05/10/2014
Saint Laurent, le vrai film
Venir en second offre plus d'inconvénients que d'avantages. Le public est sans doute déjà lassé du sujet, les critiques se sont d'ores et déjà répandues en dithyrambes sur la ressemblance ou la vraisemblance des uns et des autres.
En revanche, pour qui regarde les deux, vous comparez plus cruellement car ce qui pêche chez l'un vous apparaît au grand jour, quand l'autre le réussit. Je dis cela car c'est proprement frappant en allant voir Saint-Laurent de Bonello. Prétendre devoir réfléchir à juger les deux en entretenant un suspens comme l'ont fait certains est d'une mauvaise foi confondante. Pour rester dans le chiffon en jeu dans le film, se demande t'on si Desigual a plus d'allure que Zegna ? Bon...
Enfin un biopic qui abandonne l'idée systématique de suivre le même personnage toute sa vie pour montrer comment l'acteur forcément génial et césarisable (il était très bien, Pierre Niney, telle n'est pas la question) sait s'adapter à tous les âges de la vie. C'est bien le moins quand on s'attaque au mythe de la confection que de bien dessiner son film. C'est le cas de celui-ci. Jamais là où on l'attend, il manie savamment, les bonds dans le temps et ne s'attarde pas sur ce qui est déjà connu de tous.
En outre, l'hagiographie de Pierre Bergé n'a plus court. Sans doute est-ce pour cela que le souriant magnat de la presse, égérie bien élevée, a tenté d'interdire le film. On y voit certes un homme éperdument amoureux et admiratif de Saint-Laurent, mais également un rapace en affaires qui tentera de faire fructifier la marque de son homme jusque dans son linceul. Un belliqueux qui monte au front et qui exige toujours plus de travail de la part de son amoureux, même quand ce dernier voudrait se reposer, ne rien faire. Leurs relations n'en sont pas moins belles, au contraire. C'est l'amour passion, sans artifice clinique que l'on retrouvait dans le premier.
Et l'histoire d'amour violente avec l'égérie de Karl Lagerfeld ne ressemble plus à une histoire de cul vaguement canaille, mais bien à une tentative d'échapper à son destin de forçat de la mode. Autant de points qui m'ont fait beaucoup beaucoup aimé ce film. Après, dans les deux films, on assiste un peu médusé à des cinéastes aveuglés par leur passion pour leur objet qui n'ont pas la lucidité d'YSL lui même qui savait qu'il n'avait pas l'étoffe d'un grand peintre et que la mode restait la mode avec une modestie artistique aux antipodes des ronflants titres qui l'entoure. Cette réserve mise à part, ça vaut tout de même vraiment la peine d'aller au cinéma pour être ému.
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03/10/2014
Les journalistes politiques savent-ils lire ?
Toujours étonnant, ce sur quoi s'arrête le ronron médiatique de l'actualité livresque. Les critiques littéraires se sont focalisés sur une poignée d'oeuvres de fiction parmi les 700 titres de la rentrée. Et encore, pour un certain nombre d'auteurs confirmés, ils recopiaient allègrement leurs critiques précédentes en mettant à jour leurs notes pour cadrer avec le nouveau sujet du roman en question, mais en conservant rigoureusement les mêmes adjectifs pour décrire le romancier. Ils s'excusent, on publie trop. Soit. Ou alors, peut être peut être qu'ils ne lisent pas assez pour faire ce boulot de fou...
Les critiques littéraires lisent sans doute beaucoup, mais ils sont noyés. Les journalistes politiques en revanche, savent-ils au moins lire ? Si oui, c'est inquiétant. Ou alors, ils ne lisent rien volontairement et ils auraient leurs raisons. La plupart des livres politiques sont ennuyeux, écrit avec les pieds et truffés d'anecdotes plus ou moins anonymes. Une insulte à l'artisanat de l'édition. Ceci constitue une piste pour ne pas lire, mais il y en a d'autres.
