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29/06/2020

Parler de la vague blanche

Dans "La lucidité" Sarramago imagine une capitale plongée dans le désarroi après des élections municipales dominées par 83% de votes blancs. Craignant une conspiration, les dirigeants font évacuer la capitale et provoquent un siège pour déterrer les coupables. Bien entendu, c'est une fiction. Dans la réalité, nos dirigeants se contrefoutent de la participation.

Le vote blanc n'est pas l'abstention. Evidemment. Tous les abstentionnistes n'ont pas des raisons très politiques de ne pas aller voter. Certes. Mais le vote blanc n'étant pas comptabilisé chez nous (pas dans les décomptes du soir, on peut retrouver le nombre de bulletins blancs ou nuls au lendemain des élections, mais personne n'en parle), le seul instrument d'observation de la faillite représentative, c'est l'abstention. 

Tout le monde, ce matin, parle de vague verte. A raison, puisque les grandes villes ont, et c'est historique, élu des maires écolos. Mais à tort puisque le premier parti de France hier, majoritaire en voix à lui seul, c'est l'abstention. 60% au national. 70% dans nombre de grandes villes. 79% en Seine Saint-Denis. Comment, sincèrement, parler des résultats d'hier sans insister lourdement sur ce facteur ? 

Bien sûr, il y a le contexte. Le Covid et les 3 mois entre deux tours, la campagne sotto voce... Mais quand même ! L'abstention est plus forte qu'au premier tour alors que le climat sanitaire était cent fois plus calme. Le 15 mars, tout fermait, on craignait la mort en allant faire ses courses, personne n'avait de masques. Hier, tout était ouvert, les masques ne trouvent plus preneurs tant on en a, les assesseur.es derrière des vitres. Rien à craindre. Rien. Ca ne suffit pas à expliquer. Et les municipales sont les élections favorites des français avec la présidentielles. 60% d'abstention, c'est plus fort que lors des européennes qui n'enchantent pas grand monde. Ca s'appelle quand même un divorce. Ne pas aller voter pour un Parlement dont on ne comprend pas les réels pouvoirs, c'est une chose, mais refuser de choisir pour celles et ceux qui gèrent les transports, la circulation, les cantines, les temps de vie, l'éducation culturelle et les festivals, tant de choses que l'on voit, concrètement, facilement. C'est assez désespérant.

Le CSA veille à ce que les invités des médias reflètent la diversité politique du pays. Il serait agréable que l'on donne plus la parole à toutes celles et tous ceux qui préfèrent choisir de ne pas choisir. Il y aura sans doute des éructations peu aimables et peu constructives tenant en deux mots, "tous pourris", mais il y aura aussi, forcément, les graines d'une résurrection vitale d'un système calciné, qui n'a plus de "représentatif" que le nom. 

28/06/2020

Des verts dans les fruits aux fruits verts ?

Il est des victoires qui vous engagent. La vague verte aurait pu aussi emporter Toulouse et Lille, mais quand même. Au 1er janvier 2020, même bourré comme un coing bio, pas un militant écolo ne pouvait rêver de gagner Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Besançon...

On peut et on doit s'en réjouir. Quand tous les partis rivalisent d'hypocrisie, repeignent à la hâte leurs devantures moisies en vert, la prime est allée aux originaux. Chouette. Néanmoins, deux hic majeurs. D'abord, avec des niveaux d'abstention stratosphériques, ces victoires ne constituent pas, mais alors pas du tout, un contrepoids pour 2022. Il manque des millions et des millions de voix. Les villes gagnées l'ont été parmi les 30% de non dégoûté.es, donc les plus diplômé.es, les mieux inséré.es... Les catégories les plus populaires, celles qui savent déjà qu'elles vont mettre des années à se remettre de la crise du Covid avaient mieux à faire que d'aller voter aujourd'hui, mais iront voter pour un.e président.e. Or, les verts ont toujours été à des années lumières dans la course à cette élection. Jadot n'a aucune chance d'avoir un score à deux chiffres, Piolle à peine plus. On se contrefout de ce que disent les sondages aujourd'hui, Mélenchon contre un vert en débat présidentiel, c'est un match perdu d'avance. La question n'est pas de parler de dynamique, mais simplement de rappeler qu'un vert et Mélenchon sur la ligne de départ, c'est déjà fini pour que la gauche entrevoit le second tour. Ces victoires ne changent rien de rien au destin des verts au point de vue national. Humilité, humilité. Et quête de l'unité. 

Ensuite, ne pas oublier. Les verts ont gagné grâce aux alliances rouges et roses, 100% à gauche. En mordant tout juste au centre droit pour éviter des LREM répugnants ou du RN. 100% à gauche. Ce qui sera évidemment récupéré par LREM, LR et le RN pour dire 100% gauchistes et caricaturer la seule alternative qui existe, à savoir un mouvement de justice écologique et sociale donc forcément, nécessairement, ontologiquement, obligatoirement à gauche et pas qu'un peu.

