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15/02/2021

La vie c'est pas stop and go

Nombre de titres parlent de "la voie étroite" ou du "trou de souris" pour éviter un reconfinement et prolongent par "tout faire pour éviter le stop and go".  Dans "Je parle comme je suis", la linguiste Julie Neveux pointe le fort accroissement du vocabulaire machinique et technique pour les humains. Nous sommes "en mode", avons "les batteries à plat", nous "buggons" et nous nous "connectons".... Quoi de plus logique, donc d'affronter la crise en stop and go, ou en ON/OFF. 

Mais la vie, c'est pas ON/OFF. Les robots des usines peuvent se rallumer, mais le cycle de productions d'une usine ne s'arrête pas d'un coup comme au dernier morceau du DJ, en fin de soirée. Et on ne relance pas une ligne de production en un claquement de doigts. On peut baisser et relever le rideau d'un magasin en quelques instants, mais pour les personnes à l'intérieur, on ne peut pas changer d'état d'esprit aussi rapidement que les circulaires ministériels vous l'indiquent.

"Il faut s'adapter". Le mantra des néolibéraux qui sert de titre au livre de Barbara Stiegler bat des records par temps de Covid. Songez au nombre de protocoles différents par lesquels nous sommes passés en moins d'un an : restez chez vous, sortez, consommez en vacances, c'est important ! Pas trop à l'intérieur, mais un peu quand même pour soutenir les restaurateurs ; tout ouvert, les gros fermés les petits ouverts, ceux-ci sont essentiels, ceux-là superfétatoires... Venez au bureau, restez à distance... Quelle personne, même motivée, même citoyenne, même désireuse d'aider, peut suivre toute ces injonctions ? Il y en a, bien sûr, mais je comprends aussi toutes celles qui ne veulent plus bouger, qui refusent de switcher et restent ON ou OFF.

Ce matin, nous avions une présentation d'étude de cas pour mes étudiant.es dans un grand local politique avec candidat et équipe de campagne. J'étais sûr de faire le plein. Seule une moitié est venue, dont une étudiante nantaise et un niçois. Ils tenaient à être là, à se voir, à échanger en vrai. D'autres, francilien.nes se sont connecté.es sur Teams. Certain.es peut être étaient loin, d'autres avaient la flemme, d'autres ne veulent pas prendre les transports à heure de pointe. J'étais déçu, mais je ne peux leur en vouloir. Ielles sont victimes de ce discours de courant alternatif qui laisse entendre que nous pourrions continuer ce jeu de cache cache qui n'amuse personne pendant des mois. Les RH sont confrontés aux même problèmes dans les deux sens. Je connais des start uppers qui ont dû dire à leurs équipes de ne pas venir tous en même temps au bureau car l'engorgement à déjeuner dans une petite salle était peu indiquée. Je connais aussi des managers dans de grosses structures qui passent beaucoup de temps à essayer de faire revenir des récalcitrant.es au bureau, mais qui font face à des refus, voire des menaces d'arrêt maladies si on les contraint à quitter le télétravail. 

On ne peut pas vivre avec l'angoisse que la sirène retentisse et change les règles du jeu demain, que l'on doive écourter nos vacances, notre repos, que sais-je, car il faut à nouveau se calfeutrer. Le confinement ça n'est pas de la médecine, ça a été inventé lors des grandes pestes quand l'acmé du geste médical était la saignée. Certains médecins disent d'ailleurs que c'est "l'arme nucléaire" à ne déclencher que lorsque tout est perdu. Entre les personnes déjà malades, les masques et autres protections et les vaccins, il serait temps de cesser même d'évoquer cette menace nucléaire pour ne pas parler que et uniquement que d'ouverture. Ça urge. 

 

 

13/02/2021

La classe, la race ou les deux ?

Depuis la parution du livre de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, la question posée est donc de savoir si la lutte des classes a été supplantée par une lutte des races, si les questions sociales ont été dépassées par des questions identitaires et si c'est grave, docteur. Dans le jeu télé Burger Quizz, Alain Chabat, laissait la possibilité de répondre "les deux", lui. Ainsi, des célèbres "untel est-il juif, arabe, ou les deux", ou encore "avocat le fruit, avocat le métier, ou les deux". En l'espèce, je répondrais plus que jamais : les deux. Classe et race. 

Plus qu'un long détour théorique, un exemple concret et récent. Puisque la question est "quoi de neuf ?", je pense que les travers de la "nouvelle économie" montre qu'on fait face aux deux problèmes conjointement. En termes de classes, les vainqueurs du numérique sont les enfants de la grande bourgeoisie, qui peuvent se permettre, grâce aux cautions parentales, de jouer les codes des start up avec quelques années sous-payées, au SMIC ou moins, avant de prendre très très gros. Ils ont aussi l'accès ultra privilégié aux levées de fonds. On peut toujours mettre en avant les exemples différents, "sortis de rien", les faits et les chiffres sont têtus : la tech est un jeu d'héritiers.

Si l'on part en termes d'identité, c'est pire encore. La tech est un truc de jeunes mâles blancs financés par des vieux mâles blancs. Le sous financement des femmes dans la tech est ultra documenté (lire à ce propos le manifeste SISTA de Céline Lazorthes et Tatiana Jama), et il suffit de regarder des photos de la famille de la French Tech pour voir que les non blancs sont peu présents.... Encore que. Si on prend les chiffres globaux des emplois de la tech, les femmes sont toujours très peu présentes, mais les non blancs sont là et même peut-être majoritaires depuis 2020 et l'explosion inédite du e-commerce.

