18/05/2016
Police partout, social nulle part
Depuis quelques jours, le nouveau clivage oppose le pays entre les tenants des forces de l'ordre et ceux des manifestants. Si vous aimez les premiers, vous traiterez les seconds de force du désordre... Et ainsi de suite, ad nauseam. Sommés de se positionner sur ce dualisme inepte, les responsables politiques prennent des positions caricaturales. Eric Ciotti remercie ceux qui font un métier noble, face à des hordes de dangereux casseurs. Les amis d'ELLV qui tentent d'oublier que Denis Baupin était des leurs hurlent sur des flics qui fracassent des manifestants pacifistes. Bravo le niveau...
Qui peut soutenir des flics qui tirent sur des manifestants à bout portant avec des flash ball au point qu'un innocent a perdu un oeil, d'autres sont blessés ? A contrario, qui peut encore arguer que les saccages en règle, les provocations et les coups avec envie de tuer (cet imbécile de lycéen qui a retiré le casque d'un CRS avant de cogner, lui restait-il du temps de cerveau disponible pour faire ça ?) ne sont pas défendables une seconde. Ca n'est pourtant pas compliqué. On nous impose un inepte état d'urgence où l'on déloge des manifestants politiques au titre de la dangerosité du rassemblement et on met tout en oeuvre pour que des centaines de milliers de supporters de football puissent se rassembler en juin prochain. Nous prendrait-on un brin pour des truffes ?
Il faut relire la magistrale interview de Xavier Mathieu dans Reporterre (dispo ici) où il explique que la violence est présente partout dans l'air. Une violence sociale, une violence démocratiques sans précédent où tout concorde à fermer le débat public. Les zadistes sont en colère par déficit de démocratie, Nuit Debout se radicalise quand on ne veut pas les écouter... Contrairement aux agriculteurs ou aux bonnets rouges, ils intéressent moins électoralement le gouvernement qui ne souhaite pas accéder à leurs requêtes et préfère au contraire manipuler les flics pour que ça dérape. Evidemment que c'est sciemment que la situation dégénère. Les syndicats de flics, peut porter sur la sociale, reconnaissent que les instructions qui leur sont données avant manifs sont d'un flou troublant...
Les éditorialistes qui se désintéressent de la question sociale omettent cette dimension essentielle dans ce conflit : les flics, c'est le Lumpen. Ce sont des prolos qui ne réussissaient pas à l'école et ont besoin d'un salaire. Et ils chargent et cognent sur d'autres jeunes désoeuvrés, sans but. On oppose des prolos malheureux pour satisfaire les calculs cyniques de politicailleurs manipulateurs qui jamais n'ont si bien collé à la définition de la guerre que donnait Paul Valéry : "La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas." #Onvautmieuxqueça.
11:59 | Lien permanent | Commentaires (16)
14/05/2016
L'introuvable fraternité
Les valeurs de la devise républicaine ne sont pas égales entre elles... La liberté est poussée sans cesse, au point de devenir notre enivrante obsession moderne. L'égalité vacille, prend l'eau de toutes parts, raison pour laquelle on vocifère et tente de la ramener dans le débat. Pour l'heure sans succès malgré les vociférations de Piketty à Nuit Debout, la liberté défonçant tout sur son passage et comme selon le célèbre théorème d'Isaiah Berlin "l'égalité et le liberté sont deux pôles contraires, dès lors que s'approche de l'un, on s'éloigne de l'autre". Et c'est bien là le drame, à force de s'éloigner de l'égalité, c'est une autre valeur qui écope : la fraternité.
On pourrait lancer une "Alerte enlèvement" pour la Fraternité. La dernière fois qu'elle fut repérée, tout le monde se moquait d'elle car une ancienne candidate à l'élection présidentielle, affublée d'un boubou bleu électrique qui lui allait comme une soutane à Miley Cirus. Elle avait fait chanter le mot à une foule dubitative, mi télévangéliste mi politicienne à la dérive...
Cette semaine je suis allé animer la première rencontre des salariés des Petits Frères des Pauvres. Leur délégué général, un homme lumineux qui s'efforce autant que possible de fuir la lumière, m'ouvrait justement à cette dramatique absence dans le débat public. Il ne mit pas longtemps à me convaincre, j'étais déjà enclin à une politique en faveur de la fraternité. D'abord c'est le titre choisi par une cinéaste pour intituler un documentaire qu'elle a produit sur mon frère et moi. Il se trouve que j'ai aussi la chance d'avoir une soeur, mais le film portait sur la relation qui me lie à mon grand frère, qui se trouve être adopté. Hormis une différence de couleur de peau et d'extravagance capillicole, la fraternité au sens large (qui inclurait la sororité) ne connaît pas de variable entre nous trois, ce qui nous rassemble étant bien plus puissant que ce qui nous éloigne. A un niveau individuel, un effort, un élan fraternel, n'a rien d'insurmontable. Sans avoir lu Lévinas, nous sommes tous en capacité de surmonter nos a priori sur ces autres effrayants parce que nous ne les connaissons pas et les envisageons, dès lors, comme des monstres.
