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27/11/2021

Nausée alimentaire

Comme les vieilles personnes, je fais des courses tous les jours car j'oublie toujours un truc, ce qui implique que j'ai croisé déjà deux fois les bénévoles chargés de la collecte des banques alimentaires. Et ça me déprime à un point... Je n'ai pas changé d'avis depuis l'écriture de mon livre et préfère toujours évidemment la solidarité, la mise en commun par des impôts progressifs, à la charité individuelle, où l'on abandonne un peu de mauvaise conscience contre trois piécettes, mais comment ignorer une demande aussi élémentaire, aussi vitale, que d'aider des gens à se nourrir ? 

La faim en France est probablement l'illustration la plus patente, la plus implacable, de l'effondrement de notre modèle redistributif. En 1985, lorsque Coluche crée les Restos du Cœur, 5 000 bénévoles distribuent 8,5 millions de repas sur l'année. En 2017, les Restos ont distribué 136 millions de repas grâce à 70 000 bénévoles dédiés à 900 000 bénéficiaires… Et l'aide alimentaire a augmenté de plus de 50% depuis le début du COVID. Plus d'1,5 millions de personnes en ont besoin et sont très exposés à la faim, mais les personnes en situation de fragilité alimentaire (qui n'ont pas les ressources nécessaires pour faire trois repas par jour) sont bien plus importantes que cela. En France. En 2021. 

Dans mon quartier, le m2 s'achète au minimum à 11 000 euros, même quand des personnes dorment sur le porche. Les hôtels sociaux et centre anti addictions (la "salle de shoot" est à quelques encablures) jouxtent les ouvertures de restaurants à 15 euros l'entrée et 50 euros la formule sans vin. Comment, dans ces conditions, rester aveugles ou indifférent à l'achat de 3 paquets de pâtes (si possible pas premier prix) de conserves ? C'est évidemment impensable et nous étions nombreux à acheter ce minimum vital en plus de nos graines de courges et pignons de pin hors de prix. 

La semaine dernière, Fabien Roussel tenait meeting à Stalingrad. Dès lors qu'il arrête de flatter les chasseurs car il est élu d'une circonscription rurale ou les syndicats de flics d'extrême droite car il pense que ça lui permet de piquer des voix à Mélenchon, ce dernier reprend un discours social qui rappel le minimum minimorum de ce qu'on peut attendre aujourd'hui, en termes d'urgence sociale. Tripler l'ISF, nationaliser les banques rapaces et taxer à plus de 50% les dividendes qui atteindront cette année l'indécente somme de 52 milliards. Le 1/10e de ces sommes suffiraient à ce que personne ne souffre de la faim, aujourd'hui. Y compris les malheureux.ses qui s'entassent dans des camps en attendant une chimérique régularisation ou un hypothétique départ vers l'Angleterre. Mélangeant Pascal et Sartre, songeant à l'infiniment grand des profits pour quelqu'uns et l'infiniment petit des ressources pour tant d'autres, j'ai la nausée... Et je ne vous dis pas ce que suscite comme envie avec les mains pleines d'argent sale... 

26/11/2021

Impasse dos à dos

Ce matin à l'heure du laitier, dans le calme, j'ai réécouté le "débat" entre Alice Coffin et Brice Couturier, hier sur France Inter. Je conseille à tout le monde de le réécouter pour une raison simple : c'est la plus belle illustration du fait que la neutralité du débat n'existe pas et que la formulation initiale, la conduite journalistique, l'angle, enserre les arguments à venir, mettent une focale dont on peut difficilement s'extraire. D'ailleurs, pour être plus précis, j'aurais dû dire que j'ai réécouté le débat opposant Alice Coffin, à Brice Couturier, Léa Salamé et Nicolas Demorand... Car les deux intervieweurs étaient acquis sotto voce aux thèses de Couturier selon lesquelles le "courant woke" existe et menace la société... En reprenant les mots de l'extrême-droite, en mettant dos à dos "woke" et "républicains", on place un tel déséquilibre de départ que même toute l'habileté et la très grande clarté d'Alice Coffin peine à rééquilibrer l'ensemble. 

Coffin rappelle des faits irréfragables : les hommes blancs ont à perdre à l'égalité, il faut arrêter de se raconter des fables. Comment ne pas comprendre une chose aussi simple que : 39 des 40 patrons du CAC 40 sont des hommes blancs, dans un monde égalitaire, ils auront moins de pouvoir, 19 de moins auront de telles fonctions, voire 25 si des hommes non blancs accèdent à ces fonctions (on peut rêver). Cette stat la plus frappante, vous la déclinez sur les thèmes qui vous interpellent le plus en matière d'inégalité : rémunération, emplois à temps partiels subis, invitation à s'exprimer dans les médias, nombre d'heures dévolues aux tâches domestiques... Un enfant de 3 ans comprendra qu'un monde où les inégalités auront été corrigées serait un monde dans lequel les hommes blancs auront abandonné un certain nombre d'avantages (ou privilèges, c'est selon). Mais Léa Salamé et Nicolas Demorand n'ont manifestement pas encore 3 ans, car ils ont repris la fable du "on à tous à gagner à un monde égalitaire" sorte de variant sociétal de la fable du "on peut avoir une croissance verte infinie dans un monde aux ressources finies". Renvoyer dos à dos un opposant à l'égalité et une militante pour l'égalité, ne rien dire quand Couturier explique que "le wokisme nous à amener Zemmour" c'est cautionner des thèses absurdes et réactionnaires.

