dessus) à pouvoir descendre de son vol en classe business et monter dans son taxi à l'aéroport sans passer par la case sanitaire. On sait que le Covid touche maintenant surtout les pauvres au Brésil après des premiers clusters découverts chez les ultra riches de Sao Paulo qui revenaient de fêtes à Venise et Milan. Il n'était pourtant pas compliqué de simplement tester les gens revenant du plus gros foyer au monde, à l'époque. Mais on n'a pas voulu déranger la clientèle aisée. Les stéréotypes sociaux ont la peau dure et comme le néolibéralisme ignorent les frontières. Les deux plus gros foyers d'Europe, l'Angleterre et l'Italie arrivent chez nous par train, décision a été prise de ne pas tester et isoler les voyageurs. Rideau. Une telle iniquité de traitement montre bien que les normes ne tiennent pas. Plus je vois notre gestion politique de la crise sanitaire, moins je m'étonne que nous ayons conçu la ligne Maginot... 

Il n'y a rien de rassurant, dans ces normes quand la seule chose qu'on attend de nos dirigeants, c'est qu'ils nous rassurent. Huit semaines à marteler des non sens épidémiologiques, il ne faut pas s'étonner que les gens ne veuillent pas vivre, demain. Ne veuillent pas "prendre le risque" de prendre un métro ou d'aller dans un bureau, voire à l'école, où les couples en viennent à se déchirer sur la question du retour en cours de leur progéniture... Les principaux médias alimentent cette psychose en reprenant les éléments chiffrés et autres normes en boucle. Le podcast du Monde consacré à la grippe de Hong Kong de 1967 et 68 ( https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2020/05/09/grippe...) trouve que les médias ne parlaient pas assez de cette maladie qui a tué 50 000 personnes en France, 1 million dans le monde. Les médias et les politiques n'en parlaient pas, seuls les professionnels de santé s'en occupaient. Et la journaliste de critiquer ce qui est pourtant dans l'ordre des choses... Les épidémies sanitaires sont gérées par les personnels de santé, l'aspect politique ne peut qu'être en appui, limiter la contagion et équiper la population de masques et de tests. Je rabâche, mais dix maladies au moins tue plus d'un million de personnes par an sans qu'on ferme une demie-échoppe, avoir mis le monde sous cloche pour une qui n'en tuera peut être pas 500 000, c'est au delà du concevable... 

Cette fabrique de la trouille orchestrée depuis des semaines a déjà des conséquences délétères. Un ami juge dans l'ouest, région peu touchée mais confinée comme tout le monde, me disait bosser non stop pour signer des hospitatlisations d'office qui ont plus que doublées depuis un mois. Les gens craquent et sont tétanisés. Les appels pour l'enfance en danger ont augmenté de 89%, les DRH croulent sous les demandes de gens qui ne veulent pas retourner travailler, idem pour les écoles. J'ai sincèrement mal pour toutes ces personnes qui ont basculé dans une peur irrationnelle et d'autant plus folle qu'ils ne maîtrisent pas tout. On peut beaucoup sortir et jamais le choper et l'avoir en descendant 30 secondes... Ne pouvant rester cloîtrés hermétiquement encore des mois, ils vont mécaniquement devoir ressortir, jambes flageolantes, gorge serré, l'impression à chaque pas d'être contaminé.

Quand je vois les noeuds au cerveau que se font certain.e.s de mes ami.e.s, pourtant sain.e.s d'esprit d'ordinaire, je souffre vraiment. La peur est une spirale et se mettre en boule ne la fait pas partir, au contraire. En huit semaines, je suis sorti tous les jours, plusieurs fois par jour, toujours prudemment. Plusieurs fois par semaine, je suis allé voir une personne fragile que j'aime beaucoup, personne qui est visitée deux fois par jour par des infirmières prenant les transports en commun. Monter dans un métro n'est pas mortel. Se retrouver à quatre dans une pièce non plus. Au lendemain du Bataclan, un message se répandait sur les réseaux sociaux "il va falloir beaucoup, beaucoup d'amour". En l'espèce, pour renouer avec une vie quotidienne (le débat normal/anormal est moisi) il va falloir beaucoup, beaucoup de confiance... 

08/05/2020

Et ton frère, il est résilient ?

Ce matin, la philosophe Marianne Chaillan a rendu hommage à son confrère, le très regretté Ruwen Ogien. Ce dernier pourfendait le "dolorisme", cette idée qu'il faut accueillir la maladie comme une fête pour en faire quelque chose. Si Ogien vivait encore, il n'aurait pas de mots assez durs pour l'armée de blaireaux qui se félicitent de notre résilience collective.

