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22/06/2013

Benchmark ou crève

benchmarking.gifL'article du Monde Diplomatique m'avait donné envie de lire un essai qui n'était pas à charge, mais chargé. Armé. Lesté d'une rhétorique agressive sur un sujet qui m'interpelle : la vision comptable du monde. Au Panthéon de mes citations favorites, nombre d'entre elles concernent les statistiques: "Les statistiques, c'est comme les bikinis, ça cache le plus important" (Alfred Sauvy) ; " Il y a 3 façons de ne pas dire la vérité : les mensonges, les gros mensonges et les statistiques" ou encore "je ne crois les chiffres qu'on me donne que si j'ai au préalable pu les truquer moi même" (Churchill). Mais, je répète, pas à charge. L'idée n'est pas d'assassiner le benchmarking par réaction ou idéologie réactionnaire, mais plutôt de déconstruire les mécanismes de comptabilité pour montrer que si c'est un outil neutre, Madoff est aussi désintéressé que St Martin.

 Les benchmarks ont diffusé les médias, les entreprises et les politiques depuis cinquante ans. Le livre retrace une généalogie diffuse, avec de nombreux pères parmi lesquels les patrons de Xerox et certains margoulins des médias qui comprirent avant d'autres tous les bienfaits en termes de vente qu'ils pourraient tirer d'une lecture chiffrée du monde. Qui ne voudrait pas vivre dans la ville la plus sympa, se soigner au bon endroit, étudier dans la bonne fac ? Internet prolonge ça gratuitement avec des sites d'utilisateurs qui vous classe vos hôtels, vos restaurants, voir les gens à rencontrer selon un barème d'une neutralité forcément helvétique. Ce que les auteurs montrent de façon jubilatoire, ce sont les conflits d'intérêts évidents entre ceux qui commandent et ceux qui mettent en oeuvre, ceux qui décident des critères d'impact et ceux qui s'en servent ; bref, l'idéologie du benchmarking est encore plus suspecte que celle des sondages. Et qu'on le veuille ou non, elle est omniprésente dans nos politiques publiques avec de nouveaux acronymes tous plus entraînants les uns que les autres : LOLF, MAP, RGPP... Tous convergent vers une standardisation de politiques utilitaristes et libérales où les détenteurs de la puissance publique ne semblent plus bien souvent se demander pourquoi ils font tout cela, au fond.

Les 3 exemples choisis à la fin par les auteurs sont accablants pour les tenants du livre: la police, l'hôpital et l'université sont 3 entités, 3 corps sociaux, 3 secteurs d'activités, comme on veut, littéralement gangrenés par cette logique comptable. Ainsi que les premiers chapitres le prouvent, le choix des indicateurs biaise les politiques prônés. Si les flics interceptent beaucoup de petits dealers et pourchassent beaucoup de sans-papiers, c'est parce que leur hiérarchie l'exige d'eux, ceci ne change rien au problème global du trafic de drogue ni ne permet d'avancer sur les flux migratoires.

Au final, le livre nous rappelle une vérité profonde sur laquelle tous les citoyens devraient réfléchir : le benchmarking est un outil destiné aux politiques ayant renoncé à changer le monde, mais souhaitant montrer le petit bout de la lorgnette sur lequel ils agissent en espérant que les citoyens soient dupes....

21/06/2013

Gloire à toi, René Dutrey


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On ne le répétera jamais assez, mais l'un des enjeux majeurs des élections de 2014 sera la démocratie. Cette avancée majeure que l'on voulait croire éternelle se délite de jour en jour, étude après sondage, élection partielle après nomination du fait du prince. Nos instances dégoulinent, nos modèles sont dépassés et les nouveaux gouvernants ont une parole usée avant que de n'être en fonction. Depuis l'arrivée à la présidence d'Hollande, les procès en sorcellerie, c'est à dire en amateurisme, refleurissent. Pour l'UMP, il faut fustiger la nullité des socialistes au motif qu'ils "n'ont jamais été aux manettes. L'argument est plus que spécieux : s'il faut des politiciens déjà aguerris, pas de renouvellement. Pas d'alternance. Pas de démocratie. La classe politique française est une des plus figées, des plus encroutées au monde. Comment espérer insuffler la nouveauté avec des types là depuis 30 ans ? Hollande travaillait à 2 bureaux du Président en 1983... Copé se prépare alors qu'il était ministre en 1995 et fait face à Fillon qui a voté contre la dépénalisation de l'homosexualité en 1982... Et il a encore voix au chapitre 31 ans après... Vous appelez ça une démocratie exemplaire ? Avec le courage qui le caractérise, Hollande est en train d'ensevelir le débat crucial sur le cumul des mandats. Plus le temps passe, plus je crois vraiment que pour expurger ce kyste géant qui menace la démocratie, il faudra surtout les limiter dans le temps. Pas plus de deux mandats successifs, à l'instar de ce que l'on a fini par admettre pour le Président de la République. Plus de député ou de maire là pendant 40 ans, dont la réélection est le seul horizon, plus d'adversaire pendant 30 ans prêts à toutes les bassesses et tripatouillages pour être élu. Deux mandats, une dizaine d'années que l'on consacre à mettre en application ses convictions et on retourne faire autre chose. Voilà qui serait vraiment salutaire. Ayant lu qu'un efficace conseiller municipal parisien, René Dutrey, décidait de ne pas se représenter après 2 mandats, je suis allé lire son blog et suis tombé sur cette missive aussi limpide qu'émouvante :