Et c'est là le second hic. Hulot, Cohn Bendit, De Rugy, Placé, Canfin, les écolos traîtres sont, hélas, légions. Barbara Pompili, aussi, histoire de souligner qu'une femme peut trahir aussi, mais dans le lot ce furent majoritairement des mecs. Le nombre de verts pourris qui se sont vendus pour une gamelle, ont avalé du glyphosate en bol, de l'usine d'huile de palme et autres trahisons ont terni l'image du mouvement. Lors du remaniement à venir, Macron essayera bien d'en débaucher encore un ou une. Pas un.e ne doit partir, l'écologie de combat ne peut plus se permettre d'être salie par des opportunistes. Les victoires engagent profondément les maires vainqueurs de ce soir, qui doivent se rappeler définitivement où ils habitent politiquement, faute de servir de marchepied à un Macron ce soir groggy, mais pas KO

27/06/2020

Compter les cow-boys et les indiens

Tous les flics sont-ils de violents racistes, les journalistes corrompus et les profs des tire au flanc ? A l'évidence, non, dans toutes les catégories. Pour autant, dans un monde malade du chiffrage, du comptage, de l'évaluation en permanence, le relativisme sur "certains flics sont racistes, cessez de jeter l'opprobre sur l'ensemble" à bon dos. 

Encore et toujours, la pensée la plus acérée sur le sujet de notre rapport chiffré au monde est celle du mathématicien Olivier Rey, qui écrit dans "Quand le monde s'est fait nombre" : "La statistique est aujourd’hui un fait social total : elle règne sur la société, régente les institutions et domine la politique. L’éducation disparaît derrière les enquêtes PISA, l’université derrière le classement de Shanghai, les chômeurs derrière la courbe du chômage… La statistique devait refléter l’état du monde, le monde est devenu un reflet de la statistique". 

Ca n'est pas nécessairement un progrès, mais à tout regarder en giga, à observer des problèmes globaux, le fait divers et la belle histoire ne suffisent plus à étayer un propos. Si je reprends mes trois catégories initiales, les chiffres existent pour tout. On peut donc débattre sereinement et les chiffres sont là pour apaiser le débat, lui donner de la hauteur, démythifier.

Les journalistes sont de plus en plus précaires. Le CDI est le Graal, le salaire médian reste stable, mais les revenus médians plongent : les piges baissent comme le montre chiffres à l'appui le site payetapige. Avec le Covid, nombre de pigistes ont fait remonter leur état de grande précarité matérielle, suite à des impayés vieux de plusieurs mois, aucune autre ressources, aucun droit au chômage. Dire que les journalistes sont corrompus par leurs milliardaires de propriétaires de titres, c'est confondre la toute petite élite de rédacs chefs, de présentateur.rices et d'éditoriastes, qui bien souvent cumulent les honneurs et les rémunérations rondelettes avec l'écrasante majorité des soutiers de la profession. Quand on parle des travers de la profession, de leur vision biaisée du monde et lèche bottes, je dors tranquillement et je me ressers à boire.

Les profs sont de plus en plus sollicités pour de moins en moins de considération. Mise à part les profs d'EPS qui, eux, partent au début des vacances et rentrent à la fin, la part de congés réels des profs n'a cessé de diminuer avec la hausse des devoirs à rendre et donc des copies à corriger, l'excroissance sans fin d'une bureaucratie évaluatrice hors de contrôle qui oblige toujours plus à rendre compte (jusqu'à l'absurde) ce ce qui s'est passé en classe. Le salaire a temps gelé que la place des profs français dans le peloton de l'OCDE n'a cessé de dégringoler. Ajoutez à cela un climat ultra dégradé dans nombre d'établissements dépouillés de leurs bon.nes élèves par le privé du coin, une pression aux résultats renforcés avec les classements à la con et les obligations de Parcoursup, l'épée de Damoclès du retour des retraites pourries, vous comprendrez que les profs sont vraiment peu vernis. Les chiffres sont là et pour peu qu'on les regarde honnêtement, ils plaident pour la relaxe. La malhonnêteté consiste à accumuler jours de grèves et d'absence pour dire que les profs seraient plus absents. On délégitime la grève, qui survient précisément parce que les conditions de travail se dégradent. Et le cercle vicieux continue. Quand on accuse les profs d'être tire au flanc, je sais que l'attaque vient de ceux qui ont foutu leurs rejetons dans le privé et veulent leur conscience pour eux...

Les flics sont sans doute de plus en plus pris à parti, dans ce pays. Sans doute. Mais leurs moyens de rétorsion ont explosé sans commune mesure. Ils sont tous armés et de plus en plus. Les tasers, lacrymos, LBD n'existaient pas il y a peu. Alors on peut faire tourner en boucle les images de deux bagnoles de flics encerclés par quarante jeunes peu enclins au dialogue avec battes et pierres. On peut. Ces scènes sont immondes et les auteurs doivent être déferrés devant la justice. Pas de débat. Il y a des violences sur les dépositaires des forces de l'ordre. Pas de débat. Mais le décompte minutieux de David Dufresne sur les répressions policières depuis la loi travail et encore plus avec les manifs de Gilets Jaunes laissent peu de place à la thèse du match nul. L'IGPN saisie 65 fois pour violences policières, images à l'appui. 3 affaires vont au bout... Comme le dit encore mieux Dufresne, les seuls flics qui tombent sont ceux qui se font poisser pour de la corruption, des affaires de stups, des trucs crapoteux. Mais les violences, elles, sont couvertes par Valls, par Cazeneuve, par Collomb, par Castaner et par Macron. Chiffres à l'appui, le Conseil de l'Europe et le Défenseur des Droits montrent une explosion des violences policières et leur caractère discriminatoire avec des mandales qui partent d'autant plus facilement que la personne en face n'est pas blanche. Poser ces chiffes en préalable au débat permettrait d'apaiser. Je ne dis pas que certains indiens furent énervés au-delà du raisonnable face au cow-boys, mais l'histoire chiffrée prouve que ceux qui ont semé la haine n'étaient pas les chefs à plume.