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31/12/2016

Macron, vers une victoire à la Renzi ?

XVM90aa9c2e-4081-11e6-84c3-bae3fde7865f.jpgDemain, je serai corseté par de bonnes résolutions comme ne pas se projeter à cinq mois de l'élection, je me hâte de faire une projection pour la présidentielle de l'année prochaine. Tant que c'est encore déraisonnable. On le sait, les courbes des sondages et opinions s'inversent rarement deux fois. Et Fillon se dégonfle vitesse grand V. La Manif pour tous peut faire ou défaire une primaire, plus difficilement une présidentielle. Les 2 millions d'opposants au mariage pour tous suffisent quand la victoire se donne à 3 millions d'électeurs, mais pour accéder au second tour de la présidentielle, il faut au moins 9 millions de voix.

A date, si je devais miser de l'argent, je mettrais une pièce sur le nouveau Lecanuet. Ma détestation profonde de son programme pour yuppies m'en empêche, ce qui ne me rend pas aveugle à la dynamique qui le porte. En ce moment, Macron c'est Midas. Tout ce qu'il touche se transforme en or, au-delà de toute rationalité. Un meeting porte de Versailles qui rassemble 10 000 personnes alors qu'il n'a pas de parti pour faire venir les gens en cars (Macron...) ça force le respect. Un discours chiant comme un jour de pluie, mais la foule applaudit à des propositions de réformes du RSI ou un bouclier européen. Bon... Comme me faisait remarquer un ami, Macron a quelque chose de singulier en cette période de détestation du politique, son discours est 100% positif. Tout le temps, sur tous les sujets même les plus anxiogènes. L'Europe ? Notre salut. L'auto-entreprenariat ? La voie de l'émancipation. L'immigration ? Du sang neuf pour régénérer un pays vieillissant. Tout n'est pas faux, là dedans, loin s'en faut et c'est le génie de ce populiste 2.0. : saisir les angoisses et les transformer en espérance. Il est le plus grand des joueurs de bonneteau... 

Cette semaine, un nouveau pic a été franchi en termes de bizarreries : Macron a lancé un cycle de podcasts audio et le premier de cette révolution punk est avec... Marcel Gauchet. Oui oui, Marcel Gauchet, déjà à la mode sous Mitterrand, fustigeant depuis lors toute forme de modernité et toute tentative d'être de gauche. Marcel Gauchet qui n'aime rien tant que les blouses, l'apprentissage du par coeur et les hommes et les femmes bien rangées et séparées, ce tenant de l'ordre ancien, cet anti Michel Serres, dénué de toute forme de malice. Marcel Gauchet, donc, ce Finkielkraut socialement acceptable. Et le podcast a explosé les records de téléchargement. Dans une époque saisie par l'emprise de la mesure, on est obligé de s'incliner et d'en faire le champion du fond, de celui qui "pousse le cérébral" comme le louent les journalistes qui commentent cela.

Qui réfléchit deux secondes à cela voit bien la supercherie, l'inanité qu'il y a à décréter que les chiffres de téléchargement salue quoi que ce soit. Qui l'a écouté ? Et en entier ? Qui a aimé ? Qui en a déduit que son attachement à Emmanuel Macron était plus fort suite à l'écoute de ce monument de modernité ? On peut douter que cela soit une majorité. Peu importe. Macron sait cela, il a autour de lui les ultra champions du big data, les amis de l'achat de fans, de constitution de légions fantoches et de suiveurs et voilà que la grenouille Macron est devenue aussi grosse que le boeuf. Au PS, on veut croire qu'il va exploser en vol. Ca n'est pas certain. La présidentielle est dans quatre mois, ça n'est pas grand chose. Il peut le faire. 

Avec l'effet des primaires à droite et au PS, le FN va mécaniquement submerger les écrans dans les semaines à venir pour compenser le retard de temps de parole. Et Marine le Pen va tranquillement reprendre sa place en tête du peloton de premier tour. Si elle accède au second tour, elle est quasi assurée de perdre, à l'exception peut être d'une configuration qui l'opposerait à Mélenchon, les français ayant encore plus peur de la Sociale que des fachos. Il est impensable que le PS accède au second tour face à le Pen, qui risque d'affronter Fillon ou Macron. Admettons que ça soit la seconde hypothèse. Il coche toutes les cases que veulent les français : non partisan, même pas socialiste, jeune et neuf, non velléitaire en vue des prochaines législatives et en apparence sans histoires de pognon (on va pas polémiquer, mais entre ses soutiens, ses mécènes et ses réseaux, je crois que même Sarkozy n'était pas autant le candidat du Mur de l'Argent...).

