Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/07/2020

A quoi ressemblera mon quartier en 2021?

Je vis dans un quartier, non pas bobo comme on dit trop souvent à tort, mais ultra gentrifié. Encore assez populaire et mélangé au début des années 2000, le 10ème arrondissement a vu le prix de son immobilier tripler en moins de vingt ans. Tripler. Logiquement, nombre de populations historiques partirent ou furent expulsés et les nouveaux arrivants avaient tous un profil sociologique concordant, CSP+ ou ++. Je ne crois pas l'avoir vu dans l'avant-projet de loi de Jean Castex sur le séparatisme territorial, mais c'est une forme d'apartheid social invisible, qui ne dit pas son nom et ne s'assume pas. Du tout.

Il y a beaucoup de misère, dans le 10è. Et bien plus qu'hier. Arrivé il y a une dizaine d'années dans le quartier (je fais donc partie de l'équation du problème...), je voyais quelques pauvres hères devant les boulangeries, espérant quelques pièces en plus d'un sandwich, offert par des commerçants compréhensifs. Ces personnes se sont multipliées et prises individuellement, leur état se dégrade. Avec le confinement où, pendant trois mois, elles n'eurent personne à qui demander assistance et les rares passants n'avaient pas de liquide, elles se sont dégradées à vue d'oeil pour atteindre un état franchement inquiétant. Ce disant, je ne blâme ni la mairie d'arrondissement, ni l'hôtel de ville de Paris. La misère endémique se rapproche des gares, c'est malheureusement ainsi. Dans une démocratie digne de ce nom, on permettrait aux édiles de réquisitionner à tour de bras les monceaux de locaux vides pour loger dignement les gens, mais ça reste une chimère et un impensé français.

Dans le très instructif "la cause des pauvres en France", le sociologue Frédéric Viguier rappelle que les membres du CNR discutaient d'ajouter le logement dans la liste des risques à assurer par la sécurité sociale.  Nous ne le fîmes pas, nous avons depuis une base endémique en million de mal logés alors que la proportion de logements vides est bien plus grande. Et on nous dit qu'il faut construire quand tout est là, à portée de réquisition et de rénovation, c'est à dire d'économie d'énergie et de béton gigantesques, et de création d'emplois à la clé. Passons... 

Parallèlement à la flambée des logements, les loyers commerciaux ont brûlé. Les fourreurs, tanneurs, grossistes et autres échoppes ont fermé pour être remplacées par des start-up triomphantes, des pizzerias sans gluten, des kebab sans gras, des burgers sans excès, des cevicheria et bars à tapas et cocktails. Les riverains ne suffisent évidemment pas à faire vivre tous ces commerces de bouche, mais une population de bureau aisée et des touristes à foison assuraient aux tables du quartier, un trop plein étonnant. Il y avait, bien sûr, un peu de casse. 4 spécialistes de la burrata à 30 mètres d'écart, c'est au moins deux de trop. Mais comme dans un rêve darwinien, tout se réaménageait sans bruit. Puis vint le confinement, il y a 4 mois seulement, il y a 4 mois déjà.

Hier, en rentrant dans ma rue, j'ai vu que l'hôtel avait fermé définitivement. C'était un hôtel ni miteux ni luxueux, un 3 étoiles fonctionnel, assez grand et assez connu pour que les taxis me ramenant à la maison sachent identifier ma rue étroite et minuscule. C'était la fierté de la rue, il fonctionnait sans publicité et avait survécu sans mal à la concurrence d'AirbnB, et pour cause, le nombre de touristes ayant explosé à Paris ces dernières années, il récupérait sa part. Mais là, plus rien. Et plus rien pour longtemps. Pour la fin de l'année, c'est certain, mais sans doute pour 2021, aussi voire plus les cercles vicieux s'alimentant les uns les autres. Les emplois détruits dans les compagnies aériennes vont entraîner des fermetures de couloirs aériens. Le prix du pétrole finira par remonter. Entre le coût des billets, les crises économiques amoindrissant les bataillons de touristes potentiels et bien sûr la dimension écologique avec un nombre croissant de personnes ne désirant plus prendre l'avion pour voyager.

