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12/08/2011

Les somaliens meurent au mauvais endroit, au mauvais moment...

injustice.jpgLa générosité est la chose au monde la plus mal partagée.

Pour travailler largement sur ces questions des dons;  qu'ils émanent d'entreprises, de particuliers quidams ou de grands philanthropes, j'ai la certitude que cette assertion initiale est tristement vraie.

La générosité est culturelle et religieuse : les français donnent moins que les saxons à cause de l'impôt (même s'ils le grugent), à cause du catholicisme contre le protestantisme. Soit, mais la générosité est aussi calculée. Pas "de plus en plus" comme penseraient les réacs qui croient que tout est calculé à cause de la publicité. La générosité est calculée depuis le début, elle émane de pulsions personnelles en interaction avec un environnement ; ce qui donne parfois des effets mimétiques, mais on ne peut pas parler de mode pour autant.

On donne par rapport à un événement personnel survenu, une histoire connue, une rencontre, une colère, un proche, un mythe... Et bien sûr les politiques, les médias vont accentuer ses inclinations. Les enfants incitent plus l'aide que les vieillards. C'est ainsi. Actuellement, ce sont "les quartiers sensibles", "la biodiversité" et un peu plus, les vieux. Ceux qui sont le plus seuls. Ceux qui sont entourés suscitent moins le don. Les frontières sont ténues: on aide les jeunes femmes à s'insérer, les jeunes retraitées, les trentenaires qui doivent s'élever ou les plus de 55 ans en pré-retraites, mais pour les femmes de 45 ans ? Rien. Bon.

Je pourrais continuer à disserter longuement là-dessus, mais je l'ai fait avec une amie et pour un éditeur en octobre. Notre bouquin parlera du lancement d'une campagne de fonds. Pour les non comprenants: comment ramasser l'artiche, la fraîche, le blé ? Je précise bien sûr qu'il s'agit de fonds au profit de projets relevant de l'intérêt général, pour le reste, essayez gigolo...

Or, alors même que nous relisons nos épreuves sur papier, difficile de ne pas songer aux injustices flagrantes liées aux collectes: il n'y a pas de corrélation entre la cause et le montant de ce qu'elle récolte. La collecte de fonds n'est pas d'essence démocratique, sinon comment expliquer ça :  

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/08/12/famine-e... 

Il ne s'agit pas de dire que le Tsunami ou Haïti sont moins légitimes que la Somalie, bien évidemment. Mais comment expliquer des rapports de 1 à 7 ? Alors que le séisme à Haïti a survécu en période de crise, cela ne saurait être l'état des subsides des ménages. Non. Les somaliens meurent au mauvais moment au mauvais endroit.

Au mauvais moment car les drames d'Haïti et du Tsunami survinrent lors des fêtes de fin d'année, période toujours très propice au don, pour tous ceux qui reçoivent beaucoup et donnent aussi. La Somalie est exposée: elle ne peut survenir subitement, comme ça, foutaise, on en parlait moins en juillet, mais je doute que la situation fut alors brillante. On en parle donc en août, période où les français sont moins connectés, moins informés donc moins enclins et de toutes façons plus fauchés: il y a les vacances (pour les 2/3 de français qui partent) et la perspective de la rentrée. Et au mauvais endroit: pour le Tsunami, cela a été dit, le fait que tous les riches occidentaux aillent en vacances là-bas à évidemment joué: reconstruisez rapidement les hotels resort de Puket. Pour Haïti, les liens historiques avec la France et les Etats-Unis font que nous ne pouvions pas fermer les yeux.

La Somalie, rien. Nous n'en parlons que pour les flibustiers qui rackettent le Ponant et la dangerosité en général. C'est ce genre de pays que l'on préfère ignorer comme la Birmanie, le Soudan ou le Nicaragua. Pas de "we are the world", pas de mobilisation d'Obispo et des footballeurs de l'équipe de France pour les somaliens. Ha, si Zidane ou Tony Parker avaient eu un parent somalien, la face des enfants de Mogadiscio aurait changé...

