12/02/2011
Les salariés, des dindons du don ?
Certains naissent avec le nom de l'emploi comme d'autres ont la gueule de Pôle Emploi (expression remasterisée de "gueule de l'emploi" dans une France au chômage) : Norbert Alter, pour un sociologue du travail, c'est génial. Norbert, comme Elias, ça fait sérieux, et Alter comme mondialiste ça fait rêver (ou comme Marek, et là ça fait pleurer, so let's not shoot an ambulance).
Que nous dit Norbert de ce qui nous préoccupe ce matin où nous contemplons trente ans d'histoire dictatoriale s'évanouir avec la grâce d'une actrice de série B, après un rappel qui aura duré 18 jours (bravo les gars) ? Bébert, donc, nous parle des échanges non marchands en entreprise. Et c'est passionnant.
Il part de la réplique culte de Mauss "le don n'est jamais gratuit", et embarque pour le même prix en Mélanésie avec Malinowski pour observer le rituel de la kula où on échange un homme, une femme, des repas et autres rangs de chefs contre deux colliers de spondyles... Etonnant, non ?
Partant de là-bas, Norbert arrive en France et observe les échanges de l'entreprise avec une acuité non feinte, car contrairement à un sociologue en chambre comme Raymon Aron, Bébért fut 12 ans chez France Télécom. D'ailleurs, quand il y était, on parlait de PTT comme de "petit travail tranquille", et cela l'incite à dire que l'on n'a pas mesuré le changement de contrat considérable pour ceux qui pensait entrer dans ce type de carrière et aider à raccorder la ligne de la mamie et qui se retrouvait au milieu d'un challenge technologique sans précédent: le minitel...
Dès lors, on leur demande d'en faire plus, beaucoup plus et les salariés le font, ils en tirent même une certaine fierté. Norbert dresse alors un parallèle avec l'antiquité en expliquant que les sacrifices des salariés sont comme les sacrifices divins et qu'en travaillant pour du beurre, en réalité, ils travaillent à apaiser le courroux divin et à vivre en harmonie; ainsi des salariés d'EDF qui réparent les lignes coupées par la tempête sur leur week-end pour pas un kopeck...
Le transcendental n'est pas la seule préoccupation de Bébert qui descend très concrètement dans les open space et les usines pour nous montrer les dérives et les limites d'un monde du travail où le sentiment du collectif est de plus en plus diffus. Le turnover moyen de toutes les boîtes rend inopérant le sentiment d'appartenance comparable à celui des PTT et dès lors, pose la question : comment agir par rapport au groupe ? Avant les fayots étaient exclus du groupe et les moutons noirs rebels aussi éconduits par la force collective. Désormais, il est possible de faire dysfonctionner la machine des échanges sociaux depuis l'intérieur, car les forces d'oppositions, c'est à dire les salariés concernés par le devenir de la structure, se sont raréfiés.... Ca donne à cogiter.
Globalement tout ce court ouvrage truffé de récompenses type prix du livre RH donne à penser, sur les cadeaux dans l'entreprise, sur la considération pour le travail en équipe, sur la façon de noter ce qui ne rentre pas dans les cases de l'évaluation où des indicateurs. Du don non transcendental en quelque sorte.
Nous sommes passés d'une logique Enrico Macias "donnez donnez donnez, donnez donnez moi, Dieu vous le rendra" à une logique Jean-Jacques Goldman "je te donne tous mes défauts, toutes ces différences qui sont autant de chances, on sera jamais des standards des gens bien comme il faut". C'est là que ça dérouille: trop de managers et de RH sont "des gens bien comme il faut" et dans leur logique de notation, on ne compte que ce qui rentre dans des tableurs Excels, ce qui exclut trop les logiques de don qui génèrent pourtant des richesses considérables pour l'entreprise. RH, managers, encore un effort...
Demain, nous ferons un benchmark rigoureux pour voir qui de Flunch ou d'Hippopotamus propose le meilleur menu St Valentin....
09:35 | Lien permanent | Commentaires (2)
10/02/2011
Vertu, virtuose, virtuel ?
Il faut l'imaginer chanté par Jacques Brel, évidemment. C'est le tango des jeunes générations, celles qui ont leurs avatars et leur profil second life plutôt que de réenchanter the first one...
Mes oreilles courroucées par deux trois avis de lecteurs avisés, je relançais mes jeunes étudiants qui me confirmaient bien, honteux, que la gratuité ne suffisait pas à les faire bouger. Parce qu'ils entravent que pouic à ce qu'ils regardent dans les musées virutels. Comme aurait dit Daniel Arasse, on n'y voit rien m'sieur.
Le projet soutenue par mon amie Cécile, de musée Afghan, www.afghanculturemuseum.org me semble des plus pertinents. En revanche, son idée que l'on y aille spontanément découvrir 15 siècles de civilisations comme on se ballade dans WarCraft, je pouffe. De tristesse s'entend.
Je ne crois pas que cela soit adapté à un pays où les mômes ont tout à portée de main. Que le virtuel soit une extraordinaire et inédite Odyssée culturelle pour les démunis, oui 1000 fois oui. Pour ceux qui vivent dans des terres enclavées mais où la fibre optique est arrivée (pas la majorité tout de même...), alors là oui le virtuel est salvateur, et pas seulement Adamo...
