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31/10/2011

Stop ! Il faut freiner pour penser l'accélération

accel.gifParfois, l'histoire même qui vous mène vers un livre fait déjà partie du livre lui même comme un trajet de voyage compose l'introduction aux vacances.

Là, on m'avait demandé de parler de la liberté de parole et des moyens de la diffuser (si si, la requête m'était adressée, ne riez pas) et je me retrouvais sur l'estrade en fort bonne compagnie, j'étais seul. J'avais le temps, je succédais à d'autres qui étaient passés seuls eux aussi. Pas de compression de table-ronde à 8 speakers dont un keynote speaker comme le veut de plus en plus l'usage. Je succédais en l'occurrence à un drôle de zigue,  sort de Pee Wee Herman du XXIème siècle qui parlait avec emphase d'un livre que je ne connaissais pas Accélération, d'Artmut Rosa (la Découverte) . Il en faisait une réclame aussi forte que désintéressée, j'en fus tout intrigué. Alors que le RER nous ramenait vers Paris, nous fîmes plus ample connaissance et il m'expliqua qu'il avait monté le Bulletin des Bibliothèques de France, excellent périodique sur ces lieux http://bbf.enssib.fr/ cruciaux pour tout pays avancé qui se respecte. L'homme a poussé l'onctuosité à m'en faire parvenir quelques exemplaires que j'ai lu avec intérêt mêlé de stupéfaction : c'est fou la vitalité et la capacité d'innovation en ces lieux que l'inconscient collectif dessine poussiéreux. Passons. 

J'étais donc conquis par avance, un homme si bien dans son époque syncopée qui milite dans sa vie professionnelle pour une décélération raisonnée des usages ne pouvait avoir que de saines lectures. Je dis donc l'emplette de ce livre, daté de 2008. Trois ans après, les dernières évolutions technologiques ont elles mis en péril les conclusions du livre ? Non, je blague bien sûr, trois ans pour un livre ce n'est rien, trente ce serait plus ennuyeux vu l'objet de l'étude et les récents bouleversements numériques, mais trois ans ne changent rien à l'affaire et dans trois ans, il sera toujours aussi puissant (si vous mettez du temps à le trouver...).

Premier constat, belle mise en abîme: penser la vitesse prend du temps et les 400 pages serrées du texte ne s'avaleront pas en deux trajets de métro et entre deux rendez-vous pros. Ca tombe bien, le message du livre est celui là : aller plus vite, c'est bien, mais savons nous encore pourquoi nous le faisons et surtout, à démultiplier les gains de temps, comment expliquer que nous en manquions tout le temps. Premier paradoxe et premier problème. Le deuxième est vaste aussi: quid du temps long dans nos sociétés compressées ? Pour le politique comme pour d'autres acteurs, c'est plus complexe que par le passé. Pourquoi ? Et bien, c'est là où je m'en voudrais de dévoyer le propos en quelques lignes pour "pitcher" une solide thèse. L'auteur décrit fort bien les cycles de temps compressés avec cette recherche d'accélérer presque tout (les journées durent toujours 24h, les femmes mettent toujours 9 mois avant d'accoucher, on met toujours le même temps pour déchiffre de la lecture...) grâce au progrès technologique, comment on compresse le sommeil et surtout comment on fait exploser toutes les bornes chronologiques. Pour les travailleurs, jours/nuits/week-end/vacances sont des logiques de plus en plus floues qui profitent à certain mais plonge un nombre croissant de personnes dans une insécurité vive. Forcément, cela peut mal virer comme l'illustrait  cette semaine Le Monde, avec un pied de nez à Stéphane Hessel et cette injonction forte en nos temps : concentrez-vous ! http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2011/10/24/conc.... Trop chamboulé, incapable de plus jamais penser le temps long, phobique de toutes décisions qui les dépasse quand toutes nos infos se doivent d'être "en temps réel" (ce qui signifie que le reste est un temps artificiel ?), nous courrons à notre perte...

