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31/07/2011

Impôts: sommes nous revenus au temps honni par Vauban ?

can-stock-photo_csp4609564.jpgUn ami libraire gaucher contrariant (il emmerde la droite, qui commence chez lui dès que l'on sort de chez Mélenchon, en somme) me demandait ce que je pensais de la fiscalité française. Pas pour placer ses éconocroques en Sellier, Boorlo ou autre niches fiscales, mais pour tester ma capacité à relativiser.

Bon élève d'une gauche abonnée au Monde Diplo, je lui disais ma consternation devant la cécité des sociaux-démocrates à ne pas vouloir taxer (du moins de ne pas ériger le sujet au rang des priorités) sévèrement les ultras-riches, les 0,1% à 1% de la population qui sont véritablement dans une logique confiscatoire de l'argent comme l'a superbement montré Piketty dans "la révolution fiscale" (Raisons d'Agir). Je déroulais sur quelques souvenirs cuisants, comme cette malheureuse sortie de François Hollande disant ne pas aimer les riches "à plus de 4000 euros par mois" (le pauvre garçon ne doit pas beaucoup s'aimer...) quand ceux-là ne posent pas souci: jusqu'à 10 000  euros par mois, le système d'impôt est juste en France, c'est au-delà que ça part en quenouille. Bref, mon exposé était rôdé. Alors que j'arborais ce sourire de contentement typique de l'acteur en promo ayant fait un bon mot chez Denisot, je me reçus un retour en pleine poire : 

- As tu la Dime Royale de Vauban ?

- Je... Pas connaître.

- Vas. Et on recause.

J'ai beaucoup de défauts (sans commentaires), mais le manque de curiosité n'est pas le premier de ceux-la. Renseignements pris, il s'agit d'un texte publié en 1707 en France, puis en 1708 en Belgique et en 1710 en Angleterre. Si je précise les versions ultérieures c'est que la première édition française fut clandestine, mais valut quand même à l'auteur, cet homme loué du Roi, d'être disgracié. Vauban qui aimait autant le roi que la patrie en est mort quelques mois après. L'histoire a retenu le bâtisseur de génie, dont toutes les fortifications sont classées par l'UNESCO et rangé la dîme royale au rang des prurits de vieillesse. A tort. C'est un texte fondateur, un texte visionnaire, plus d'un demi-siècle avant les lumières.

Un texte mal republié aussi, puisque la dernière édition date de 2010, certes, mais elle est chez l'Harmattan et consternante de mise en page, d'approximation avec présentation bavarde. Le tout pour un texte bref à 18,5 euros. Foutage de gueule, je reposais le livre sur la pile. Je vous assure, le texte vaut le détour, on peut le trouver gratuitement là, en grossissant la police à l'écran, le temps d'un ou deux thés verts et hop, on ressort interloqué. Ca n'est pas rien. Faites ce que vous voulez, mais on le trouve là:

http://www.youscribe.com/catalogue/livres/savoirs/politiq... 

Etonnant, non ? Diminuer de moitié l'infâme gabelle, faire participer les riches. Juste quelques lignes "En effet l'établissement de la dixme royale imposée sur tous les fruits de la terre, d'une part et sur tout ce qui fait du revenu aux hommes, de l'autre; me paroît le moyen le mieux proportionné de tous: parce que l'une suit toujours son héritage qui rend à proportion de sa fertilité, et que l'autre se conforme au revenu notoire et non contesté. C'est le système le moins susceptible de corruption de tous, parce qu'il n'est soumis qu'à sont tarif et nullement à l'arbitrage des hommes". 

La suite de l'ouvrage propose beaucoup d'interrogations qui paraissent surannées, mais remplacez "fermier" par "dirigeant" "âcre" par "zone de chalandise" et vous verrez les similitudes. Bon, à la fin aussi il prie Dieu de l'aider à mener à bien son projet et on a vu que "aide toi le ciel t'aidera" est sans doute une maxime plus efficace, mais ne contestons pas à Vauban d'avoir vu juste. Car honnêtement, 304 ans après, alors que que l'on traverse une crise économique gravissime et que dans un pays produisant énormément de richesses, l'heure impose de voir qui contribue, on arrive à ça : 

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/29/aucune... 

Que tout le monde sue, sang et larmes, disent Baroin et Pécresse avec des trémolos dans la voix, mais pas nos ploutocrates favoris. Un signe de plus de ce que Peillon appelle "l'abaissement national". Notre système a réussi a imposer équitablement 95% de la population, 99% même. Mais c'est pour le 1% que les soulèvement eurent lieu dans le passé. Faut-il donc une nouvelle révolution avec têtes qui tombent ? Si élaguer Lagardère, Courbit, Bettencourt et Arnault ne serait pas forcément une perte pour l'humanité, les voir remplacés par les mêmes quelques semaines ou mois après nous ferait soupirer comme la réapparition des poils après une épilation douloureuse. Il nous faut trouver la méthode au laser, pour que ça ne repousse pas.