Pour nos pious pious en revanche, oui pardon le lecteur moisi de Pléiades raisonne franchouille saucisson et vin blanc (à 7h26 du mat' putain, faut que je bosse l'hygiène de vie) je maintiens que ça fera pas la blague et qu'il faut d'abord gagner la bataille éducative, cette soft war pour parler comme Jacques All Good aime qu'on le fasse...
Dans un livre génial, Emmanuel Hogg "Mémoire année zéro", l'ancien directeur de l'INA parti relancer l'AFP expliquait fort bien les chantiers qu'il avait mis en place pour gagner cette bataille et moi même, avec ce site (www.ina.fr) j'ai découvert un face à face où Edmonde Charles-Roux désosse Jean Cau sur l'égalité homme-femmes, on trouve aussi des extraits inédits sur les autres sites de vidéos avec Marielle, les journaux télévisés de notre naissance, bref, on se ballade dans notre patrimoine virtuel. Le successeur de Hogg, Mathieu Gallet dont les mauvaises langues disent qu'il doit son poste à la bonne sienne (il serait spécialiste en inflation ministérielle...-) fait des joint venture avec dailymotion (le Monde d'avant-hier) et considère ainsi avoir fait oeuvre utile pour répandre la culture numérique... C'est un peu court nom d'une pipe comme aurait dit Magritte...
Non, pour relancer ce cercle croissant que l'on danse en tango, vertu, virtuose, virtuel, m'est avis qu'il faut commencer fort jeune en dotant les petits pious pious de repères concrets, solides, granitiques, qui leur serviront de petites roues avant de monter sur le vélo du web. Quand ils seront aguerris, ils pourront foncer, mais si on oublie la première étape, ils se vianderont méchamment...
Demain, nous reviendrons à des considérations plus solennelles et je vous expliquerais les bienfaits du gommage au sucre thaïlandais puis les massages aux huiles essentielles...
07:47 | Lien permanent | Commentaires (7)
09/02/2011
L'impossible question de la NRF
Je n'aurais pas pu répondre à cette question ou plutôt à cette commande éditoriale: "quel est, selon vous, le roman le plus représentatif du XXème siècle?". Cette demande étrange émane de Jean Rouaud, notre Goncourt des "champs d'honneur" qui coordonne la dernière livraison de la célèbre nouvelle revue française.
L'avant-propos est éclairant: on ne trouvera ni Proust, ni Musil, ni Lowry... De l'embarras chez de nombreux contributeurs de la revue qui voudraient citer 1000 romans et surtout gênés aux entournures par ce qualificatif biscornu pour aborder un roman "représentatif". "Grand", "beau", "puissant", "émouvant", tout cela on peut l'accoler à une oeuvre de fiction mais "représentatif", ça devient délicat...
Du coup, bien plus souvent, c'est "la peau" l'incroyable romand e Curzio Malaparte que Denoël a eu la bonne idée de rééditer récemment qui s'attire les faveurs pour ses fulgurances prophétiques sur la violence et la folie de l'époque. Evidemment, on trouve aussi à l'envi ce pensum de "vie et destin" de Vassili Grossman, ce truc au sujet duquel on m'a tellement boursoufflé que je l'ai lu et fouia qu'est-ce que c'est chiant... On trouvera encore du Imre Kertesz sur les mêmes thèmes, mais en version captivante. Et enfin a Storia d'Elsa Morante pour bien rappeler que le XXème siècle c'est la seconde guerre mondiale... On notera aussi que nombre d'écrivains interrogés comme Fuentes ne veulent pas passer pour des buses et citent du Faulkner (où l'on apprend avec amusement que Clinton en cite des passages entiers et que vérifié par Garcia Marquez.... il a raison, one point for Billou) ou du Joyce; pour faire grand.
Les autres petits malins rappellent que le XXème siècle a ceci de particulier que pour les historiens, il va de 1914 à 1989 et donc est rabougri... 75 ans seulement...
Toujours est-il que je note la faible abondance de romans plus récents, de romans sur la montée en puissance de l'argent ou du conformisme; peu de 1984, meilleur des mondes et autres... Pas non plus de Musil ou de Proust pourtant représentatif d'un éternel spleen de mécontemporains qu'on aurait pu prolonger à Mars de Fritz Zorn, ou du Sandor Marai... Pas de Malraux pour l'Asie, de Cités à la dérive de Tsirkas pour voir le Caire et la répression des homosexuels il y a cinquante ans, pas de 100 ans de solitude, parce qu'un siècle baroque pourrait être illustré par un roman épique, non ? Pas non plus de Bret Easton Ellis pour ce qu'il pressent de la violence des échanges dans un monde pacifié. Je ne voues pas un culte à Ellis mais son absence est étrange: c'est que la question est biaisé. Quand bien même la question dit "représentatif", tout le monde veut placer des Grands Livres pour ne pas baisser le niveau et les références trop récentes seraient décridibilsées...
Donc, je n'aurais pas aimé répondre à cette question que je trouve insoluble et pourtant, force du paradoxe, je me suis gobergé de la lecture de ce recueil de textes pour voir les explications des uns et des autres... Du coup, j'espère que Rouaud continuera à dérouler la bobine du temps et demandera à d'autres plumes quel roman est le plus représentatif du XIXème siècle...
Demain, nous chercherons quelqu'un pour enregistrer la performance de Nabot Léon sur TF1 car j'ai plus de télé et en plus je serai pas chez moi à l'heure de la messe cathodique mais j'imagine qu'il faut le voir, non ?
07:53 | Lien permanent | Commentaires (4)