L'auteur est pessimiste face à cette broyeuse de l'accélération du temps : selon lui, les mouvements de résistance tels que le Slow Food ou la décroissance sont voués à rester marginaux et n'ont de succès que dans la mesure où toute privation de liberté (en l'occurrence de temps) suscite des contre réactions, mais qui ne peuvent renverser la matrice. A l'idée que la matrice puisse s'étouffer elle même de trop compressé jusqu'à l'éclatement et produire quelques chose de très moche (comme les compressés de César, par exemple...) l'auteur penche pour la négative. C'est le seul reproche que je lui adresse, il est trop défaitiste. Après 380 pages saisissante d'intelligence où il décrit tous les mécanismes d'accélération dans le seul but de gagner (quoi ? On ne saura jamais) puisque pour reprendre la formule de Paul Virilio "tout ceux qui ont conquis le pouvoir dans l'histoire sont ceux qui ont pu les premiers mettre en application leurs idées" (transmis pour 2012), il nous adresse 20 ultimes pages un peu morbides quand l'espoir existe. Bizzarre, mais ce philosophe quadra semble un peu désespéré quand un octogénaire philosophe aussi est bien plus enthousiaste à propos de ce qui arrive, c'est la 

 "petite poucette" de Michel Serres. Ce texte est une excellente illustration de la manière dont on peut penser positivement ce changement et aller vers l'espérance. http://www.liberation.fr/culture/01012357658-petite-pouce... 

Sur ce, pour ne pas trop accélérer en ce début de semaine rythmée par les morts de la Toussaint, je vous propose d'arrêter là, mais vraiment, alors que Noël approche à son rythme, offrez un cadeau qui dure et qui marque.

Demain, nous reprendrons le cour des activités normales: magasiner un jour férié en nous extasiant tristement sur la fin des horaires d'ouverture...

29/10/2011

L'exercice de l'Etat, c'est bon pour la santé (mentale)

l_exercice_de_l_etat,0.jpgDeux catégories de films me déçoivent quasi systématiquement : ceux sur l'entreprise et ceux qui évoquent la politique. Je pensais donc risquer une nouvelle déconvenue, malgré un casting plus qu'attrayant. On ne m'y reprendrait pas deux dois, car  je m'étais déjà fait la même réflexion avec le Président, car j'adore Dupontel et pourtant, quelle purge... Et bien là, non. Mais alors vraiment non et ho putain quel pied !

La raison de ma déception sur ces films ne varie guère : c'est plus complexe que ça. Je doute que le nombre de salopards absolus soit si grands dans ces mondes. En revanche, la maladie mortifère de l'âme qui règne est plus que contagieuse et ça, "L'Exercice de l'Etat" le dépeint à merveille. 

D'abord, il y a ce truc très français des élites qui se soupèsent entre eux par codes et dont le réalisateur parle très bien avec la journaliste Marie-Laure Delorme là : http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-l’exercic... 

Ils en parlent finement et le livre de Delorme est au coeur du film de Schoeller. Elle est allée voir les énarques et écouter leurs motivations. De plus en plus, ces diplômés d'une élite de l'élite se détournent du service public pour aller vers le privé. Pour l'argent bien sûr, mais aussi pour le pouvoir car comme le campe très bien Didier Bezace dans les 5 minutes où il apparaît car "on a les moyens de mettre en oeuvre, quand l'Etat n'est qu'une vieille godasse qui prend l'eau de toute part". Pourquoi tant d'esprits se pressent ils vers l'Etat alors ? Le pouvoir qui est partout. Et le pouvoir défigure cet Olivier Gourmet, magnifique, qui promet de ne pas oublier d'où il vient et s'en souvient plus dans ses cuites mémorables qu'au quotidien. Il est pris dans un vertige qu'il ne maîtrise plus comme quand un de ses collaborateurs lui dit "et ta fille en Egypte", qu'il répond "elle part quand ?" et qu'on lui réplique "elle y est depuis deux jours". Il n'a alors qu'un moue même plus honteuse, un mouvement de menton et il faut repartir de l'avant...

