10/05/2016
L'étrange concordance des temps dans le BaupinGate
Harceler n'est pas violer. Harceler en France n'est pas violer aux USA. Deux raisons qui implique l'immédiateté de la sentence dans un cas et la détestable omerta pendant des années dans l'autre. Après tout, lorsqu'il se livrait à ses scabreuses avances en France, DSK n'a jamais eu de démêlés judiciaires... Aussi, pourquoi maintenant et surtout pourquoi tous les journalistes sans exception, femmes ou hommes, s'exonèrent-ils de la sacro-sainte présomption d'innocence ? Cette question est peu soulevée alors même que la temporalité de l'affaire pose question.
L'affaire est donc sortie hier, mais les faits remontent à plusieurs années et les témoignages des victimes sont vieux de plusieurs semaines, voire plusieurs mois selon leurs propres dires notamment ceux de Sandrine Rousseau. France Inter et Médiapart ont sorti l'affaire hier, mais avait prévenu, forcément, quelques personnes. Un peon comme moi, pas vraiment dans les petits papiers d'EELV connaissait l'affaire (sans les détails) depuis quinze jours. Comment imaginer que si pomme savait, les journalistes qui suivaient, l'ignoraient ?
Il y a quelques semaines, également, Denis Baupin a démissionné d'EELV. Son parti historique, son engagement pluri décénnal, alors qu'il n'y avait rien dans l'actualité qui justifiait ce geste : pas de remaniement ou de décision plus anti écolo que d'habitude de la part du gouvernement... On peut sans trop se tromper dire qu'il est parti préparer sa défense, d'ailleurs il avait déjà son avocat hier matin, le sémillant Emmanuel Pierrat.
Ce matin, la ministre Emmanuelle Cosse, par ailleurs compagne de Denis Baupin, réagit en décrétant qu'il faut que justice soit faite. Vous ne me ferez pas croire que la propre femme de l'accusé ne commence pas par dire qu'il ne faut pas crier au loup si elle n'avait depuis des semaines, les pièces du dossier.
Cela ne condamne pas définitivement Baupin, mais on voit bien que suite au DSK gate où on avait reproché à tout le landerneau de ne pas avoir dénoncé assez vite, le mundillo voulait pouvoir tomber à bras raccourcis sur un homme qui ne sera pas jugé avant un certain temps, car le harcèlement contrairement au viol, n'implique pas de comparution immédiate. Surtout, à une époque qui réifie la transparence, cette affaire consacre au contraire des arrangements de couloirs digne de "House of cards" ou "Baron Noir" ; pas sûr que cela nous réconcilie beaucoup avec la chose publique...
08:21 | Lien permanent | Commentaires (43)
07/05/2016
Quels cancans quand Khan devient maire...
Ca n'était pourtant pas compliqué, il suffisait de se poser une seconde et de se poser la question : "à qui profite le crime ?". Adapté à l'élection majeure de la semaine, cela revient à se demander "qui a intérêt à présenter Khan comme un musulman ?". La réponse n'est, hélas, guère complexe : il s'agit des amis de Zac Goldsmith, fils de milliardaire (une religion apparemment beaucoup moins problématique pour les médias qui ne le présente pas systématiquement ainsi...) qui, exaspérés de voir l'avance du travailliste dans les médias ont tenté d'agiter grossièrement ce spectre là.
Une manoeuvre grossière et grotesque. Croyant, Khan fait partie de la frange progressiste des musulmans qui ont voté le mariage gay, ce qui lui valut d'ailleurs des critiques extrêmement virulentes de la part de religieux. Le présenter comme "musulman" en voulant jouer sur le communautarisme est une double erreur : tactique, comme les résultats l'ont prouvé, mais aussi factuel, puisque le nouveau maire ne dispose évidemment pas de l'attachement pavlovien et inconditionnel de la communauté musulmane de Londres.
Pour quiquonque est un minimum de gauche, le parcours de Khan présentait une pléiade d'autres aspects à mettre en avant. L'extraction populaire et la nombreuse fratrie, la méritocratie, le travail extrêmement dur, les bienfaits économique de l'immigration ou encore l'ascension rapide du jeune homme qui promet de s'attaquer plus durement que Boris Johnson aux inégalités galopantes de la ville... C'est d'ailleurs là la limite du storytelling autour du nouveau héros, ses supers pouvoirs sont bien plus limités que ceux d'Anne Hidalgo et s'il peut beaucoup pour le maintien de l'ordre, la propreté et les transports (hors de prix, là bas) il ne pourra guère changer la donne d'un immobilier complètement fou.
Il y avait donc de nombreux thèmes à choisir et ils choisirent "musulman". Le problème est le "ils" qui va des fous de BFM TV à l'Express et au Figaro, mais aussi au Monde et d'autres titres qui n'ont réagi que sous le poids de médias sociaux ulcérés par l'essentialisation de Khan. Au fond, la ligne identitaire convient à tout le monde en France, de Marine le Pen à Manuel Valls, lequel a évidemment félicité le maire : même camp que lui et le genre de musulman qu'il veut mettre en avant dans sa France triomphante. En cantonnant les responsables politiques à leur identité, on commet la même erreur qu'avec la lecture politique globale, on en oublie la question sociale. Cette fois ci, entre le prolo quasi Dickensien et le nabab réactionnaire à souhait, il s'agissait d'un éléphant dans un couloir de chiottes. Et nous avons réussi à tirer à côté. Va falloir progresser un peu pour l'an prochain...
14:12 | Lien permanent | Commentaires (23)