Renzi fut comparé à Valls pour le côté franc tireur dans son parti et aile droite. C'est une lourde erreur. Contrairement à Valls, apparatchik du PS depuis trente ans  qui a patiemment bâti son courant, Renzi est arrivé au sommet en quelques années et retombé tout aussi vite. Un magnifique soufflé. Macron pourrait bien le suivre : élu président, il devrait composer pour gouverner puisque En Marche n'investira pas une majorité législative. Dès lors, il nous précipitera vers une "coalition des meilleurs", un mix politique "LR PS" et "société civile" avec des patrons et des starts uppers pour appliquer son programme de mort de l'état et de dérégulation générale. Youpi... Face à la potion infâme qu'on lui donnerait à boire, le peuple se réveillerait et cantonnerait Macron soit à une impopularité record, soit à la sortie si, comme Renzi, il avait l'hubris de tenter un référendum...

Vivement l'année prochaine que je revienne à des considérations plus joyeuses comme la prise de conscience de la supercherie qu'incarne ce garçon et l'évidence que le programme de la France Insoumise est la seule nouveauté de cette élection. 

29/12/2016

65 millions de juges ?

cover-r4x3w1000-57985cb4325a6-l-accord-entre-le-fisc-britannique-et-goldman-sachs-juge.jpgOn sait depuis longtemps que la France compte 65 millions de commentateurs politiques, et de 65 millions de sélectionneurs pour notre équipe nationale de football. Hier, à l'annonce de la grâce totale et immédiate attribuée à Jacqueline Sauvage par notre Président, nous avons eu 65 millions de juges. Soudainement, une nuée de messages de félicitations, teintés d'impatience, se sont répandus sur internet. "Enfin". "C'est pas trop tôt". Etc... Rendant quasi impossible le fait d'avoir quelques réserves sur cette décision. 

L'unanimisme politique devrait pourtant suffire à soulever quelques doutes. Ce matin, Jean-François Lamour, prêt à fustiger n'importe quelle décision pourvu qu'elle émane d'un responsable socialiste nous gratifie de cette analyse limpide et honnête : "C'est une excellente décision. Je ne connais pas le dossier, mais ça me paraît être une décision juste". Peut-on faire plus stupide et surtout plus irresponsable de la part d'un dirigeant public ? Il nous dit en somme : j'y comprend que dalle, mais c'est ce que veulent les gens, donc super. Un abaissement démagogique, voilà ce que ce traduit cette décision. Ca n'est pas ne rien entendre à la souffrance de cette femme, ça n'est pas ignorer la possible injustice dont elle fut victime, c'est juste dire que si on s'engouffre dans cette voie, on risque d'être vite submergés. De Mélenchon au Front National, tout le monde salue ce reliquat de monarchie qui veut qu'un homme élu s'érige au dessus des juges et emmerde la séparation des pouvoirs en désavouant des juges qui ont tout de même reconnu Jacqueline Sauvage coupable. Et par deux fois. Attendu que c'est tout de même leur boulot, leur décision ne pouvait être motivée par la seule volonté d'emmerder une femme qui fut victime des violences de son mari pendant 47 ans, si ? 

Le plus habile des juristes numériques, Maître Eolas, rappelle bien hier que cette grâce ne vaut pas innocence. Mme Sauvage reste condamnée, contrairement à une amnistie, cette grâce ne lui permet "que" de sortir de prison. Mais au fond, l'opinion publique ne voulait rien d'autre. Les comités de soutiens étaient fort nombreux avec des relais médiatiques importants. Surtout, ils confisquaient tout débat car dans une logique émotionnelle manichéenne, s'opposer à eux serait revenu à réclamer le maintien de Jacqueline Sauvage en prison. Quel salopard pourrait souhaiter ça ? Impensable. " Baupin ne dort pas en prison et Jacqueline Sauvage si" s'indignait Guillaume Meurice, humoriste aux centaines de milliers de suiveurs. Vous voyez la logique ? Vous voulez quoi ? Défendre l'indéfendable, Baupin, Cahuzac, DSK et autres...

Il y a pourtant beaucoup de choses modérément emballantes dans ce que la presse révèle du dossier (ça c'est le début du boxon, le secret de l'instruction est violé avec répétition et les fautifs ne sont jamais poursuivis...). Les enfants de Jacqueline Sauvage, qui se sont réjouis hier, n'ont pas fait preuve d'un enthousiasme délirant à l'idée d'accueillir leur mère en sortant de prison. Il y a le suicide du fils, la veille de l'assassinat du mari, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il interpelle sur les relations entre parents. Bref, nous sommes foncièrement dans le flou sur un drame intime face auquel les seuls qui savent à peu près tout sont les juges. Et ils ont condamnés deux fois cette femme. Deux fois. Ce sont peut être deux erreurs. L'histoire est jalonnée d'erreurs de justice. L'important est alors que la lumière soit faite comme dans l'affaire Dreyfus où c'est bien l'éclairage de l'affaire par de nouveaux faits qui a permis de changer la décision et de réhabiliter Dreyfus. Pas une décision monarchique et foncièrement arbitraire. Encore une fois, c'est une mauvaise pente : souvenons-nous du bijoutier à Nice qui "s'était fait justice lui même" en abattant celui qui l'avait cambriolé d'une balle dans le dos. En quelques jours, des millions de likes (grandement achetés en Russie, mais pas de polémique...) avait demandé à ce que l'on exempte l'homme de jugement en appelant là encore à une grâce qui s'exempterait des juges. Là pour le coup, cette demande populaire était moins unanime, le même Guillaume Meurice se serait sans doute offusqué de cette justice texane débarquant soudainement chez nous... Vous avez dit cohérence ?

