09/06/2013
De l'inégalité des marches
Depuis quelques jours, la France se passionne pour savoir s'il y a un risque de retour massif des nervis de l'extrême droite. Elle scrute les déclarations de Serge Elie Ayoub qui a habilement gommé son second prénom, jugeant sans doute que dans les milieux nationalistes, une ascendance israëlite ne constitue pas un avantage de taille.
Cette histoire me touche aussi, bien sûr. Que l'on puisse mourir à 20 ans pour des idées à quelque chose d'immonde. Là où je trouve que les journalistes et les politiques sont consternants, c'est lorsqu'ils évoquent le retour de je ne sais quelle barbarie et invoque l'Union Nationale comme si nous étions au bord du précipice. Le gamin est mort de la faute à pas de bol, après avoir reçu un coup de poing américain, ce n'est pas le Bronx des années 80. Ce n'est surtout pas le Paris des années 80 et 90. Ville dans laquelle mon grand frère faisait parti des anciens Mérics, des chasseurs de skins. Les Redskins sortaient en meute et le poing américain était le service minimum. Alors, monsieur Ayoub avait souvent une batte de baseball dans la main quand ça n'était pas une hache. Oui monsieur. Et photos à l'appui... Il ne s'agit pas de minimiser la mort de Clément Méric, mais il est faux de parler de plus grande violence aujourd'hui. 5000 personnes se réunissent et le premier ministre parle de dissoudre le groupuscule des nervis. Méric est tombé du bon côté du périphérique. S'il était tombé à Bondy ou à Meaux, peut être n'en aurait-on pas parlé. J'exagère ?
Le Monde a repris une étude qui avait paru il y a 2 ans dans l'Express, que l'on peut retrouver là et qui démontre un taux de mortalité accru de 82% selon le côté du périphérique. A Meaux, siège de JF Copé, petite ville de 50 000 habitants, le taux de mortalité est infiniment plus grand. On peut lire l'excellente enquête d'Arthur Frayer ici où l'on peut suivre Reda qui a moins de 40 berges, à déjà perdu plus de 10 jeunes qu'il connaissait bien. Par connaissances vagues, ce chiffre macabre peut monter à 30 ou 40. Ou est l'union nationale pour ces mômes ? Tout le monde s'en fout parce qu'on considère que les gueux s'entretuent pour des histoires de drogue ou autre. Tant qu'ils ne viennent pas répandre leur hémoglobine dans Paris, tout va bien. Pour eux, il n'y aura pas de marche. Il y a 3 ans, un incendie criminelle à Sevran avait décimé une famille qui refusait de se plier à la loi des dealers. Le maire, Stéphane Gatignon a appelé toutes les autorités pour le recueillement. Personne n'est venu, personne n'a répondu. C'était au mois d'août et ces morts maliens ne valaient pas que l'on écourte les vacances....
Ne pas banaliser la violence, disent-ils. Mais c'est déjà le cas dans certaines zones. C'est pour ces morts non cathodiques qu'il faudrait une union nationale. Avant de mourir, Pierre Mauroy avait accordé une longue interview à France Culture où on lui demandait ce qui avait le plus changé en 30 ans. Réponse du dernier premier ministre de gauche, "la jeunesse. Elle est beaucoup plus exigeante. Et elle a bien raison". Mauroy avait raison, et l'époque étant aux marches et autres manif, on aimerait un ras de marée humain pour tous. Pour tous les jeunes. En plus, c'est une promesse présidentielle, alors les flics pourraient défiler avec pour grossir les chiffres.
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08/06/2013
L'économie en mode ATP
C'était un soir sans eau. L'ami avec qui j'éclusais patiemment des bières m'entreprit sur une théorie : l'économie de l'édition vu par le prisme du circuit ATP, qui régit les tennismen professionnels. Pour reprendre sa formule bien française (le type est par ailleurs un grantécrivain comme on dit dans les gazettes) "plus t'es de la win, plus t'es de la win". Il parlait des droits d'auteurs ; qui augmentent proportionnellement à mesure que les ventes augmentent. 1 euros par livre en dessous de 10 000 ventes, plus de 2,5 euros au delà de 100 000, grosso modo. Peu de monde concerné, mais lui rentre dans cette catégorie des rares élus.