" Comme j'ai pu l'exprimer aux militants du groupe local EELV du 14ème arrondissement en début de semaine puis dans les colonnes du Parisien ce matin, après 13 ans de mandat au conseil de Paris, j'ai décidé de ne pas me représenter en 2014.Cela n'a pas été une décision facile. Elle est le résultat d'une longue réflexion. Mais il est temps pour moi d'ouvrir un nouveau chapitre de ma vie. Cette décision est en partie liée à mon engagement. Je pense en effet qu'il est important d' apporter une cohérence entre notre vision de l'implication politique et nos actes. La politique a besoin d'exemplarité et je pense qu'on ne peut pas "faire de la politique autrement" en s'engageant pour un troisième mandat. J'estime qu'il est important, même pour les élu-e-s, de se confronter au monde réel et de savoir se remettre en cause".

Gloire à toi, René Dutrey, c'est toi qui est dans le vrai.

20/06/2013

C'est maintenant !

9782757817964.jpgComme souvent en entrant dans une librairie en cherchant un livre, j'en sors une demie-heure après sans le précieux volume, mais lesté de quatre ou cinq autres dont je n'avais même pas entendu parler avant. En l'espèce, je connaissais bien sûr l'un des auteurs - Jean-Marc Jancovici- mais pas l'autre - Alain Grandjean- ni ce titre, quelque part entre Hollande, Beigbeder et le lipdub de l'UMP : "C'est maintenant. 3 ans pour sauver le monde". Je me réveille un peu tard, le livre a paru en 2009. Selon leur calcul, le monde est donc foutu, mais ce n'est pas une raison pour ne pas lire cet excellent essai.  

Les auteurs sont trop intelligents pour jouer du lamento, mais trop en colère pour nous épargner une tonalité agressive. Le livre se distingue d'abord par cela : un ton. Les auteurs sont excédés. Ils ne veulent plus débattre, notamment du réchauffement climatique. "Continue-t-on à débattre de l'Océan Atlantique ou du nombre de bras qu'ont les humains ?". Les manchots prendront sans doute ombrage de ce jugement un peu définitif, mais on ne peut complètement leur donner tort. Leur colère se nourrit d'une peur, mais pas celle que l'on croit. Rappelant que le réchauffement climatique ou encore la fin du pétrole n'arriveront pas du jour au lendemain, ils craignent que les tensions liées aux dérèglements écologiques entraînent la fin de la démocratie : "Pour diviser la consommation planétaire de n'importe quoi par 4, il est équivalent de tuer les trois quarts de la population ou de demander à chacun de diviser sa consommation par quatre. L'acceptabilité sociale, on en jugera, n'est pas tout à fait la même !". Pas faux, les gars.

Il est délicat de ne pas être d'accord avec eux, notamment, dans leurs dénonciations de faux procès ou fausses croyances sur les éoliennes qui ne décolleront jamais vraiment (c'est une licence poétique). Ils rappellent aussi que si le nucléaire n'est pas la panacée, Tchernobyl n'est rien en termes de dégâts à côté du barrage des 3 Gorges, en Chine. Ca remet les choses en place... J'aurais aimé qu'ils parlent plus des points positifs avec les nouvelles énergies hydrauliques, notamment celles liées au choc thermique entre les eaux profondes et froides et celles à la surface, plus tempérées. Mais bon... Ils étaient trop en colère pour parler de ce qui va bien et leur réquisitoire n'en est que plus âpre et puissant comme un vin de la Vallée du Rhône. 

Tout de même, ce qui me chiffonne chez ces auteurs qui reconnaissent l'importance de certaines croyances, c'est là toute puissance qu'ils accordent aux politiques qu'ils ne cessent, dans le même temps, de dézinguer. Aucun ministre, élu, bâtisseur de la chose publique ne trouvent grâce à leurs yeux et pourtant ils n'envisagent pas de révolution planétaire fors le politique. A l'évidence, le politique est l'échelon de décision le plus important, le plus puissant et donc potentiellement le plus rapide. Néanmoins, c'est occulter un changement déjà à l'oeuvre et dont les auteurs sont conscients : plus vous êtes proches dans votre métier des conséquences du changement climatique, plus vous avez anticipé les évolutions sur votre business et vous avez modifié vos produits. Vous ne devenez pas plus vert par vertu, mais par nécessité. Cela, les auteurs le disent peu. Pour eux, tous les modèles actuels sont voués à l'obsolescence, surtout la grande distribution, et il faut que le politique encadre, régule et taxe. Voilà la nouvelle sainte trinité ! Après tout, je préfère celle-là à celle des églises...