Ne pas se laisser influencer par l'argument lénifiant des justificateurs du système en place qui expliqueront qu'il produit plus de richesses et que cela fait sortir les gueux de la pauvreté. Les progrès techniques le font très bien. Idem pour l'hygiène et l'alimentation qui aide à repousser les limites de l'espérance de vie. Mais ce n'est pas je ne sais quelle incantation divine du Dieu $ qui aide les manants à mieux vivre, seulement les luttes de ceux qui veulent mieux répartir.

Pourquoi répartir ? Pour ressembler plus à la Norvège (pas de réflexion sur l'épiphénomène de la semaine dernière...) où les fruits du pétrole permettent au système social de fonctionner qu'à Barhein ou autre Etat à Pétro Dollars, où 95% des habitants bossent comme dans les romans de Zola, à en crever, et quelques uns ne savent plus comment dépenser leurs pétrodollars au point d'investir à grandes pertes dans le football européen. Comment ne pas s'interroger sur l'arrivée des qataris dans le foot ? Ce sont les seuls aujourd'hui qui peuvent se permettre d'investir 100 millions d'euros en deux semaines dans le PSG, dont ils savent très bien qu'il n'en reverront jamais la moitié, pas même le quart.... C'est une économie dans laquelle les nabas trompent leur ennui en loges, le lumpen trompe sa misère en kop et cette joyeuse valse funèbre continue pour des raisons que l'on ne saurait comprendre. Il en va de même du capitalisme financier, à bout de souffle, mais que l'on regarde avancer en zigzagant comme une poule à qui on aurait tranché le cou et qui n'est plus mue que par son système nerveux. 

Alors, on nous rétorquera aussi que les choses ont changé récemment, que le problème est devenu mondial. C'est tout à fait exact. En 1971, les 0,01% d'américains les plus riches étaient imposés à hauteur de 75%, aujourd'hui, ce taux est retombé à 35%... Etonnant, non ? Non. Navrant et surtout révoltant. Ce n'est pas parce que le problème est plus complexe qu'il faut l'ignorer, au contraire. Il est devenu plus injuste et plus complexe en même temps, cela n'en rend que plus ardente la nécessité de renouveler l'appel de Vauban : que les riches, les 0,1%, payent équitablement pour assurer la bonne marche du monde. Car pour l'heure c'est une litote de dire qu'il claudique.

28/07/2011

Caravane de romans après celle du Tour pour

Avec ce temps automnal, difficile de se projeter sur les vacances, mais quoi qu'il en soit, que l'on se trouve au soleil ou sous la pluie, tous les climats se prêtent avec un peu d'organisation (pour la pluie, j'entends) à la lecture. Pour ce mois d'août pointant son nez, on voit d'abord ceux qui veulent mettre à profit les congés estivaux pour rattraper le retard en lisant des sommes.

Sur la plage, des pavés:

Le-temps-ou-nous-chantions.jpgCelui-là est devenu un classique en moins de temps qu'il n'en faut à DSK pour demander à une femme si elle veut se lancer dans un tourniquet moldave (ça laisse vraiment peu de temps...). Plus de 1000 pages que l'on avale comme de la barbe à papa, sans connaître la satiété alors même que l'on a déjà fini. Pourtant, le "pitch" n'est pas emballant comme un mauvais thriller : une famille de mulâtres, du chant lyrique, la tentation du jazz, l'Amérique profonde. Impossible à résumer, le livre s'apprécie sur la longueur, il faut lui laisser déployer ses centaines de pages comme certains oiseaux leurs ailes. Les rapports de la fratrie sont poignants et les réflexions sur la création artistique, d'un art non commercial dans une Amérique triomphante grâce à la consommation à quelque chose de précieux comme un Edelweiss. Et c'est un parisien qui le dit, lui qui aimerait des Edelweiss sur son balcon.