En attendant, sans Zidane ou Parker, on devrait recourir aux puissances publiques. Puisque la générosité n'est pas démocratique, il faut démocratiser l'aide et l'apporter à mesure des besoins par les puissances publiques. Eu égard aux événements actuels sur les marchés, sauver les mômes somaliens exigeraient une goutte d'eau, quelques % de dégringolade de plus ou de moins de la Société Géniale. On pourrait même considérer que les profits des agences de notation, pour cette année, seront confisqués et affecter à la Somalie. On peut toujours rêver, c'est même pour cela qu'on continue de croire en la politique... 

 

09/08/2011

Jane Evelyn Atwood, l'oeil des marges

e2_1.jpg"Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate" peut-on lire au début de l'Enfer de Dante. Le message vaut aussi pour ceux qui se rendent à la Maison Européenne de la Photo à Paris, dans le Marais. Le Marais, quartier médiéval, Dante auteur médiéval, Atwood photographe contemporaine dont le travail porte sur des univers si durs qu'on les croiraient datés de cette époque où l'on brûlait les roux.

On entre dans l'expo en apnée, et on ressort de ces quelques 200 photos asphyxiés, incapables d'aller apprécier les réjouissances du rez-de-chaussée pourtant baptisées "de l'Air" qui montre des joyeusetés bigarrées, un univers mêlant Broadback Mountain et Tex Avery qui aurait fait un passage par Tokyo. Une autre fois peut être...

Atwood ne pactise jamais avec ses sujets pour en exploiter la misère, elle ne les enjolive pas comme Avedon, ne les affecte pas. Elle reste des heures avec eux, des jours ou parfois des mois, jusqu'à se faire complètement oublier et pouvoir saisir des modèles qui ne posent jamais. Tous ont en commun une douloureuse singularité, quelque chose en eux voudrait qu'on les oublie. Soit que la nature les a affligé d'un mal de naissance très lourd (ses séries à l'Institut des Jeunes Aveugles et dans des Centres d'Aides par le Travail pour handicapés) soit que le progrès scientifique n'a pas fait le bien attendu (sa série sur les victimes de mines anti-personnelles). 

Sa série de photos sur Haïti est particulièrement bouleversante tant elle va à rebours des clichés que l'on a pu voir lors des derniers événements dramatiques. Un cheval mort sur une route, comme foudroyé par le destin maudit de l'Ile, un enfant dans une grange vide ou une petite fille à la robe rose, le regard fier avec son balais qui nettoie le perron de sa maison comme si sa vie en dépendait.

Dans un recoin, on trouve également une curieuse série pour qui est né près de 1980 et ne lisait pas les journaux en 1987, époque à laquelle la série de "Jean-Louis malade du SIDA" a paru dans la presse. Pour témoigner. Uppercut bien reçu.

On quitte alors le premier étage pour monter et sourire devant les deux premières pièces, pleines d'une chaleur complice avec les prostituées de la rue des Lombards. Elle les a suivi pendant un an, dans cet hôtel de passe miteux ou les flics passent avec une bienveillance mâtinée d'envie. Certaines d'entre elles ont tout un tas de chaînes, de fouets et autres ; une photo montre même la maîtresse en pleine séance d'humiliation d'un homme avec une capuche sur la tête, qui a l'air de jubiler. Tous les goûts sont dans la nature. Ce sont des adultes consentants.

On croit alors que ça va aller et il y a la dernière série. La plus vaste, la plus âpre aussi. Celle sur les femmes en prison, en France, aux Etats-Unis, chez les mineures russes aussi. Là, on est saisi à la cage thoracique, comme asphyxié par tant de noirceur. Cet univers de quelques centimètres où les larmes et le sang coulent, entre dépressions et auto-mutilation. La vie est dans les marges et les commentaires des photos lèvent le coeur. Comme cet homme penché sur le catafalque de son épouse. Rentrée en prison pour des chèques sans provision (...), cette asthmatique fut privée de sa Ventoline par le règlement intérieur. Lequel ne prévoit pas les décès rapides, étouffés, dans une cellule sans surveillance de co-détenues.

Et puis il y a tout ces clichés de femmes en salle de travail, les mains menottés. Selon les règlements, on leur enlève leurs enfants plus ou moins vite. En France, apparemment, la durée légale est de dix-huit mois. A cet âge là, il faut placer l'enfant. Une photo prise aux Baumettes à Marseille montre un petit bout de chou de treize mois, perdu dans un vaste hall donnant sur des cellules aux barreaux monstrueux. Drôle de crèche.

