Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/08/2012

Cette presse là mérite de mourir...

9782246802877.jpgParmi tous les plans sociaux et toutes les mauvaises nouvelles sur le front économique et de l'emploi, les quelques possibles pertes de postes dans le secteur de la presse ne sont à l'évidence pas ceux qui feront le plus pleurer dans les chaumières. A tort, autant les tops managers qui sont évacués sont interchangeables et bénéficient de douillets matelas, autant les soutiers de la ligne, de la correction, de la maquette et autres de la fabrication appelés à monter dans les charrettes peuvent avoir des sueurs froides tant les possibilités de retrouver dans leur secteur sont minces. 

La crise de la presse s'explique par une pluralité de facteurs plus ou moins légitimes, Internet (toujours pratique comme coupable) la publicité moribonde, le faible intérêt des français (quels nuls) ou encore le manque de soutien d'investisseurs et enfin, évidemment, l'action néfaste des syndicats. Soit. Pas forcément faux, mais mon propos du jour n'est pas celui là : quid de l'autocritique de la presse papier elle même ? Elle qui monte des assises de sa profession, signe des codes d'éthiques et s'interroge à longueur de colonnes et d'ondes sur les limites de la déontologie le matin avant de faire le poirier devant chez DSK l'après-midi. Nos contradictions sont énoncées, mais les dirigeants de nos médias font semblant de ne pas entendre la lassitude et continue de nous déverser des tombereaux de merde.

Dernier exemple en date, paru en librairie, mais on ne peut décemment qualifier ce morceau de papier cartonné de "livre". Il s'agit d'"entre deux feux" coécrit (elles s'y sont mises à deux...) par une grande reporter du Point et une rédactrice en chef de Marianne. Le point de départ du livre est : pourquoi Valérie T a t-elle écrit ce tweet de 137 signes aussi dur pour Ségolène R ? 

Commençons par le commencement à propos de ce machin édité : il m'a été envoyé pour raisons professionnelles, autrement jamais je n'aurais dépensé de l'argent pour acheter une telle fadaise et pas perdu de temps à le lire, mais je lis ce qu'on m'envois, je suis un garçon poli. Con aussi, car même si cela se lit d'un derrière distrait en une grosse demie heure, c'est toujours cela de perdu. Car il n'y a rien à sauver dans ce livre. L'indigence du style amène une question : "peut-on écrire plus mal ?". Pas sûr. Car si les auteurs ont ce truc très français de recopier quelques lignes clichés de Bérénice ou une allusion à Goethe, fors cela c'est le désert du style, l'assèchement de l'image, le Waterloo de la tournure. Mon Dieu, quelle désolation de langue... Ensuite, sur le propos, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'insister, si ? "Bouh, l'autre elle a dit que tu l'aimais plus que moi; non c'est moi la plus belle; mais réagis, sois un homme; je me vengerai ; dégage, t'approches pas de François !; bonne chance à O. Falorni; the END"... Indigent...

Quelque part, la nullité absolue du livre s'explique dès la lecture de la fin : les remerciements. FOG, Domenach, toute la rédaction du Point et autres chroniqueurs remerciés dans un déluge de miel et de flagorneries... Une enquête ? Des sources croisés ? Une recherche ? Ce livre s'est écrit en quelques semaines en collectant des anecdotes, bons mots (enfin, "mots") et autres propos de fins de dîners en ville.

Bon, maintenant qu'il est entendu que ce poids sur les tables de librairie n'a pas une once d'intérêt, pourquoi diable s'entêter à en parler ? Mais à cause de la personnalité des auteurs ! Journalistes en vue dans des hebdos courus, elles squattent l'agenda médiatique et font que le petit mundillo de l'enternainement informatif use salive, encre ou pixels à commenter ce néant. Ils pratiquent ainsi joyeusement une intense séance d'onanisme verbal. Puis, dégrisés, ils iront voir leurs chiffres de vente et se lamenteront que les français sont des veaux et ne veulent plus s'informer... Cherchez l'erreur, elle est très mal cachée. Si l'on veut conserver notre spécificité hexagonale d'être les plus gros lecteurs de presse mag, peut être faudrait-elle que celle s'auto-procalmant, "d'information" se distingue des titres concurrents assumant crânement de faire les poubelles...

30/08/2012

Réanimation

9782246746614.jpgEn septembre, les lettres se conjuguent à l'impératif de chiffres. Ils mentent tous, comme disent anecdotes ou bons mots à l'appui, Alfred Sauvy, Mark twain ou Churchill (citations sur commande...). Tout ce que l'on sait c'est qu'il en sort trop: 600, 700 ? Bref, une tonne de nouveaux romans en septembre comme chaque année sur des tables de librairies qui rapetissent à cause du foncier galopant. Allez vous retrouver là dedans quand la presse vous aiguille sans cesse vers les 20 mêmes titres...