Le parallèle avec le circuit de tennis est frappant : ce sport est celui qui a poussé le plus loin le grotesque (je regarde quand même, mais bon) pour protéger et orchestrer son petit suspense. En gros, mieux vous êtes classé, plus on vous paye juste pour venir sur un tournoi, même si vous prenez une branlée au premier tour. Mieux, si vous faites partie des têtes de série, les joueurs les mieux classés, en somme, vous pouvez être exempté de premier tour. Pauvre petit champion qu'il ne faudrait surtout pas fatiguer, ne pas prendre le risque qu'il rate la finale. Ce qui m'a frappé récemment au moment du tirage au sort de Roland Garros, c'était les lamentos accompagnant la perspective de retrouver Nadal/Djokovic en demie-finale. Comme si le match était sincèrement gâché de n'être pas une finale. Je ne comprends pas. Le match eu lieu hier, 5 sets, 4H40. Les amateurs de suspense et de spectacle pouvaient être rassasiés. Ce qui me chiffonne c'est de lire encore que la finale eut lieu avant l'heure. Je suis sûr au contraire, que le même duel de chiffonniers (assez doués avec une raquette) aurait tenu les mêmes promesses au premier tour. Mais peu importe cette évidence, pour les promoteurs, il s'agit de s'assurer, de maximiser, de forcer le destin pour que coûte que coûte, les choses se déroulent comme prévu. Il avait même été envisagé de changer le règlement pour que Nadal puisse être tête de série numéro 1 à Roland Garros et éviter de croiser Djokovic avant la finale.
Il faudrait un livre et non pas une note de blog, mais il faut imaginer l'économie mondiale fonctionner selon les mêmes ressorts, favorisant sans cesse les favoris, les plus forts et enfonçant les autres, les cantonnant à d'obscures matchs de qualification... Ce ne serait pas à proprement parler une révolution au sens marxiste, mais juste, appliquer les mêmes règles à tous serait une utopie concrète très appréciable.
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07/06/2013
Molto grande bellezza
Mon ami Bruno Humbert aime à dire qu'il est difficile de définir un entrepreneur social, mais que lorsqu'on en croise un, on le sait de suite. Sans doute en va t'il de même avec les chefs d'oeuvre au cinéma. En tout cas c'est ce que j'ai ressenti en regardant la grande bellezza de Sorentino.
J'avais entendu, ça et là, quelques mauvaises critiques : un peu mièvre et moralisateur, quelques chromos égarés. Bon. Plusieurs personnes dont j'aime à suivre le goût m'avaient en revanche convaincu d'aller voir ce film "très beau". Je l'ai trouvé admirable. Drôle le plus souvent, fort et entraînant parfois; émouvant, toujours. Rarement la charge contre les parasites de l'époque n'a été aussi juste. Les dialogues claquent parfaitement, les scènes les plus loufoques s'enchaînent.
Le pitch tient, comme souvent, en une ligne : le roi des mondains romains, 65 ans, réalise qu'il serait peut être temps de se remettre à écrire, lui qui avait publié un roman salué par la critique il y a 40 ans. Evidemment, il n'écrira pas une ligne, mais continuera à promener son élégante silhouette dans des bacchanales où se mêlent toujours artistes conceptuels, filles de joie et noblesse ecclésiastique. Et il lève parfois le nez de la cocaïne pour réfléchir au temps qui passe, au néant qui l'entoure. Il ne s'épargne pas, lucide au possible sur sa condition. Erudit désabusé, il ne méprise par la faune qui l'entoure car il leur ressemble, va chez le même chirurgien esthétique (hilarante scène) fréquente les mêmes fêtes où il se retrouve dans les mêmes chorégraphies. Il se rachète une conscience auprès des humbles (sa femme de ménage, une religieuse) mais pas au point de mener une vie dépouiller non plus. Ce grand débauché très digne ne sait pas ce qu'il veut, mais met tout en oeuvre pour que rien ne change ; fors sa garde-robe. Mon dieu que ce mec est bien sapé !
Au delà du scénario quasi insignifiant, le film frappe par la beauté de ses plans, touche par la justesse des acteurs et émeut grâce au message de fond. Le fond ? Le temps qui passe, la vanité des choses qui brillent et dans le même temps, l'impossibilité de s'y soustraire car le courant est trop fort dans le tourbillon des mondanités. Evidemment, on pourrait opposer qu'il y a trop de scènes plaquées ou de personnages un brin caricaturaux, mais c'est toujours fait avec humour et une émotion trop puissante pour être malhonnête. C'est une réflexion virtuose sur ceux qui refusent le temps qui passe et veulent coûte que coûte continuer de danser jusqu'à ce que les morts les prenne par surprise. Continuer de danser pour ne pas voir la folie ou le malheur qui les entoure. Encore une fois, en un mot : admirable.
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