Sans ces touristes en masse, avec un nombre bien inférieur de travailleurs présents en permanence (le télétravail ne va pas se généraliser, mais entre les fermetures de bureaux et les reprises durablement avec des travailleurs à 20 ou 40% de télétravail, la congestion ne sera pas de mise), tous les ramens bios et les pâtisseries à l'ancienne ne pourront survivre. Nous ne sommes évidemment qu'aux prémices de la crise économique, malgré le rebond, le trou sera trop important à combler. Il faudra attendre 2021 pour voir le nouveau visage des villes, sans doute balafré de vide et de panneaux "à vendre, à louer", dans un premier temps. 

Dans "Reprendre place" le philosophe Mickaël Labbé parle de ce qu'il nomme explique comment l'architecture des villes a exclu peu à peu SDF, migrants, bande de jeunes et même famille, pour n'être plus qu'une ville de flux, avec des flots de touristes ou de consommateurs, s'arrêtant là où il faut pour acheter, acheter, acheter. Cela ne peut pas être un projet de ville, d'habiter. Ce Covid est donc peut être l'occasion d'avoir de l'authentique destruction créatrice. Quand les boutiques de luxe et les artifices de la modernité culinaire dispraîtront, d'autres lieux prendront vie comme de petits champignons, de petits matsutakes comme dans le merveilleux livre d'Anna Tsing "le champignon de la fin du monde". Vivement la récolte des matsutakes ! 

 

 

24/07/2020

Christophe Girard, une morale française

Christophe Girard a démissionné de son poste d'adjoint à la mairie de Paris pour avoir soutenu Matzneff et dénoncé un "mc carthysme" de la part des militantes féministes et écologistes. Cette décision m'évoque la chute d'Al Capone pour fraude fiscale et pas les monceaux de cadavres dont il avait commandité la mort.

Girard démissionne en 2020, à 65 ans, quand il ne pèse plus rien, pour des mots. Il ne démissionne pas parce qu'il encourt un procès pour pédocriminalité, mais pour en soutenir un. Au moment de la sortir de la livre du Vanessa Springora, "le consentement", les vidéos INA sur la réception de l'oeuvre de Matzneff rappelle le nombre incommensurables de Christophe Girard non ennuyés. De FOG à Beigbeder et Sollers, tous ces petits marquis poudrés de nez qui lui ont donné le Renaudot, l'ont soutenu, rigolé, tapé dans son dos, s'assuré qu'il ne manque de rien ; tous ces joyeux compagnons d'un petit salopard n'ont rendu aucun mandat, aucun rond de serviette, aucun avantage, aucun hochet littéraire. Christophe Girard, lui, lâche son mandat.

Entendons nous bien, que les soutiens des pédocriminels soient emmerdés, ça me ravit. Mais Girard aurait dû chuter depuis 15 ans pour affairisme, collusion d'intérêts et vol de fonds publics. Il s'en ira immaculé de ce point de vue. En 2006, il y a 14 ans, la mairie de Paris signait une convention de mécénat avec Bernard Arnault pour sa fondation Vuitton pour l'art contemporain. Montant, 100 millions d'euros. La convention prévoit donc que sur ces 100 millions, LVMH peut en défiscaliser 60% au titre de la loi Aillagon. Aucun problème, légal. Problème : la fondation en coûtera finalement... 790.... Ceux qui donnent des leçons de compta payent 8 fois le prix initial d'un projet. Frank Gehry les aura mal renseigné... Pas crédible. Embrouille, la convention sera, contre toute morale, contre toute logique, reconduite. LVMH aura donc défiscalisé 60%, non pas de 100 millions, mais de 790....500 millions de fonds publics détournés, sous notre nez. 500 millions qui manquent aux hôpitaux et aux écoles, qui vont dans la poche de l'homme qui vaut 100 milliards. Écoeurant. Ignoble. Les plaintes des riverains et des assos anti corruptions ont été, contre toute logique, mais de manière assez prévisible en matière de pot de terre contre pot de fer, classée sans suite... 