Les magistrats sont courroucés et humiliés ce matin. Je les comprends. On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, on ne rend pas une bonne justice en s'inspirant d'eux non plus. 

28/12/2016

On a le modèle social qu'on mérite

maire-honneur2.jpgAmazon reste l'enseigne préférée des français. Voilà qui en dit long sur nos contradictions, nos atermoiements hypocrites et nos palinodies sociales. A quoi bon critiquer la loi El Khomri si c'est pour plébisciter un employeur qui fait bien pire ? Amazon reste l'enseigne préférée des français, elle l'était donc déjà et pas des proportions négligeables... Ce, devant Picard et Grand frais, la commodité, la simplicité et la facilité pour le consommateur sont plébiscités.

Pour Picard et Grand Frais, je ne voudrais pas m'avancer sur les conditions de travail des salariés de ces enseignes, mais concernant Amazon, l'étendu du scandale et de la catastrophe sociale sont connus. Des cadences folles, un flicage permanent, une pression à la Dickens, des arrêts maladies à répétition, ne pas voir le jour dans ces entrepôts géants et gelés et le tout pour une paye de misère, de la part d'une boîte qui étrangle les librairies et refuse obstinément de payer ses impôts en France. Tout cela est su, connu, publié, avec des reportages touffus et même des livres à charge (vendus sur Amazon ?), tout cela sans effet sur l'opinion. On se pince.

Où est notre empathie sociale ? Par effet d'autruche, on n'imagine pas le chauffeur Uber heureux, ni même malheureux : on s'en fout. En commentaire de la récente grève des chauffeurs VTC devant les aéroports parisien, des journalistes avaient demandé à de jeunes utilisateurs ce qu'ils pensaient de la légitimité de la lutte des chauffeurs. Leur responsabilité à choisir une appli qui s'assied sur ses marges et force les travailleurs à avoir des cadences infernales pour 1 200 euros par mois ? Ils s'en foutent. 

Ceci, non pas par méchanceté, par aveuglement. Au moment de commander, on ne voit pas ce qui se passe. Si, quand on achetait un livre ou un autre produit sur Amazon il y avait une petite vidéo des entrepôts, je crois que les ventes chuteraient de façon drastique, de même que les vidéos des abattoirs font chuter les ventes de viande et ainsi de suite. Visionner un atelier clandestin avec des mineurs qui travaillent pour des margoulins de la mode vous passe l'envie d'acheter de la fast fashion. Mais, comme pour le reste, vous n'y pensez pas avant d'aller chez H&M. L'argument du prix est spécieux. La haute couture coûte plus cher que les grandes enseignes ? C'est un truisme. Personne n'a prétendu vouloir rendre la haute couture accessible aux travailleurs au SMIC, mais simplement montrer que certains produits responsables durent plus longtemps et sont donc bien moins cher et par conséquent, plus approprié pour les personnes modestes : sur le long terme, cela coûte beaucoup moins de s'équiper mieux (dans une certaine gamme, encore une fois). L'accès à l'information est donc absolument essentiel : c'est parce qu'elles sont moins informées que les personnes modestes payent souvent bien trop cher des services. Forfaits de téléphone attrape gogo, logement passoire énergétique qui font flamber les factures de chauffage (alors qu'avec les bonnes infos, ils pourraient contraindre leurs propriétaires HLM à effectuer les travaux d'isolement) et tout à l'avenant. On les pousse vers un modèle social dégradé permanent, vers le fait de se contenter de foncer tête baissée vers l'étiquette la moins élevée, quand bien même elle coûte en réalité beaucoup plus cher, sur le long terme.

La mère de toutes les batailles en politique est vraiment une bataille culturelle et c'est une bataille contre nous mêmes qu'il faut mener pour retrouver le goût, l'envie, d'un meilleur modèle social. La capacité à nous projeter collectivement commence dès l'école primaire, le fait d'enlever nos oeillères pour réfléchir aux responsabilités de nos actes sur les autres, itou. Et ça n'est, hélas, pas gagné : alors que je m'entretenais avec un journaliste de Challenges, je lui demandais pourquoi diantre conserver ce marronnier inepte, racoleur et dégueulasse, le classement des 500 fortunes de France ? "Mais, c'est notre meilleure vente, Vincent". Méditons cela avant de vitupérer : "on vaut mieux que cela" comme le clamaient en choeur les opposants à la loi travail. Je suis d'accord avec eux, mais force est de constater que nous ne sommes pas encore majoritaires...