Alors, il faut se déplacer, soupeser les carcasses de papiers comme d'autres les palourdes ou les huitres, voir ce qu'il y a dedans, renifler, chercher. Perle ou pas ? Là, le livre ne précisait rien. Ni "roman" ni "récit" tout juste la collection permettait-elle d'avancer qu'il s'agissait d'un texte de fiction. Mais rien de plus, pas même un léger avertissement au lecteur pour lui indiquer que la narratrice pourrait, détails de bios furieusement recoupants, ressembler à l'auteur. Qu'importe. J'avais beaucoup aimé tout ce que j'avais de lu de l'auteur, le thème semblait dur, mais qu'importe, banco.

Dès les premières pages, exit les questions sur la nature du texte. Ce récit magnétique est bien au-delà de tous ces débats sur l'auto-fiction et autres querelles germanopratines. Il vous emporte car cela pourrait vous arriver. Heureusement, ce n'est pas le cas. Enfin je vous le souhaite, car après 20 ans d'idylle fiévreuse avec Blaise, la narratrice suffoque un matin de voir son bien aimé commencer à se déformer littéralement. Son bel amant se mue peu à peu en Elephant Man. Passé l'étonnement, la consternation, l'inquiétude, le dégoût et l'énorme trouille, elle atterrit aux urgences. Le diagnostic est aussi implacable qu'incompréhensible : cellulite cervical. Quoi ? Une peau d'orange vers la lulibérine ? Sauf qu'il n'est pas de régime prescrit par ELLE pour réchapper à cette cellulite là. Seule une plongée dans le coma artificiel peut vous sauver. Et prolongée la plongée, inutile de vous dire que Jacques Mayol est un aimable plaisantin avec sa dizaine de minutes. Ici, on compte en jours. Jours pendant lesquels l'être aimé depuis deux décennies n'est plus. Pas plus vivant qu'une grande algue, pas vraiment mort non plus.

Pendant plus de 200 pages, Cécile Guilbert s'aventure sur ce filin narratif avec un brio inouï. L'auteur d'essais sur Guy Debord et Laurence Sterne ou d'un très beau roman ("le musée national") s'est aussi apparemment hasardé à un livre sur Wharol qui revient souvent dans le présent livre. Bon. Personnellement, ces histoires de soupes en boîte ou de Marylin en croûte me navrent un peu mais passons. Dans cette histoire, foin de Wharol, d'éruditions de tout siècles, de tous horizons, Guilbert se met à nu avec une rare impudeur et nous tournons les pages avec avidité. Cette absence, ces cheveux sur l'oreiller, ces amis qui ne sont plus là quand ils devraient pourtant l'être, nous pouvons tous les voir. Elle parle d'une maladie qui ne concerne personne ou presque, orpheline absolu. Si la maladie est inconnue, la douleur ressentie parle à tous. La douleur est un langage commun, l'espérance et les souvenirs aussi. Guilbert est polyglotte absolue, elle parle le dialecte de ces sentiments sans édulcorants et nous inhalons cela en grandes bouffées jusqu'à la suffocation, jusqu'à la fin du récit. Quand nous l'atteignons, un peu exténué, le doute n'est plus permis : nous venons d'explorer un grand texte.

Peu importe le qualificatif que l'on met dessus, peu importe que l'auteur ait choisi un "happy" ou sad" ending, en refermant "Réanimation", on se rappelle que la mission des écrivains est de nous rappeler leur futilité dans un univers où les images disent souvent tout mieux qu'eux. Je ne regarderais pas un film tiré de "Réanimation", ce serait pompeux, tire larme et pénible. Je ne suis pas allé voir "le scaphandre et le papillon" ou "mar adentro", en lire les synopsis m'ont suffit. Trop évident, j'imagine par avance les plans rapprochés ou distants et je baille devant la facilité du procédé...

Mais en livre, cela confine à la très soutenable (plus que cela) légèreté du récit. Un ange de la création est passé par là, qu'on ne cherche pas à l'attraper. Bernard Frank écrivait que l'on ne progresse pas en littérature, relançant le débat lancinant sur les inégalités. Je ne sais pas où était la ligne de départ de Cécile Guilbert, mais elle est montée très très haut avec ce livre. Sans doute la questionnera t'on sur ce qu'elle a mis d'elle même dans ce livre ou sur la morale qu'elle a voulu distiller. Vastes questions... Sans importance, ce qui compte c'est le reste, ces 250 et quelques pages de littérature.

Demain, nous reprendrons notre souffle en avançant un peu plus dans le journal de Jules Renard. 

25/08/2012

De l’art de transformer un Waterloo perso en illusoire Arcole pro.

 

waterloo.jpgJ’aurais aimé que Bertrand Guillot (www.http://secondflore.hautetfort.com) vive cette scène. Elle était pour lui, son œil, ses incisives. Mais il n’était pas là, tâchons de le suppléer au pied levé.