Et sur ce hold-up à un demi-milliard de fonds publics, Christophe Girard n'est pas un spectateur neutre. Déjà premier adjoint à la culture de Delanoë, il signait donc la convention qui était directement dans son champ d'action avec LVMH qui était... Son employeur depuis 1999. Girard a bossé comme directeur de stratégie mode (pas une petite main) de LVMH de 1999 à 2016. Le conflit d'intérêt, le traffic d'influence est gros comme l'éléphant dans la pièce et nous passons les menottes à la petite souris. Une morale française... 

22/07/2020

Doriot, Déat, Joffrin et nous

L'histoire hoquète salement. Dans "Récidive", le philosophe Michael Foessel soulignait les différences et convergences entre 1938 et nos jours. Le trop grand aveuglement de la presse aux luttes sociales réprimées, une déconnexion d'élites, un attentisme et aussi, une panique morale poussant certains hiérarques de la gauche dans la gueule de Vichy. Doriot, exclu du PCF, fondait son PPF et collaborait activement, Déat l'imitait en oubliant la SFIO pour embrasser une carrière de premier plan dans le gouvernement de Vichy. 

Je ne dis pas cela pour enfiler les points Godwin, je me réfugie derrière Foessel pour rappeler que les périodes de crise et de troubles affolent les consciences. Manuel Valls imita Déat en peu de temps. De l'aile archi droite du PS pendant les primaires et à l'intérieur, il perdit toute forme de rationalité après les attentats et vira dans des délires identitaires paranoïaques qu'on ne retrouve qu'au RN, et pas la frange modérée... On peut (on doit) moquer Valls, mais il fut premier ministre un demi quinquennat, il y a encore nombre de "vallsiste" et nombre de responsables de gauche trop paresseux ou trop ignorants de la cause sociale, compte se refaire sur les questions identitaires grimées en cause républicaine.

Michel Onfray imite Doriot avec une célérité étonnante. Dire que cet homme soutenait Besancenot, disait qu'il fallait une internationale anticapitaliste, antimondialiste, rien n'effarouchait ce libertaire anarchiste... Et puis la LCR devenue NPA présenta une femme voilée aux législatives et Onfray éructa. Pauvre petit chaton fragile. L'idéal de la défense de toutes et tous les dominé.e.s s'arrête là où commence le voile. Avec son Front Populaire, il refait la même en recyclant des fachos (De Villiers, Bock-Côté, Eugénie Bastié, Brighelli, Jamet) et des souverainistes de gauche acceptant de cohabiter avec l'extrême droite (Chevènement, Sapir, Kuzmanovic...). Tristesse...

L'histoire hoquète salement. En septembre, une excellente enquête (aux éditions Arkhé) sur les nouvelles communautés d'extrême droite montre comment celles ci débauchent de plus en plus de communistes, de mélenchonistes, de jeunes perdus et qui, dans le vide idéologique, vont vers la réponse racialiste et identitaire, mâtinée de lecture sociale, plutôt qu'une lecture sociale et écologique englobant toutes les fragilités.

Et s'ils le font, c'est que la gauche a déçu, a trahi tout le monde : petits blancs ouvriers qu'elle pensait définitivement acquis aux RN, et habitants non blancs des quartiers populaires dont elle pensait qu'ils ne retourneraient jamais aux urnes. C'était exactement ce que dit la note de Terra Nova en 2011 sur l'abandon des quartiers populaires pour se concentrer sur les CSP+ et les profs...Joffrin en fut un excellent pédagogue roué, c'est à dire en faisant mine de s'offusquer que ça n'était pas acceptable, car la gauche de Jaurès à Mitterrand, entraîne tout le monde dans sa roue, avant de soutenir François Hollande qui a profité de l'anti sarkozysme viscéral dans les quartiers populaires pour s'afficher en campagne avec eux, avant de les oublier sitôt arrivé à l'Elysée. Ca n'empêche pas Joffrin de continuer à mettre des coups de cornes dans une porte ouverte, tel un bouquetin aveugle...

Entre les ex de gauche qui s'acoquinent à l'extrême-droite par calcul précipité et les vieilles lunes incapables de la moindre remise en question sur leur désastre, nous voilà avec de la boue des deux côtés du chemin... Raison de plus pour avancer soudés, serrés, sans trop s'égarer ou se disperser...