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29/06/2016

Sans déconner, s'il vous plaît

image.jpgApprenant lors d'une allocution télévisée que Frédéric Mitterrand était ministre de la Culture, l'immense Jean-Pierre Marielle s'exclamait "sans déconner". François Morel en tirait une chronique géniale, expliquant que cette interjection n'avait rien de méchante, de comminatoire ou d'envieux. Non, il s'étonnât simplement du côté casting des nominations politiques, ainsi que de la volonté manifeste d'avoir des "prises de guerre" de contenter certaines chapelles (ici, les anciens mitterrandistes ?) en affichant pléthore de têtes pour si peu d'effets. 

Deux maux complètement déconnants et très complémentaires : le casting (pêché originel) qui débouche sur des créations de comités théodules, d'agences, de magistères et autres prébendes. Si je ne suis pas un farouche défenseur des coupes dans les finances publiques, là, il y a beaucoup à faire... 

Lundi, invité à une grande sauterie de l'ambassade américaine, je discutais avec deux jeunes gens à la mine et l'allure sérieuse. Je les avais vu dans une vie antérieure, mais sans me souvenir diable où. Ils m'expliquaient qu'ils changeaient de "cab", continuaient du "cab" et ainsi de suite avant d'être devenus, tous deux "dir cabs de la ministre". Mais je ne comprenais pas de qui il s'agissait, ni même quelles étaient les compétences dudit ministère. J'échangeais succinctement quelques mots avec une femme sympathique et pleine de bonne volonté sur le besoin de "refonder le pacte social" pour "améliorer le vivre ensemble". Lorsqu'elle s'éloignât, je compris que c'était elle, la ministre. Une secrétaire d'Etat, pour être plus juste. Les bras m'en tombaient. Moi qui regarde toutes les interviews politiques, tous les jours, qui en bouffent à l'envi, je n'avais pas reconnu une membre du gouvernement, oublié qu'elle existât et oubliais que son portefeuille avait été crée...

Entendons-nous bien, ça ne sont pas ses mérites ou compétences personnelles qui sont en cause. Jean-Marie le Guen et Jean-Vincent Placé sont bien ministres, voilà bien la preuve qu'on peut arriver à ces fonctions sans aucune conviction, peu de compétences et une intelligence discrète pour peu qu'on soit prêt à faire un sale boulot. Non, ma lassitude provient de ce gouvernement à 40 dont une moitié est inutile, se marche sur les plates-bandes, doublonnent. Que d'argent, de temps, de moyens perdus : combien de réunions inutiles, de postes fantoches, de mobilisation des acteurs de la société civile qui répondent au garde à vous à toutes les sollicitations ministérielles (sous peine de sanctions à venir...) ? Nul ne peut le chiffrer, mais assurément beaucoup. Le début de la lâcheté en politique sur les grands enjeux, à commencer par les enjeux écologiques qui surplombent toutes nos décisions, commence là : comment penser qu'on saura trancher en faveur de la planète si on n'est pas capables de fâcher trois copains ? Sans déconner. Vraiment. Nous n'avons plus le temps... 

25/06/2016

Zygmunt Bauman pour tous

Zygmunt-Bauman-006.jpgAu lendemain du résultat du Brexit, la maxime de Spinoza est plus que jamais nécessaire "ne pas rire, ne pas pleurer, comprendre". En l'espèce, ça n'est guère délicat : la résurgence d'un vote de classe et un vote de génération. 70% des séniors votent contre. Ils veulent revenir à avant. 80% des ouvriers votent contre. Ils veulent revenir à avant. Avant quoi ? A Margaret Thatcher ? Posez pas de questions, faites pas semblant de pas comprendre. A avant, quand c'était mieux. Si vous feignez pas de pas comprendre, c'est uniquement parce que vous faites partie des 80% de CSP++ qui ont pu se permettre de voter "Remain" car ça vous va bien l'Europe. 

Dire "c'est un vote de classes" est inéluctable, mais les nouvelles élites refusent de l'admettre car le peuple a voté Farage. Ca n'est pas étonnant, il vote Orban, Fico, Marine le Pen... Quel con, ce peuple. D'ailleurs, c'est ce que disait Brecht, "quand le résultat des élections nous déplaît, changeons le peuple". Beau programme, hein ? Allez, admettons que c'est un peu compliqué à mettre en place... 

