16/12/2012
Aux armes, citoyens ?
Le caractère exceptionnel des tueries américaines n'existe plus. Chaque fois, il y a une surenchère et un caractère encore plus macabre que les barbaries précédentes. Cette fois, l'assassin a ouvert le feu sur de jeunes enfants et non plus des étudiants d'université. C'est atroce et Obama a versé des larmes qu'il n'avait pas répandu au lendemain de la tuerie intervenue lors de la projection de Batman Returns (n'ayant pas empêché le film de cartonner).
Pour autant, on aurait tort de résumer la violence américaine à ces seuls passage à l'acte de quelques exclus sociaux qui, un jour, décompensent leur mal-être lancinant de la façon la plus atroce qui soit. Le culte de la violence a gangréné la société américaine au point qu'un retour en arrière est peu probable.
31 000 morts par an. Dernières statistiques disponibles, fin 2009, font état de 31 000 morts par balles aux Etats-Unis. Je suis allé voir sur wikipédia, cela correspond à Viry-Chatillon, ou à Mont-de Marsan, Malakoff ou autre Vienne. Impensable qu'une ville moyenne entière soit décimée par balles. Les Etats-Unis sont cinq fois plus peuplé que nous, c'est entendu. Mais cela fera 6200 morts par balles en France. Pour notre pays, j'ai trouvé des chiffres allant de 200 à 2000. Eu égard à l'émotion suscitée par la vingtaine d'assassinats en Corse, à Marseille ou à Grenoble sur une année, nous devrions logiquement être bien plus près de 200. Un gouffre nous sépare de nos amis yankees et il est plus grand que ce que les chiffres soulignent.
Adolescent, j'ai passé 3 étés consécutif aux Etats-Unis. Des familles d'accueil de Californie et de Pennsylvanie. Des gens ouverts d'esprit, accueillant et chaleureux. En voyant défiler les infos sur le carnage d'hier, mes hôtes me sont revenus en mémoire. Quels rapports entretenaient-ils avec les pétoires, eux ? Tout cela est remonté à la surface d'un coup : 3 familles sur les 4 qui m'ont hébergé possédaient un ou plusieurs flingues. Pas caché, puisque je les ai vu. Ils ne s'en étaient jamais servis, mais disaient tous se sentir plus en sécurité sachant qu'ils pouvaient dégainer le cas échéant. Le soir, quand je sortais au cinéma ou dans des bars, tous les ados en avaient. Une fois même, alors que je me baladais avec un copain légèrement bad boy et que nous sortions du centre commercial en plein jour, un type un brin louche est venu lui demander de façon peu courtoise de se délester de sa montre. Comme mon pote refusait, l'autre entrouvrit son manteau et laissait entrevoir le chrome de la crosse de son flingue. Je me liquéfiais, mon pote répondit très calme "right, you're gonna shoot me in the middle of the day ? You moron". Et nous nous éloignâmes, lui calme, moi flageolant. Pour mes compagnons de basket et de jeux vidéos (mes principaux hobbies alors), les armes à feu faisaient complètement partie du décor.
Je ne suis plus retourné aux Etats-Unis depuis. Je me suis rendu 2 fois à New-York, mais ce ne sont pas les Etats-Unis. Les tueries n'ont jamais lieu là bas. Ce qui s'est produit hier ne détournera pas les citoyens américains des armes à feu, loin s'en faut. Toutes les tueries entraînent une hausse des ventes. Je me souviens du dernier ayant tenté de mettre fin à cette folie : Bill Clinton avait lancé un vaste programme où l'Etat fédéral rachetait les armes à feu plus cher que leur valeur marchande. Gros succès... Hélas, les vrais bad boys s'était rué sur la bonne occase et avait revendu une partie de leur imposante artillerie à bon prix, mais cela n'avait en rien fait baisser le taux d'équipement des foyers américains.
Obama ne pourra sans doute faire mieux. Les mentalités sont trop ravagées pour cela, le micro-trottoir du Connecticut était assez unanime : le carnage aurait pu être évité avec plus de portiques, de caméras de vidéo surveillance et de shérif dans l'école maternelle... On peut soupirer et le déplorer, mais on aurait tort de croire que cela ne vaut que pour Outre-Atlantique. Le marché de la sécurité explose en France aussi. Pour l'heure, l'aspect soft avec systèmes d'alarmes, portes blindées et autres s'agitent, mais nous ne sommes pas à l'abri de devenir une nation paranoïaque nous aussi et de donner raison à notre hymne national pour aller faire couler le sang impur (vaste programme) à grand renfort de balles tragiques, et pas qu'à Colombey.