Là où les choses se compliquent, c'est à un niveau collectif. J'entends par collectif le cadre national. A une échelle plus modeste, certaines terres, certains villages ou certaines grosses communes sont-elles assez fraternelles et d'autres fermées ? Ca tient à l'histoire, bien sûr, mais aussi (on y revient) à l'égalité : quand une commune à un PIB plus fort que le reste, une couleur de peau plus homogène que le reste du pays (le blanc) et qu'on leur dit qu'on va ouvrir un centre avec des doublement non comme eux (pauvres et non blancs) qui débarquent, c'est la panique. A mon sens, le moteur de la folie reste donc l'inégalité. Raison pour laquelle le salut par la restauration de l'égalité. Si l'on en croit Robserpierre, elle relie la liberté à la fraternité. Effectivement, impossible d'être frères si l'autre me heurte ou que je guigne quelque chose chez lui. On sait bien qu'il ne faut jamais regarder l'assiette du voisin. Notre hystérie identitaire nous pousse à ne faire que cela. Voilà comment on saccage la fraternité alors même que nous avons tant besoin.
Avec 5 millions de personnes isolées, des millions de vies pas assez occupées, pas assez remplies, le vide humain de ce pays est plus abyssal qu'une dette que nous ne sommes pas tenus de rembourser toutes affaires cessantes. Les intérêts, certes, pour faire fonctionner le système, mais la dette elle même. Qui croit sérieusement que nous rembourserons les 2 000 milliards de dette ? C'est moins urgent que nous rapprocher les uns des autres. En voilà un chantier sympathique pour 2017 et qui ne sera même pas périmé en 2022.
18:04 | Lien permanent | Commentaires (39)
13/05/2016
Hé oh, le gouvernement !
"Il faut que l'esprit de raison revienne. Je me désole qu'une partie de la gauche ne veut pas accepter ce que signifie le fait de gouverner, d'être aux affaires". Ce bréviaire de l'éthique de responsabilité a été proféré cette semaine par l'ineffable JM le Guen, Secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement. Son boulot est donc de fluidifier le dialogue et d'entendre les différentes sensibilités élues au Parlement. Hélas, son esprit d'une faiblesse congénitale, sa croyance démentielle dans le libéralisme (c'est un des derniers thuriféraires de DSK), ne voit qu'une gauche valable : celle de droite.
Au fond, lors d'une grande primaire de gauche en 2011, leur courant de "pensée" a rassemblé un petit 5% autour de la candidature de Manuel Valls et depuis 2014, ils ont imposé au forceps 99% des lois (le mariage pour Tous était passé, ils ont flingué la loi ALUR de Duflot et sur le reste, n'accablons pas l'ambulance) en sortant à chaque fois une rhétorique si faible qu'elle ne vaudrait pas 06/20 dans un cours de licence : il faut avancer, il faut faire des réformes, il faut vivre avec la modernité, le monde a changé et est dans une concurrence ouverte.... Sur les mots, sur les arguments employés par le gouvernement aujourd'hui, on ne trouve pas un iota de différence avec les ministres du gouvernement Fillon. Réécoutez Woerth sur les retraites, Chatel sur l'école, même brouet libéral tiède. Assumez les gars, vous êtes de droite, vous êtes de droite.
Mais non, ils ne peuvent pas assumer, ils sont SOCIALISTES. Donc, ils incarnent la justice. Peu importe que tout ce que ce pays compte d'intellectuels de gauche lui répète à longueur de livres, tribunes, colonnes, débats, rapports, qu'ils sont les plus gros sociaux traîtres de l'histoire de France, ils continuent. Pour se boucher les oreilles et ne pas entendre le malaise social, ils agitent maladroitement le chiffon identitaire. C'est bas. Comme ça ne prend pas, ils tentent une grossière manoeuvre de communication qui restera dans les mémoires comme le pire nom d'opération de tous les temps : hé oh la gauche. Sous-titre : arrêtez de nous taper dessus, on a fait beaucoup de bien. Les bras vous en tombe, tout de même. Parce que la kermesse reconnaît quelques "écarts" avec le programme de 2012, mais a claqué un argument massue : il y a plus de promesses tenues que de non tenues. Hé la tu te dis : arithmétiquement en surface, certes. Mais un cheval/une alouette, tout de même. Vient l'envie de répliquer : hé oh le gouvernement ? Des bouts de chandelles accordés dans la lutte contre l'inégalité territoriale et une prime de dernière minute aux profs du primaire = 2. Le Pacte de Responsabilité et ses 41 milliards (relire le chiffre...) d'allègements fiscaux et le torpillage en règle des départements = 1....
Alors oui, vu comme ça, la loi El Khomri, la loi Macron, la loi Renseignement, Fessenheim et toute la trahison du nucléaire, l'absence de séparation des banques de dépôt et de marchés, l'oubli des centaines de milliers d'emploi dans les énergies renouvelables. On peut dire que ça fait 7.... On doit bien pouvoir trouver 7 promesses naines qui ont été appliquées comme 7 fléaux, 7 plaies de France. Peut être même une 8ème demie avancée qu'on voudrait faire passer comme un 8ème merveille... Il paraît que la loi Numérique a été fort bien co construite : elle souligne surtout que les français vont sur l'Internet. Ils se renseignent. Faudrait voir, peut être, à ne pas les prendre pour des cons au-delà du raisonnable. Bornes qui ont été depuis très longtemps outrepassées...
07:46 | Lien permanent | Commentaires (44)