 

Kavalier & Klay.jpgHa les Comics ! Alors même que l'on ne peut plus aller au cinéma sans voir l'adaptation des X-Men, de Captain América et autres Wolwerine, Hulk, Spiderman... j'ai écouté les conseils de mon libraire qui me voyait soupirer devant sa sélection. Non pas que ce fut mauvais, loin de là, mais Kennedy Toole, Mc Liam Wilson et Fritz Zorn, z'avais tout lu... Il m'a dit "tiens, ça te fera le semaine, tu ne regretteras pas". Pas de regret, mais en 3 jours l'affaire était pliée. La genèse des comics, 2 cousins qui se retrouvent à New York, l'un yankee pur jus, l'autre venant de Prague, débarquant avec dans sa valise la boue du Golem... C'est drôle souvent, dur aussi, parfois tragique, quand des bateaux transportant des enfants juifs n'atteignent pas l'autre rive, mais haletant toujours. Pas forcément le roman du siècle, mais assurément un excellent compagnon d'un périple en car.

Sur la plage, des pavés, mais sans OGM (la France, Monsieur !) :

duroy_le_chagrin_300.jpgLionel Duroy est de ces écrivains qui écrivent toujours le même livre. Modiano est comme ça et c'est son génie. Jean-Philippe Toussaint aussi et nous subissons chaque fois la téléportation de son univers mental de la cuisine à la salle de bains. Duroy, lui, c'est la haine de la famille. La famille nombreuse qui n'est pas heureuse comme chez les Négresses Vertes. 

Dans ses livres précédents, il peignait un petit bout du tableau, quelques touches fauvistes de son univers familial léonin. Un père roublard un peu mytho, une mère mi-sainte mi-tyran et des frères et soeurs à n'en plus savoir qu'en faire. Mais c'est dans ce roman, quand il a rassemblé tout le passé et s'est enfin jeté dans la grande fresque qu'il donne son meilleur. On suit l'incroyable épopée de cette famille aux 10 enfants, les progrès de la médecine faisant qu'ils survivent tous. Les problèmes d'argent, la haine et l'amour dans le couple, l'impossibilité à se séparer qui hanteront les enfants entre ceux qui calqueront leur vie sur le modèle parental et ceux qui iront dans la direction diamétralement opposée. Duroy trempe sa plume dans ses plaies intimes qui n'ont jamais refermées, pour lui ce doit être douloureux, mais nous nous enivrons de ce goût unique. Un peu la différence entre un triste Bloody Mary au jus de tomate et un Bullshot au consommé de sang de taureau....

livre_lesfillesducalvaire.jpgJ'imagine un lecteur n'ayant jamais entendu parler de Pierre Combescot. Je pense que ça doit arriver souvent. Il découvrirait cet immense auteur par un de ces livres verbeux, trop érudits, faussement potache et souvent assommant comme "faut-il brûler la Galigaï ?". Il trouverait qu'une culture vaste comme les plaines de Sibérie dessert son auteur, tue le propos, nie l'humanité des phrases. 

J'imagine maintenant que ce lecteur tombe dans une librairie d'occasion, il tomberait sur les filles du calvaire ce chef d'oeuvre que l'on ne trouve plus jamais sur les têtes de gondole. Ce chef d'oeuvre au nom de station de métro, le plus beau roman mettant en scène des prostituées depuis la vie devant soi de Romain Gary. Combescot donne ses lettres de noblesse à la gouaille parisienne, habille ses filles qui se dévêtissent pour le boulot d'une humanité à nul autre pareil. C'est tout, c'est fin, c'est final, c'est un chef d'oeuvre. Rideau (rouge pourpre).

Dessert:

Theorie du chiffon.gifSi vous n'avez plus de place, avalez encore ce vol-au-vent littéraire, 120 pages à peine. Du meilleur Lambron, mauvais esprit à revendre et réflexions aériennes de bout en bout. Déjà le sous-titre "sotie", donne envie. Le sujet importe peu, la mode, c'est le muscle du discours entre un couturier et une journaliste, les réflexions qui filent à tout berzingue sur le corps, la marchandisation, la standardisation du mauvais goût, l'apogée du mauvais goût. Du goût, du goût, du goûtu en somme !

 

 

 

C_line_Entretiens_avec_le_Professeur_Y.jpgPour finir, un chef d'oeuvre absolu. Ab-so-lu. On me l'avait offert il y a une dizaine d'années et voilà que je le retrouve en poche remasterisé par Tardi sur les tables de l'Arbre à Lettres. Entretiens avec le professeur Y c'est le génie de Céline qui invente - rien de moins - le style oral dans un désopilant échange de deux personnages sur fond d'incontinence, verbale comme urinaire. Je m'en voudrais de déformer le propos. Céline était sans doute un sale type, ses lettres à la NRF rappelle qu'en plus de ses opinions politiques sombres il était obsédé par l'argent et mauvais comme une teigne avec les autres écrivains. Mais ce bref roman rappelle bien plus facilement que le voyage que c'est un génie. Ceci doit clore le débat. 