Admettons que les choses ont un poil changé depuis que Brecht commentait l'actu. En revanche, un philosophe peut nous aider à éclairer l'actualité d'un oeil nouveau, Zygmunt Bauman. Né en 1925, élevé entre la Pologne et l'Angleterre, cet immense penseur a développé un concept parfaitement adapté à la crise actuelle : la modernité liquide. Notre époque se caractérise par une disparition des frontières et des repères : physiques, mais aussi symboliques, avec les contrats moins fermes et la plus grande volatilité des carrières. Perte de repères religieux avec un effondrement de la pratique globale (même si quelques énervés sont beaucoup plus visibles...). Perte de repères sentimentaux avec l'explosion des divorces, des couples adultères et interdites. Explosions géographiques avec des entreprises qui se délocalisent, des carrières qui se déplacent...

Tous ces changements sont extrêmement anxiogènes pour les classes populaires, qui subissent ces changements sans en voir les profits. Et pour cause, ils sont souvent perdants. Quasi tout le temps. Perte de jobs, angoisse et pression permanente. A contrario, quelques yuppies profitent d'opportunités nouvelles. Erasmus, expats, des potes dans tous les ports et aéroports, des formations, opportunités, des canapés d'accueil. La mondialisation triomphante. L'auteur de ces lignes s'inclut dans le lot de ceux qui profitent joyeusement de tous ces changements. Il est temps de réaliser que pour les quelques gagnants que nous sommes, cette globalisation à marche forcée a fait de nombreux perdants, probablement 90% des habitants d'Europe. Relisons Bauman, cessons de nier la réalité en insultant un peuple "qui n'aurait rien compris" et réfléchissons aux moyens d'infléchir la politique européenne vers une pente progressiste et socialement vertueuse. Vaste chantier...  

20/06/2016

Une gauche des Valeurs ? Autant se déclarer en faillite

nos-valeurs.jpgSamedi soir, dans une ambiance moite et teintée de champagne, j'ai connu une prise de bec politique comme rarement. Les noms d'oiseaux ont fusé avec une célérité impressionnante. "Fasciste", "nazi", "islamo-complaisant". On m'a expliqué que j'étais complice d'un embrigadement, d'une lobotomie généralisée face à l'islam : car l'islam c'est Tariq Ramadan, l'islam c'est interdire l'homosexualité et serait composé à 99% d'antisémites.

Je ne dis pas que le prédicateur n'a pas trop de soutiens, que cette religion accueille à bras ouverts les différences d'orientation sexuelle et qu'ils ont une passion pour Nethanyaou, mais tout de même, ce discours lepéniste m'a profondément choqué. Choqué parce que ceux qui tenaient ces propos de haine, de guerre civile, étaient de gauche. Encartés, engagés, avec un long passé de militants et de responsables et une actualité floue sur le bon poulain à soutenir. Le tout, avec l'air de ne pas y penser, mais en faisant un name droping longue comme le bras en guise de justification. La complicité en bandoulière, comme seul argument d'autorité. "Mais si Vincent, je suis de gauche, de la vraie gauche, regardes qui sont mes amis". Tu parles d'un programme... C'est justement sur les questions programmatiques que nous nous prîmes vraiment le bec et que la conversation s'est achevée. Alors que je tentais désespérément de ramener les échanges sur des questions programmatiques, pour expliquer que les désillusions (je pensais "trahisons", mais je voulais qu'on avance) sur l'éducation, la santé, l'économie, expliquaient les divergences entre les deux camps et qu'il fallait se poser il m'a répondu ceci. "Je pense l'inverse : on arriverait jamais à se mettre d'accord sur le programme. Alors, il faut qu'on retrouve un idéal commun de valeurs. La République. Jaurès. La gauche et la laïcité, quoi. Une gauche des valeurs". 

A ce moment là, comme rarement, je me suis dit que le Front National a vraiment gagné. Ca n'est pas irréversible, je garde espoir, mais pour aujourd'hui, ils ont gagné la bataille des idées. Des intellectuels de gauche qui tournent le dos au débat d'idées pour se réfugier derrière les "valeurs". Une plaisanterie pleine de fond circulait dans les cercles désabusés de ceux qui ont essayé de changer les entreprises de l'intérieur "moins une entreprise a de valeurs, plus elle les affiche aux murs". Il en va de même en politique : avoir comme seul sauf-conduit, comme seul "actif" des valeurs à afficher, autant dire que l'OPA n'est pas loin. Et le principe de ce genre de douloureuse opération, c'est que l'on en ignore toujours la date, mais qu'elle est toujours plus précoce que prévue...