Dans les entrepôts et pour livrer les produits Amazon, pour accepter les conditions d'emplois léonines d'Uber Eats ou de Deliveroo, il faut être désespéré, et c'est bien plus souvent le cas pour les derniers arrivés dans un pays, y compris quand ils ne sont pas en règle avec l'administration, les plate-formes remportant la palme des employeurs irresponsables, pas étonnant qu'elles embauchent plus de sans papiers que les autres entreprises. Pour elles le client est roi et le travailleur, esclave. Et la lutte contre l'esclavage est une lutte de classe, qui englobe les problèmes identitaires pour tout remettre à plat.

La justice environnementale aussi englobe les deux dimensions. La notion de "racisme environnemental" le dit. A la base, problème de classe, les sites les plus polluants, les plus dangereux, les plus sales, sont toujours implantés dans les quartiers le plus pauvres et parmi les plus pauvres, on retrouve un grand nombre de non blancs. Mais aussi des "petits blancs" pauvres, trop souvent ignorés du discours dominant. Quand il y eut l'incendie à l'usine Lubrizol, les principales personnes exposées étaient dans les logements sociaux limitrophes, et les produits toxiques touchaient tous les pauvres, indifféremment de leur couleur. Même chose pour les endroits où l'on enfouit des déchets nucléaires, où l'on installe d'autres sites Seveso, ou des passoires thermiques, ce sont rarement des quartiers opulents et souvent les non blancs y sont nombreux. 

C'est cela que ne veulent pas voir les tenants de la seule lutte des classes. Ils disent "il y a plus d'inégalités que de discriminations", donc engageons nous pour réduire les inégalités et tout s'arrêtera. C'est ne rien connaître au sujet. Les discriminations très directes sont minoritaires. Lors d'un entretien d'embauche, on vous dit rarement (ça arrive, mais c'est epsilonesque) : pas de boulot pour toi meuf/sale noir / sale PD.... La plupart du temps, les inégalités sont si fortes, si puissantes, qu'elles produisent de la discrimination systémique. Quand vous étudiez dans un lycée où jamais au grand jamais, on n'envoie les élèves en classes préparatoires, où les profs sont plus souvent absent.es et non remplacé.es car trop épuisé.es, vous avez de fait un éventail de destin restreint par votre seule naissance. Quand des filières sont exclusivement masculines et auto-cooptantes, vous ne postulez même pas, la discrimination par auto-censure existe aussi et réduire les inégalités ne peut suffire. Il faut mener les deux de front. 

Enfin, la majorité de celles et ceux qui mènent des combats de reconnaissance de leur identité ont pour enjeu d'arriver à l'égalité entre toutes et tous. Lassé.es d'attendre la survenue du Grand Soir, ielles l'espèrent toujours, mais veulent aussi des petits matins, ielles veulent un tiens et deux nous l'aurons. On ne peut que les comprendre. 

11/02/2021

Les bousiers de l'info

Le bousier comporte nombre de déclinaisons, près de 5000 scarabées différents physiquement, mais qui se retrouvent dans une même famille en vertu de leur caractéristique principale : pousser une boule de merde pour en faire de l'engrais. En regardant le débat entre Gérald Darmanin et Marine le Pen, débat animé par Léa Salamé et Thomas Sotto, je ne pouvais penser à une comparaison plus adéquate que les bousiers de l'info. 

Après deux heures de débat, un constat s'impose : elles et ils sont tous d'accord. Politiques et commentateurs. Dès lors, la question de la responsabilité de la dramatique dégradation du débat public m'échappe. Comme pour la poule et l'oeuf, difficile de nommer un primo délinquant. Deux heures à parler voile, immigration, insécurité ; "un parti pris assumé" disait Léa Salamé dans un aveu fou d'immondice.

Le pays vit sa pire crise sociale depuis 1945. 2 millions de nouveaux pauvres, un million de chômeurs en plus, le nombre de personnes qui ont faim ayant doublé, des urgences psychologiques qui débordent, comme les trottoirs à cause des expulsé.es... Il y avait tant et tant à dire sur la déréliction de notre pays ce soir. Or, 100% du temps d'antenne donna l'impression que ce qui menaçait notre pays c'était le voile, les "réseaux sociaux" et Trappes. 100%

Si nous étions dans un débat public sérieux, prenant les ordres de grandeur financiers en compte, tout le monde ne parlerait que des Open Lux révélés par le Monde cette semaine. 15 000 français présents dans un paradis fiscal et non des moindres : des sportifs de renom, la première fortune de France (Bernard Arnault est retrouvé dans 31 holdings), son ennemi juré Pinault et son empire Kering y sont plus que présents et l'ineffable, Xavier Niel. Des milliards qui échappent au fisc en se réfugiant à quelques encablures de nos propres frontières…

Les milliards qui manquent à nos hôpitaux pour avoir des lits, du personnel décemment payé, du matériel, ils sont là. Il y en a tant qu’on pourrait même sauver l’École, qui est bien plus menacée par le ras le bol des profs dont les conditions de travail et la rémunération ne cessent de dégringoler (en même temps que notre rang dans le classement PISA) que par le supposé séparatisme. Nous avons les moyens de nos ambitions publiques et ils sont sous notre nez, mais nous parlons du voile islamique ou des biceps de notre ministre de la santé. Nous subissons les bousiers de l'info, pas étonnant que cela se retrouve dans les urnes.