Encore une fois, Frédérique Matonti a parfaitement résumé le problème de la fausse neutralité dans "comment sommes-nous devenus réacs ?" où elle montre la victoire culture de la nouvelle droite. Victoire sans gloire quand il s'agit de médias dont les propriétaires sont leurs représentants. Chez Bolloré, les journalistes, les invités, les experts et les chroniqueurs sont réactionnaires et anti égalitaires, fort logiquement ils y répandent leurs idées. J'étais lundi avec un élu progressiste au sens historique du terme qui me dit avoir cessé de s'y rendre car il faisait face à un contradicteur, ce qui est normal, mais aussi à un journaliste, ce qui l'est moins, mais en plus à un expert prétendument neutre mais affilié au RN et aux sources chiffrées délirantes. C'est révoltant et triste, mais il n'y a pas grand chose à espérer du débat sur ce ring mité. On pourrait tout de même espérer que la première radio de France, publique qui plus est donc sans actionnaire réactionnaire pour guider la ligne, ne tombe pas dans le même piège. On pourrait... 

20/11/2021

Elles toutes seules

Aujourd'hui, partout en France, les manifestations contre les violences sexistes et sexuelles auront lieu (14 à République pour Paris). Ça seront les dernières d'un quinquennat qui a fait de l'égalité entre femmes et hommes la grande cause du quinquennat et il y a de quoi être sidéré en regardant dans le rétroviseur.

L'écart abyssal entre les déclarations de la promotrice de l'égalité version gouvernementale, Marlène Schiappa, et la réalité. Selon elle, son Grenelle contre les violences est une révolution quand elle a financé quelques bracelets d'éloignements et un numéro téléphonique d'urgence, alors qu'il suffit de regarder de l'autre côté des Pyrénées pour voir à quel niveau cranter l'ambition : campagnes éducatives massives, délits spécifiques contre les violences machistes et reconnaissance pleine et entière des féminicides et éloignement radical des conjoints violents. Résultat, des violences en chute libre et des féminicides divisé par plus que deux en quelques années. Une courbe sinistrement ascendante, chez nous.

Sur l'égalité dans le couple, le gouvernement a proclamé qu'ils allaient tout changer avec un congé paternité révolutionné. Tu parles... Nous sommes passés de 3 à 8 jours obligatoires... Dans les faits, les 28 jours maximum autorisés ne sont pris que par les pères suffisamment conscients de l'impérieuse nécessité d'être là et surtout suffisamment insérés professionnellement pour imposer cela à leur direction, puisque ça reste optionnel. Sur Linkedin, je vois des DRH, des cadres sups se prendre en photo avec leurs rejetons pour vanter la modernité, j'attends que la première ligne puisse faire de même.... 8 jours au lieu de 3 pour une loi qui passe une fois toutes les dix ans, au mieux, tu parles d'une révolution. Les femmes s'arrêtent dix semaines, post accouchement (les mecs n'ont pas besoin de s'arrêter six semaines avant), l'égalité c'est dix semaines, pas une et demie... 

L'égalité professionnelle a reculé également avec un "indice d'égalité" gazeux qui, pour reprendre les termes de Réjane Sénac "place dans la soft law des décisions qui relevaient autrefois de la hard law, en somme qui rende l'égalité obligatoire désormais optionnelle". 

Au-delà de tout le législatif en recul, le symbolique n'est pas vaillant puisque Sandrine Rousseau est jugée sur un pied d'égalité avec Eric Zemmour en termes de dangerosité et que l'écriture inclusive est rangée aux côtés des idiomes à surveiller pour risque séparatiste. Quand un mouvement comme #Balancetonbar émerge pour s'alarmer de la recrudescence de GHB dans les bars, on entend des responsables économiques nous dire benoitement "il faut responsabiliser les consommatrices" ce qui revient à demander aux victimes de viol de cesser de se faire violer... 

Ouais, décidément, en regardant dans le rétro, on se dit que s'il y a malgré tout des avancées sociétales, des peurs qui changent un peu de camp, des hommes qui s'éduquent un peu et des curseurs qui bougent, ça n'est vraiment, mais alors vraiment pas le fait de l'exécutif. Mais c'est grâce à elles toutes, qui sont trop elles toutes seules. Raison de plus pour être à leurs côtés tout à l'heure.