Des le début du confinement, un vent de résilience balaye tout : les individus, les entreprises, les couples, les organisations... Tout devient agile et résilient, s'adapte face aux vents mauvais.... On organise force webinaires, colloques, on se congratule dans force tribunes, tout le monde est résilient et reviendra plus fort dans le monde d'après. Soudainement, ils n'ont que Nietzsche à la bouche, sans avoir jamais lu Zarathoustra, mais ils connaissent tous "ce qui ne te tue pas, te rend plus fort" et ça les rend ravis. Ogien développe très bien l'ineptie de ce concept. Si un accident vous fauche les jambes sans vous tuer, vous n'êtes pas plus fort, vous n'avez plus de jambes. Tant mieux si, après un grand travail de rééducation et de reconstruction psychique pour faire le deuil de votre bipédie, vous arrivez à vous accepter tel que vous êtes. Tant mieux. Mais dans l'écrasante majorité des cas, c'est dur. Et si vous faites partie de l'infime minorité, ne vous leurrez pas : vous ne vous êtes pas "réinventé plus fort", vous avez accepté de faire autrement.

On l'a trop oublié, mais la vulgarisation du concept, on la doit à Cyrulnik dont les parents sont morts déportés à Auschwitz et qui fut élevé par sa tante... Qu'il ait réussi à retourner ce trauma initial pour devenir psychiatre, soit. Mais ses parents sont morts à Auschwitz. Ça n'est pas anecdotique. La résilience moderne euphémise tous les traumas, tous les inconvénients pour ne voir que des opportunités. Nous sommes quelque part entre la mystique guimauve, le développement personnel et le "solutionnisme technologique" cher à Morozov. Google peut bien vanter que la technologie éradiquera la faim dans le monde, Facebook qu'ils vont bousculer l'éducation et la démocratie, on attend encore... 

Avant tout, le confinement est une régression humaine forte. C'est une saloperie que d'être reclus dans son foyer, diminué de nos relations humaines. C'est une saloperie de ne plus pouvoir aller à l'école. Le fait d'user de Zoom ou Openclassrooms pour avoir une interaction avec un enseignant, ça n'est pas "inventer l'école de demain", mais jeter des bouées à des élèves qui se noient... Quand j'entends le traitement économique ou tout le monde doit "se réinventer" pour parler de faillites, je tousse (c'est pas le Covid). Soudainement, les ondes sont pleines de ces crétins de conférenciers Ted qui disent "un entrepreneur est un type qui saute dans le vide et avant de tomber, a inventé le parachute". Sautez les premiers, hein, on vous regarde... 

La résilience, c'est ce qu'a vendu Uber aux autoentrepreneurs qu'il embauchait sans protection sociale et qui ont leurs yeux pour pleurer depuis le Covid. C'est le mantra du new public management, le discours tenu aux directeurs d'hôpitaux pour expliquer que la fermeture de lits rendrait leurs organisations plus fortes, car plus agiles avec Doctolib, plus souple grâce à des bed managers qui optimiseraient les disponibilités en temps réel. On a vu. 

Il faut arrêter avec une résilience bisounours, enfantine. Une crise, de la destruction humaine et matérielle lourde, ça n'est pas un joyeux champ de possibles, mais un moment où il faut accepter des choix pénibles. Prochaine fois que j'entends résilience en un sens laudatif, je couperai le poste, ça produira un effet positif immédiat.  

07/05/2020

L'année d'après arrive vite

En écoutant et lisant hier Nicolas Hulot, je me suis posé une question de côté : dans quelle case le CSA le met ? Parce que tout de même, son baril d'eau tiède présenté comme révolutionnaire, il l'a présenté sur la case reine d'Inter, sur Brut, le Monde... Un plan média de star pour un programme qui a une vertu écologique indéniable : il est 100% recyclé de ce qu'il n'arrive pas à vendre depuis des années. Et pourtant, ce matin, la droite lui tombe dessus, Le Point le qualifiant "de populiste autarcique" qui veut tuer la mondialisation. Hulot... Et si le CSA le comptait comme "divers gauche" ?

Hulot... Un mec qui doit sa fortune, ses 6 voitures et autant de maisons à Bouygues, bétonneur en chef. Un mec qui a méprisé la parole de ses victimes d'agressions sexuelles, qui a méprisé la démocratie interne quand il s'est fait écraser par Eva Joly sans la soutenir par la suite, qui a méprisé l'écologie en avalant un nombre record de couleuvres en un an de ministère (le summum étant sa défense de l'avantage fiscal pour l'huile de palme de Total car "ça crée de l'emploi"), il n'y a rien à attendre de ce type. Rien. Et pourtant, il parle. Il parle comme Jean-Jacques Goldman ou Michel Drucker parleraient. Populaires et inoffensifs. Mais il mange du temps d'antenne, de la bande passante, à celles et ceux qui veulent une autre donne sociale et écologique.