Le film dépeint tout de façon très juste, les rapports entre les hommes, entre les castes, entre les générations avec ces jeunes à la langue syncopée à la limite du saccadé, toujours en rupture et aussi proches de l'intérêt général que DSK des moins trappistes. Schoeller croque tout ça et s'autorise beaucoup de très belles images. La mort, le désir, les pulsions sont souvent montrées sous formes de rêves, de cauchemar ou de flous toujours artistiques.  Enfin, il y a les rapports avec le personnel du politique, ces porteurs de parapluie si bien croqués par François Morel qui remarquait que pour les 20 ans de la chute du mur, Sarkozy avait un porteur de pépin quand Merkel le tenait elle même http://www.youtube.com/watch?v=MenAhJm3awo comme il dit "ça n'a l'air de rien", mais c'est beaucoup. Scholler croque tout au plus juste comme les relations plus troubles avec les chauffeurs, mais il est vrai que si vous voulez connaître la bio off de Giscard, Mitterrand ou Chirac, demandez à leurs chauffeurs... Pour Sarkozy, il l'écrit lui même, alors...

Bref, alors que le changement d'heure domine le week-end, pas de changement à venir dans l'exercice de l'Etat, sauf ce très bon film, une parenthèse réflexive de deux heures. Ce serait trop bête d'élargir le plan de rigueur au cinéma...

Demain, nous réfléchirons avec angoisse à l'affectation de cette heure supplémentaire...

25/10/2011

Quand la jeunesse aime le travail et la famille, la patrie de gauche est-elle en danger ?

petainix3.jpgCertaines enquêtes ont de quoi laisser pantois. Les Algan/Cahuc et toute leur bande qui détricotent les fils de la société de défiance ont cette fois travaillé avec Stéphane Carcillo sur la jeunesse française coupée en deux.

Le genre d'étude qui ne plaît à personne: la droite voit comment elle a renforcé le séparatisme social et contribuer à accélérer une certaine ghettoisation de la France. Mais la mouvance soixante huitarde de la gauche -les libertaires-, se prennent, eux aussi, un violent retour de bâton en découvrant qu'ils ont accouché d'une génération qui les vomissait de tous leurs dazibaos: une jeunesse qui réclame du travail et la famille. On peut écouter les auteurs de l'enquête en parler très bien là :

http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-la-jeunes... 

Que mes parents se rassurent, je n'ai pas viré ma cuti et ne compte pas voter Hollande au premier tour car sur les remèdes nous divergeons. Mais sur le constat, quand il veut rééchanter le rêve Français pour la génération à venir, il ne se trompe pas. Il voit les indignés et comprend que le monde occidental se réveille avec la gueule de bois: en 68, parenthèse enchantée, plein emploi et peu de diplômés. Donc, les étudiants ont un avenir doré et les non diplômés peuvent monter quand même. Alors, on emmerde l'emploi on claironne "droit à la paresse" et on emmerde la famille, cette institution bourgeoise. Laissez nous partouzer tranquille ! Quand des enfants arrivent, les couples divorcent dans plus d'un cas sur deux. Bon, c'est juste factuel, sans esprit de polémique ou de surfer sur le vomitif opuscule de Ferry et Renault sur la pensée 68. Seulement, la donne a changé: des diplômés on en a par millions sans perspectives radieuses pour autant. Les 20% de non diplômés, soit un enfant sur cinq tout de même (!) sont eux, définitivement abandonné. Pas de boulot, pas de famille car pas les moyens de la fonder...

La gauche n'a pas assez écouté ces maux profonds, à force de répéter que le travail était une aliénation bourgeoise et la famille une institution réactionnaire, elle s'est coupée bêtement et simplement d'une génération qui aspire d'autant plus à cette normalité qu'elle en est privée et de plus en plus éloignée au point que cela devient insupportable. Evidemment, cette surdité sociale profite à des mouvances très traditionnelles comme le FN ou dans une moindre mesure, la droite populaire. Le succès de ces deux courants n'est pas fondé uniquement sur le rejet de l'autre, mais aussi sur l'attention qu'ils portent à ce désir de normalité. La gauche craint le piège pétainiste à revendiquer travail et famille, mais à craindre ce lacs gros comme une maison bleue et à trop contourner le chemin, on risque le ravin...

Demain, nous nous interrogerons sur la pertinence de conserver pour le 25 octobre la St Crépin à l'aune du nombre de prénommés de la sorte qui ont reçu des SMS aujourd'hui...