 

C’était à Lao Cai, faubourg de Sapa. Une gare à l’ambiance électrique, les minibus venaient de vomir un flot de touristes comme chaque jour à 18h pour les trains de nuit, ne pas les rater. Le chiffre de la journée se fait sur ces deux heures. Nous baffrons sans faim, pour ne pas manquer dans le train. Au menu, du bœuf trop cuit avec du céleri trop mou et de la bière tiède. 19h, les portes s’ouvrent, ruée vers l’or glacé du train conditionné. Bloqué par des vietnamiennes à l’invraisemblable cohorte de valises, je chantonne Brel (ce ne fut pas Waterloo, non, mais ce ne fut pas Arcole, ce fut l’heure où l’on regrette d’avoir manqué l’école. Au suivant, au suivant). C’est un bordel ambulant aussi, mais pas d’une armée en campagne, juste pour monter. Nous voilà, une cabine pour 4. Vide. Premier accroc, la porte ne ferme pas, mal vissée. Si ce n’est que cela. Rapidement, un second désagrément se fait sentir qui coule le long de nos dos, sur nos fronts, partout. Nous sommes comme en fusion. Une main part vérifier l’air conditionné, mais celui-ci ne laisse s’échapper qu’un très mince filet d’air à peine frais. Damned. Soudain, des cris. Incessants, oppressants aussi. Je sors Ce sont nos camarades vietnamiennes qui ont empilé leurs valises en une pile digne des plus belles parties de Tétris. Elles ont tout juste trouvé à se glisser dans les couchettes. Incroyable. Je profite d’être debout pour gueuler pour la clim’ (qui finira par être moins pire au bout de trois requêtes et du fait que je ne bouge pas jusqu’à l’arrivée du responsable). Puis, un autre tintamarre se fait entendre. Moins strident, plus bravache, et dans une langue connue de nous deux.

 

Au bout de dix minutes, sans les avoir aperçus, nous savons tout de cette famille de cinq français embarqués dans un train deluxe avec une couchette cassée. Le drame. Ils s’insultent entre frères et sœurs. La mère surenchérit (« mais toi ta gueule »), la sœur n’écoute pas et relance son frère (« mais dégage, dé-gage ») alors survient le père, celui qu’on n’attendait plus. Il voudrait avoir l’étoffe d’un général en chef, mais les généraux ne descendent pas sur le champ de bataille. Là, il y a urgence et il ne sait que faire. Il lance à sa femme « je vais passer quelques coups de fils, on ne paye pas ». Nous les entendons, depuis le couloir, ces fameuses réclamations qui, à 20h passées, aboutissent sur un répondeur ou une hotline chargée du service minimum des urgences et qui s’en fout de sa couchette cassée. Ingratitude.

 

Il bat en retraite, mais la guerre est encore plus forte avec la clim’ en rade. Paul, l’aîné, se ballade torse nu, en ondulant des cils et cassant des poignets ; il voudrait faire son coming out maintenant mais entre la mater hystérique et le père aux fraises, il voit bien que ce n’est pas le moment. L’heure du choix arrive, ils sont 5, seules 4 couchettes dans un wagon. Paul pourrait se sacrifier « mais je veux prendre mon livre ! » « tu nous fais chier avec ton livre » lui rétorque subtilement sa mère. Le père se redresse à nouveau comme la justice et bouge ses affaires. « Dormez, dormez je vais passer quelques coups de fil ».

 

Là aussi, nous n’en perdons pas une miette « Oui Jean Bernard, c’est Laurent, oui je suis dans un train de nuit de Sapa pour Hanoï donc la connexion c’est pas terrible ». Effectivement, ça coupe. Il en appelle un autre « Geoffrey ( ?), oui c’est Laurent, j’ai eu Jean-Bernard. Je suis dans un train (etc…) oui, tu sais on ouvre en Russie et on marche super bien en East. Ouais, attend je vais regarder sur l’Iphone et après je travaillerai off line, je t’appelle demain. T’es à Kuala Lumpur ? Ok, il n’y a qu’une heure de différence. Ouais, à demain salut ».

 

Et voilà notre cadre en short et polo qui revient dans notre compartiment, le torse gonflé de ces victoires personnelles (on ouvre en Russie quand même). Il nous sourit, sort deux trois banalités et s’allonge. Il sort un livre plein de post it (un manuel de management) et tripote sur son Iphone, son casque sur les oreilles. J’aperçois une série de tableurs excel qu’il fait défiler. Il s’endort plein de rêves (d’autres ouvertures, Singapour, pourquoi pas le Nigeria). Au matin, notre cadre surbooké n’a pas quitté ses rêves, nous partons et j’aperçois un chauffeur vietnamien, un panneau à la main, l’air impatient. Pris de pitié, je me tourne vers notre cadre et lui demande si le nom sur la feuille est bien le sien. Il opine, « nous sommes déjà à Hanoï ? » « Oui avec une heure de retard, ils ne nous ont pas réveillés voilà tout, allez bonne journée ». Il me rend mon sourire, mais le sien est fébrile. Et pour cause, alors que nous nous apprêtons à descendre, déjà les gueulantes s’échappent du compartiment familial « putain fais chier, faut toujours qu’on se grouille, t’aurais pu nous réveiller avant »… Qu’elles lui sembleront longues, ces heures avant d’appeler Kuala Lumpur…