 

25/07/2011

Cachez ces fachos cathos que nous ne saurions voir...

210011.jpgLe mundillo médiatique aime les jeux de société. Il encense à longueur de colonnes et de vidéos le Monopoly mondial de l'économie casino. Il vénère Richesses du Monde où l'on spécule à l'envi sur les matières premières. Même en période de péril écologique, il loue les vertus du 1000 bornes et du toujours plus vite. Mais plus que tout, il aime Risk. Ce jeu de stratégie délicieusement suranné, très "guerre froide" où l'on attaque la Yakoutie, le Kamchatka ou le Siam.

Risk où le souvenir enchanté d'une époque où le monde avait un ennemi: le communisme. Ha, le rouge, le moustachu ce salopard qui voulait piquer tout le grisbi, éradiquer les déviants intellectuels, empêcher toute sexualité débridée, bref un méchant génial à la fois sanguinaire et peine à jouir. Les libéraux n'ont jamais inventé plus beau méchant que le communiste. Depuis, ils rament.

Bien sûr, il y a l'Arabe. Ce salopard qui a fait tomber les tours à NYC et sauter les RER de St Michel. De plus, nombre de membres de l'OCDE ont un passé colonial, alors ça fait bien. Mais quand même, ils nous aident bien à construire nos maisons et puis quand il y en a un, ça va, c'est quand il y en a plusieurs... L'ordre libéral ne peut se contenter du seul arabe comme ennemi : l'arabe n'est pas officiellement en guerre, pas même froide, donc comme péril, repassons. Restent les terroristes, mais ils sont rares et on ne peut éternellement hurler au loup.

Il y a le juif. Le lobby. Le complot. Dans l'affaire DSK on a pas osé l'évoquer et puis si, puisque ces gens là s'entraident entre eux pour écraser le camp d'en face. Finalement, le juif, aujourd'hui, c'est la radium ; à manier avec précaution de peur que le souvenir de l'Holocauste ne vous pète à la gueule. Donc l'ordre libéral y va mollo.

Il y aurait bien le jaune. Mais oui, c'est évident, putain de chinois. Ils nous piquent tout, nos boulots, notre fric, nos congés... Mais bon, tant que les Iphone et Ipad et polos sont abordables car fabriqués chez eux il leur sera beaucoup pardonné...

Alors, aigris, on se rabat sur les sans-défense: les roms, les kurdes... Tu parles d'une bravoure. Thierry Mariani, alias Thierry la Fronde populaire les fustige et les pourchasse à coup de lance pierre sous les vivats des piliers de bar et la France éternelle, un instant seulement la France redevient la France.

La France éternelle qui revit avec Voeckler, le coureur à l'eau claire, avec ses bonnes traditions, son défilé militaire du 14 juillet qui soude toute la patrie. Qu'une hérétique attaque cette noble institution et on la renvoi sur son drakkar. La France humiliée dans le concert des nations, mais la France revigorée! Mais une France moisie, une France qui sent l'encaustique et la blouse grise, le châtiment corporel et le bénédicité. Une France dont le monarque de Latran rappelle que "jamais l'instituteur ne remplacera le curé" une France qui envoi régulièrement le premier de ses ministres au Vatican avec tant d'autres. Et la droite populaire et Marine le Pen qui sont soutenus par des masses qui n'ont rien de laïques. A propos de leur haine de l'autre, à tout ceux-là, de leur haine des Roms, des assistés, des arabes, des voleurs de poules et des communistes planqués rue de Solférino...

Pourtant la haine de l'autre est bien là dans les églises, parmi les rangs des cathos. C'est en son nom que les Etats-Unis mènent leurs guerres diverses ; le curé des troupes Françaises en Afghanistan fait salle comble quand il appelle au triomphe des valeurs françaises et de la nécessaire victoire sur les forces musulmanes. Nulle part ces dérapages catholiques ne sont dénoncés. Dans l'enquête de Caroline Fourest sur Marine le Pen, on voit que les excités du bénitier n'ont rien de pacifique mais on n'ébruite que peu ces passages du livre.

Alors, quand un de leur plus beau nervis, en Norvège, dézingue à la sulfateuse avec plus de violence qu'Uma Thurman dans Kill Bill, on parle de folie... Cachez ces fachos cathos que je ne saurais voir, jusqu'au bout dites le bien partout l'église catholique n'est que pureté et amour du prochain... L'islamophobie galopante en Europe n'a rien à voir avec elle, un storytelling qui vaut bien l'histoire d'un mec qui transformait l'eau en vin et multipliait les pains. A l'époque, 99,9% des gens étaient analphabètes, logique que cela passât. Aujourd'hui, en revanche....