08:57 | Lien permanent | Commentaires (2)
13/12/2012
Tout le monde lit I love you now
Pensant à ceux qui arpenteront les boutiques pour les achats de noël, je souffre. J'ai résolu ce problème en famille en défendant l'arrêt des cadeaux pour plusieurs motifs : l'adéquation modérément heureuse entre les surprises et leurs destinataires, la surconsommation, le fric foutu en l'air, le temps perdu à aller chercher ses cadeaux qui emmerdent tout le monde... Donc, bon, moi ce week-end, j'ai du temps. Enfin, j'avais jusqu'à ce qu'un type qui se prétend mon ami me réquisitionne pour venir l'aider à repeindre chez lui.
Toujours est-il que, si je devais faire des emplettes de noël pour tout un tas de cousins, je ne m'emmerderais pas et achèterai une pile de "Je t'aime (maintenant)" le livre que Sandra Reinflet vient de faire paraître aux éditions Michalon.
On a coutume de dire qu'une oeuvre littéraire atteint son but lorsqu'elle touche à l'universel. A contrario, une grosse part de la production littéraire française souffre d'un nombrilisme envahissant qui l'empêche, forcément, d'accéder à l'universel. Trop de petits conflits germanopratins, de références de palier, de ronchon et d'éditorial venant se nicher dans la prose et empêchant toute la mise à nu de l'âme que requiert la fiction. Je ne suis pas en train de vous dire par surprise que Sandra a réalisé un chef d'oeuvre à rebours de nos travers hexagonaux. Mais elle a su habilement prendre des deux cultures.
Poussé à ce point, ça confine même au génie : rien de plus universel que l'amour et rien de plus nombriiste que le propos de Sandra, puisque le livre parle de ses amours. Véridiques, fantasmées, à peu près vécues, consommées ou pas, les histoires d'amours de Sandra sont multiples et protéiformes. Entre l'amour très pur pour son père (ce héros), l'amour torturé d'une histoire d'une nuit qui s'est répétée à intervalles réguliers, le premier amour à nul autre pareil, et l'amour avec une autre femme qu'elle n'a pas vu venir, rien de commun si ce n'est des souvenirs.
Sandra nous promène dans ses souvenirs qu'elle a fait remonter à la surface pour un exercice de funambule : retrouver les protagonistes de toutes ces histoires qui composent son kaléidoscope amoureux. Pas besoin de boussole ou de carte du tendre pour retrouver son papa, mais les autres ? Il y a un mort (ça arrive), des adresses manquantes, poste restante et quelques miracles. Des bouteilles à la mer qui ont répondu à un mail hasardeux trouvé par les hasards du web. La chance sourit aux audacieux et pour mener son projet à bien, Sandra n'a pas manqué de cette vertu. Elle a tiré de cette odyssée sentimentale ces 24 portraits avec photos où l'on rencontre 24 inconnus qui nous sont familiers. C'est là où le nombril se mue en universel. Les portraits de Sandra évoqueront à tous leurs plus belles nuits, leurs espérances déçues, leurs souvenirs amusés ou leurs plus grands remords. Les grands lecteurs apprécieront l'effort de l'auteur pour ciseler ses textes, ceux qui lisent peu arriveront tout de même facilement à bout de ces courtes histoires. Les autres regarderont les belles photos. Et voilà comment le miracle de noël (ou des courses) s'accomplit. Votre oncle égrillard se gobergera de toutes ces histoires lui rappelant les siennes et votre cousin vieux garçon le dévorera avec une impatience fébrile; votre soeur le lira en riant aux éclats (elle connaît la moitié des personnages du livre) et votre mère s'interrogera sur votre santé mentale, puisqu'elle n'ira pas plus loin que cette première histoire d'amour de Sandra pour son père et vous redonnera le numéro d'un ami psy. Le temps ainsi économisé sur les emplettes de noël n'en sera que plus délicieux à dépenser sottement, en regardant passer les passants ou à attendre sous la couette que cette feignasse de jour se lève.