C'est désespérant et, en même temps, on ne peut s'en prendre qu'à nous mêmes. Hulot est-il tellement plus ridicule que ceux qui s'entretuent en permanence ? Bon, ok, il est plus ridicule, mais à peine... L'urgence des urgences, c'est de se compter. Nous sommes minoritaires. En voix, en effectifs prêts à sacrifier leurs soirées, leurs week-ends pour une campagne. Les européennes l'an passé ont confirmé que le bloc bourgeois et le bloc nationaliste surpassent de loin l'archipel des envies d'autres choses. Mêmes réunis, mêmes additionnés, les confettis sont minoritaires. Mais beaucoup moins. Assez pour qu'un coup soit jouable. 

Vertu du confinement, des boucles Zoom s'organisent où les gauches se parlent, mais Mélenchon et Jadot n'y sont pas. Or, s'ils veulent y aller tous deux, la donne est finie. Pliée. Et je ne parle même pas des autres... Une armée de tigres en papier, anémiés de surcroît. Lors des européennes, la gauche a battu un record de divisions : ceux qui ont dit qu'il fallait à tout prix s'unir, Place Publique ont fini par y aller seuls (avec le PS), les Insoumis ont tapé sur les Verts, les Communistes ont tapé sur les Insoumis, les Verts ont tapé sur le PS, Benoît Hamon a voulu nous rassurer sur le fait qu'il soit vivant. Pendant ce temps, avec un bilan déplorable, un programme lamentable et une candidate navrante, Nathalie Loiseau faisait 22,5%, 10% devant les écolos. Caramba...

C'est triste, mais voilà que la gauche peut faire pire ! Les divisions sont toujours là au point que le concours n'est plus : qui sera le/la meilleur.e mais moins pire ? A ce jeu là, rajoutons Taubira qui incarne une forme de gauche morale, Montebourg qui a mis en acte ses idées depuis 5 ans avec ses entreprises agricoles, éthiques et locales, Vallaud Belkacem et Duflot la légitimité de la direction d'ONG... Je dois en oublier. Tant mieux, on n'a pas trop de talents, mais pas assez. Parce qu'il va falloir tout. Les moyens du PS, les militants du PCF, la puissance argumentaire de LFI, l'envie de renouveau qu'aimante EELV... 

Sans prendre nos désirs pour des réalités, nous sommes minoritaires en voix mais majoritaires en aspirations. A condition de bien angler le débat : plutôt que "doit-on réduire la dépense publique pour éponger les dettes ?" poser la question de l'urgence du partage "comment allouer les 60 milliards de fraude fiscale annuelle : aux hôpitaux, aux écoles ?", la question de la justice "le CICE coûte 100 fois plus que les emplois aidés pour protéger un emploi : est-ce bien raisonnable ?" et ainsi de suite. Les services publics de proximité, la revalorisation des métiers en fonction de l'utilité sociale, un revenu minimum inconditionnel, une production relocalisée, pérenne... Les bases d'un changement de civliisation sont là, ça ne sont pas les idées, les contributions, les propositions qui manquent. 

Il faut de l'incarnation. On peut le déplorer, on doit le déplorer au motif d'institutions obsolètes, d'un Parlement décoratif quand tout est centralisé, mais avant de pouvoir changer les institutions, il faut avoir les manettes. Et pour cela de l'incarnation, la boucle est bouclée. Comme le disait le philosophe Jean-Claude Monod, "nier la question du chef, c'est s'exposer à son retour monstrueux". 

Alors, que faire me direz vous ? Je propose une situation inspirée du confinement, et de l'élection du pape, l'impératif féministe en plus. On sait qu'il nous faut un.e seul.e candidat.e. Enfermez-vous dans une grande bâtisse cet été, pendant un mois. Apprenez à vivre ensemble, à vous tolérer. Personne ne vous demande de vous aimer, de vous apprécier. Tolérer, ça suffit. Et on ne veut pas vous voir sortir avant que la fumée blanche n'annonce quelqu'un.e. Parce que l'année d'après arrive très vite et qu'il sera trop tard, alors. Si nous ne sommes pas capables d'imposer un seul nom, Nicolas Hulot reviendra nous hanter. Pitié, tout mais pas ça.