On sort de la un peu groggy, mais l'art ne peut pas procurer que du dégoulinant. Vous qui rentrez de vacances, vous avez le temps, c'est jusqu'au 25 septembre, mais en ce moment, c'est assez vide un luxe à saisir. Les infos pratiques ici  http://www.mep-fr.org/actu_1.htm

07/08/2011

Laissons les fichiers à Excel

Bertillon_fichier.jpgOublions quelques instants les tracas financiers et les périls mondiaux sur les AAA. Après tout, cela reste 2 A de moins que les andouillettes, pas de quoi pavoiser. Conseillons simplement à tous ces prestidigitateurs de dettes publiques de (re)lire Pascal et ses pensées sur l'infiniment grand et l'infiniment petit. Ces démences extrêmes lui avaient tourné la tête au point qu'il fit le fameux pari que l'on sait à la veille de sa mort. Tourneboulé par l'infiniment grand des dettes publiques qu'ils ont crée et de l'infiniment petit de ce qu'ils sont prêts à faire payer aux coupables, espérons qu'eux aussi seront pris de vertige et qu'il y aura une file d'attente comparable à celle du péage de St Arnoult ce soir devant les monastères...  

En attendant, pendant que tout le monde a les yeux rivés sur les écrans de Dow Jones, CAC 40 et autres indicateurs, mes chouchous de la droite populaire continuent de faire oeuvre utile avec leurs propositions pour 2012. Dernière en date, issue du cerveau du groupe, Thierry "the brain" Mariani: créer un fichier des allocataires sociaux. Si si. C'est du premier degré. Il développe même tout ça ici :

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/08/07/thierr...

J'aime beaucoup cette idée, "rien que" le RSA, c'est 2 millions de foyers et 4,26 millions de personnes, chiffres allant crescendo la crise passant par là. Et on nous assure, la main sur le coeur, qu'on va payer des types à temps plein - pour un coût non chiffré d'ailleurs - pour aller vérifier sur leurs tableurs Excel que 3 margoulins ne demandent pas le RSA dans 2 départements en même temps. Avec, évidemment, la possibilité de sanctionner le brave couple qui déménage pour tenter d'aller chercher du boulot dans un autre département en oubliant -ça arrive- de se désinscrire du RSA dans un département tout en pensant évidemment à s'inscrire à l'arrivée...

Depuis le XIXème et Bertillon, pas le marchand de glaces, celui qui a fiché tous les délinquants de France, http://www.criminocorpus.cnrs.fr/bertillon/classic/... la France est bouffée par cette défiance extraordinaire. On suscpecte plus que dans d'autres pays. Nous sommes les champions du monde de la peur de la corruption, de la triche, de la fraude, de la gruge. Or, la sociologie des gouvernants fait que à toute guerre contre la fraude, on choisit la plus facile et la plus vaine, celle contre les humbles. Bien que la Cour des Comptes relève qu'à tout prendre, une lutte contre la fraude fiscale rapporterait 6 fois plus (et qu'au niveau individuel, sans compter les entreprises...) on continue de ne pas écouter la rue Cambon. 

Pourtant, cette défiance à un coût très très élevé pour la communauté comme le montrent très bien Algan et Cahuc dans La Société de défiance, un livre détesté par Rosenvallon et la 2ème gauche qui me le rend d'autant plus sympathique, mais faites-vous une idée, l'un des deux bonhommes en parle très bien là : http://www.les-ernest.fr/yann_algan  

Alors, évidemment, Mariani ne lira pas Algan pendant ses vacances qu'il passera avec Lionel Luca qui lui expliquera qu'il faut interdire la grève le jour des départs en vacances; le même Luca lui expliquera comme il l'a fait sur France Inter qu'il est fier d'être immigré roumain et que ce n'est pas comme les roms. Les premiers sont assimilables par la France, les seconds non, évidemment. "Mais comment faire la différence entre les voleurs de poules et ceux qui apportent des poules ?" demandera The Brain. "Bah, faisons un fichier" répondra Luca. CQFD...