Une petite expérience passée et la fréquentation de quelques spécimens actuels me prouve que les pauvres journalistes politiques ont eux aussi une vie de fou. Il faut suivre sans cesse le ballet des prétendants, des aspirants, des soupirants, des courtisans et des artisans. Se rendre à d'ennuyeuses conférences de presse, assister à des petits déjeuner d'informations, des déjeuners de potins, des verres de l'amitié, des dîners de réflexion et plus si affinités. La vie du journaliste politique est une longue noria de mondanités où ils fréquentent sans discontinuer ceux qu'ils lynchent. Et le peu de temps libre qu'ils ont, ils écrivent des livres pour arrondir leurs fins de mois et assurer leur place dans le grand barnum de la promo. Quand voulez-vous qu'il reste du temps pour lire ceux des autres ? Une anecdote m'amuse à ce propos : pour renforcer l'image cultivée des journalistes politiques, on met en avant leur diplôme. Regardez Anna Cabana, ou Léa Salamé: elles ont fait sciences-po ! Elles sont donc cultivées, disent tous les portraits qui leur sont consacrés. D'ailleurs, Cabana met en exergue de son déplorable livre sur les relations Trierweiler/Royal, une référence à Corneille. On a le vernis qu'on peut... Derrière, le livre est une insulte au style et au journalisme, de surcroît. Pourtant, ce livre fut très commenté, pour son exergue ; preuve que les attrape-nigaud fonctionnent, demandez-vous pourquoi.
Un autre livre qui a agité le mundillo est celui que j'ai placé en photo. Laurent Mauduit, fondateur de Mediapart. Nombre d'articles consacré à ce livre "qui raconte comment JC Cambadélis a falsifié ses diplômes" nous serine grosso modo la réclame autour de l'ouvrage. Ha. Une bonne fée m'a envoyé le livre. Première surprise, l'épaisseur de l'opus. Il doit donc rentrer dans le détail des notes avec un luxe infini... Surprise suivante, moins agréable, la police a été choisie pour un lectorat hypermétrope et de très nombreuses références sont puisées dans une actualité postérieure aux élections municipales 2014. Pour 410 pages, on mesure le degré de rapidité, pour ne pas dire de précipitation, dans lequel le livre a été écrit. Une expression choisie comme "tomber en pâmoison" se retrouvera au moins 5 fois en 10 pages et dans les vingt suivantes, une litanie d'expressions des plus relâchées. Ce livre n'a pas été relu ou corrigé...
Les notes de Camba, donc. Ce sont les 30 ou 40 pages les plus pénibles du livre. Acharnement gratuit sur un premier secrétaire mal à l'aise à l'écrit, incapable d'écrire trois lignes lui-même, qui a falsifié ses diplômes obtenus il y a 40 ans. En lisant cela, j'étais mal à l'aise : on s'en fout, ça n'est pas le sujet, c'est gratuit, un peu vain et un peu mesquin. Soit. Mais quid des 370 pages restantes et dont les gazettes ont si peu parlé ? Un réquisitoire d'une implacable justesse ! Une frappe chirurgicale de 250 pages sur le renoncement idéologique, la trahison sans nom, du PS actuel. Des pages violentes sur Valls, qui n'a jamais rien fait d'autre qu'intriguer au PS, intriguer dans des agences de com', qui a passé 7 ans à la fac pour obtenir une licence d'histoire et n'a jamais travaillé ailleurs qu'en politique. Qui n'aurait pas du pouvoir se présenter à la primaire PS sans les parrainages alloués par Hollande qui cherchait un contrepoids à Montebourg. Ca, c'est violent, et pas une ligne dans la presse. Quid des pages sur Macron qui en pleine campagne 2012 montait un deal bien sale pour Nestlé dont il est ressorti avec plusieurs millions pour sa pomme ? Niet. Des pages sur le Siècle, Minc et autres ? Exit. Des analyses sur la TVA, qui montrent qu'elles pèsent deux fois plus sur les revenus des plus modestes que des plus privilégiés. Exit aussi. Incompréhensible.
Même sur les "affaires" les journalistes politiques n'ont retenu que Camba car il est dans l'actu, mais le fait qu'un cadre du PS comme Olivier Spithakis ait pu ressortir 17 millions d'une mutuelle étudiante et se pavaner en yacht mérite d'être autrement plus commenté. Rien non plus.
En somme, ce livre a donné lieu à de nombreux clapotis pour 30 pages indignes et n'a pas eu d'écho pour 380 qui méritent vraiment la lecture. Cette incapacité à lire des journalistes politiques est relativement inquiétante pour la démocratie : si vous voulez avoir un vrai débat, il faut bien que certains le relaient honnêtement sans se focaliser sur leurs tocades personnelles...
07:58 | Lien permanent | Commentaires (3)