07:31 | Lien permanent | Commentaires (2)
10/12/2012
La double fracture numérique
J'ai écouté l'émission comme on regarderait une partie de chasse car l'on sait que le lion bouffera le chasseur. Avec une curiosité perverse, quoi. Alain Finkielkraut vs Michel Serres. Sujet : l'édudaction et le numérique. Combat archi déséquilibré puisqu'après quelques minutes, Finkielkraut se plaçait dans la posture de grand papy grognon, concédant avoir une connaissance "exclusivement livresque et par conversations" de l"internet... Suite à cet aveu aussi précoce, je me suis dit que ça allait tourner carnage. Caramba plus que raté. Soit le lion avait besoin de lunettes, soit le débat est plus complexe qu'il n'y paraît. A mesure que l'émission avançait, la curieuse impression que Serres cherchait à éluder la question pourtant capitale des ruptures de connaissances et des inégalités induites par l'Internet s'imposait. Si vous avez 52 minutes de libres, ça reste une émission d'un fort bon niveau :
http://www.franceculture.fr/emission-repliques-l-ecole-da...
Après avoir entendu les 2 philosophes disserter, je me suis perdu sur la toile et suis tombé avec un sens du hasard très relatif (comme souvent sur le oueb) sur un article particulièrement éclairant sur l'augmentation des inégalités liées à internet. Il est là :
http://www.internetactu.net/2012/06/04/perdre-son-temps-l...
Si vous ne l'avez pas lu, ce que dit Xavier de la Porte (le présentateur de "Place de la Toile"), c'est que les classes socio-économiques les plus favorisées passent moins de temps, mais surtout un temps différent sur l'Internet. Pour une fois, le qualitatif passe avant le quantitatif devant leurs analyses et c'est cela qui me semble le plus important. Plus intéressant, le discours d'un certain nombre de tenants de l'éducation par Internet, me rappelle les premiers libéraux, dans les années 80 avec leur trickle-down. Cette théorie, signifiant littéralement "ruissellement" explique ceci : permettez aux plus riches de s'enrichir et ça retombera sur les pauvres. Là, en l'occurrence, on part du principe que l'augmentation du nombre d'infos présentes sur internet produira mécaniquement de la redistribution. Force est de constater, nous disent les profs (concernés en premier lieu) qu'il n'en est rien. Les plus favorisés ont des parents qui leur apprennent à débrancher, à construire une réflexion non fragmentaire, sans surfer d'une seconde à l'autre et détectent très tôt les failles dans les fondamentaux. Les moins favorisés n'ont pas ce type de réflexes devant la déliquescence précoce de leurs fondamentaux en français. Or, depuis dix ans, toute l'action des pouvoirs publics a été de s'alarmer de l'avancée de la fracture à l'accès numérique. Hélas, le chirurgien français n'a pas suffisamment regardé l'état du malade avant de se lancer dans son opération puisqu'il y avait bien double fracture. Si la première est bien en passe d'être résorbée, et l'avenir de Free devrait accélérer la cicatrisation, la seconde est plus que jamais béante. Nombre de profs remettent aujourd'hui en cause l'enseignement du numérique (et de l'anglais, mais je trouve cela inepte) en primaire au détriment du français sachant que la maîtrise de la langue ne cesse de baisser à mesure que l'enseignement de celle ci ne cesse de diminuer sans qu'aucun ministre n'est effectué de corrélation entre ces deux propositions.
Ce week-end, par deux fois, j'ai croisé dans un métro nocturne et dans bus de l'après midi, ces fameux jeunes à capuches qu'aiment tant les éditorialistes du Point puisqu'ils leur permettent d'illustrer toutes leurs couvertures sur l'insécurité en France. Là, sans vouloir jouer la gauche laxiste et aveugle, je voyais surtout des victimes. La seule agressivité dont ils firent preuve était sonore et se perpétrait contre le wagon ou le reste du bus : écoutant sur leurs téléphones des mélodies à l'harmonie douteuses et aux paroles nébuleuses, ils exploitaient moyennement bien les ressources numériques pour se divertir. Je sais, ce propos est atrocement réac et sans doute que rentré chez eux, ils avaient d'autres usages numériques autrement plus riche pour eux. Mais je ne saches pas que les sites de téléchargement de sonneries à la con, de ce type de musique et autres attrapes gogos chronophage fonctionnent autant chez les enfants de profs que chez les enfants élevés dans des zones où l'emploi est aussi présent que l'herbe au Sahara... Il ne faut pas confondre Vincent Peillon et Moïse, mais c'est peu de dire qu'un miracle est attendu en la matière. Il y a bien un vrai chirurgien au gouvernement (Cahuzac), mais il avait une clinique d'implants capillaires et il est en délicatesse, à mon avis prolongé, avec l'opinion.
08:01 | Lien permanent | Commentaires (1)