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23/05/2016

Inconstance critique

539.jpgDu temps où Libération était encore un journal et pas le torchon vide de tout contenus qu'il est devenu, je me souviens de tribunes enflammées de Robert Maggiori pour défendre l'esprit critique. Pas en général, pas dans l'absolu, pas comme supérieur au fait d'encenser, d'aimer, d'admirer, mais comme symbole d'une démocratie vaillante. 

Les attentats de l'an passé avaient relancé le débat millénaire sur la liberté d'expression, mais aussi l'esprit critique. A-t-on le droit de questionner les groupes de gens persuadés que le monde est le résultat d'une construction divine et que des règles édictées il y a quelques millénaires prévalent toujours aujourd'hui. C'est plutôt sain, pour une démocratie, de pouvoir critiquer cela. Ca nous permet de mettre les témoins de Jéhovah dans un bocal et puis ça égaye les dîners, quoi. On discute. Beaucoup...  

Ce qui me surprend aujourd'hui n'est pas tant l'absence d'esprit critique, mais sa très inégale répartition. En matière politique, la critique n'est pas une possibilité mais un quasi devoir. La louange, ou même un simple satisfecit est immédiatement vécu comme une révérence surannée, quasi monarchique. Au fameux triptyque journalistique "on lèche, on lâche, on lynche", a succédé un diptyque, orphelin du premier terme... Même la montgolfière Macron est déjà l'objet de tirs nourris des snipers avant même d'avoir décollé... Les politiques sont notre défouloir commun, notre pinata que l'on fracasse tous ensemble pour récupérer les bonbons cachés à l'intérieur sans jamais nous interroger sur les risques qu'il y a à fracasser notre bien commun. Un jour, il n'y aura plus de bonbons, ou alors, empoisonnés...

Pour le reste, en revanche, la critique est suspecte. Pourquoi ? Parce que les autres, contrairement à ces feignasses de politiques, ils "créent". C'est d'ailleurs le point de départ de l'ineffable Alexandre Jardin avec son collectif "les zèbres". La revanche des "faiseux" sur les "diseux". Ha ? Mais il fait quoi Alexandre Jardin à part écrire des romans au demeurant fort discutables ?

Et les entrepreneurs et les patrons qui tombent, qui enfoncent, qui démolissent les politiques ; on peut les critiquer, eux ? Surtout pas ! Les grands patrons, à la rigueur, car ils ont de trop gros salaires, mais surtout pas les entrepreneurs "ils créent", ils "prennent des risques". J'ai toujours pas bien compris les risques par Jean-Baptiste Rudelle, fondateur de Critéo, entreprise qui vise à aller chercher des pauvres hères perdus sur un site pour les harponner et les ramener vers un site marchand. Utilité sociale digne d'une verrue mais encensé à longueur de colonnes. Bon... 

Et puis les artistes. Pourquoi diable critiquer les artistes ? Ils font, ils osent, ils nous dépaysent. Ha ? Fort bien, en ce cas louons saint Michel Houellebecq, réjouissions nous que des producteurs financent les Visiteurs 3, applaudissons les sorties de Benjamin Biolay. Surtout, ne pas réfléchir, c'est mauvais pour la santé. #Epoquedemerde. 

Rétablir de l'esprit critique sur tous les champs de la société, ne pas se laisser piéger par des mots clés ou des catégories comme le font les mais du collectif OuiShare qui n'encensent pas tout ce qui ressemble à du collaboratif... Comme le disait le président du groupe SOS, Jean-Marc Borello "il y a des entreprises de bonne volonté et des associations de malfaiteurs". Spanghero, qui mettait de la viande de cheval dans les lasagnes est une coopérative. Se réfugier derrière le statut est un leurre... Bref, dépassons tous ces raccourcis, par la critique, cela nous permettra de mieux nous retrouver. 

20/05/2016

Mettre en scène la violence pour la faire exister

Violence-dans-lhistoire-7.jpgJe sais par avance que cette note ne passera pas. Ne peut pas passer. Nous sommes collectivement conditionnés pour être hermétiques à cet argument : la France est moins violente que jamais. Laurent Obertone peut bien publier son inepte la France Orange Mécanique, pour parler de hordes de violeurs et d'assassins en tous genres, les faits sont têtus et le pays s'apaise. Ce qui l'attise, en revanche, c'est la force de l'image et sont incroyable puissance multiplicatrice. Et ils ont plus de poids que tous les ouvrages de sociologues un peu sérieux. Le poids plume des mots, le choc de plomb des photos et vidéos. 

Est-ce que j'encourage le crétin qui enlève son casque à un flic avant de frapper ? Quid de ceux qui font brûler une voiture de flics ? Questions rhétoriques... Evidemment que ces attitudes sont condamnables. Cette vidéo m'a mis mal à l'aise comme beaucoup de gens, mais pas pour les mêmes raisons que la majorité d'entre eux. Cette vidéo fut partagée rapidement par des milliers de personnes, regroupées dans un groupe sobrement intitulée "soutiens aux forces de l'ordre" qui rassemble 89 000 personnes... Et la vidéo de la voiture brûlée a atteint les 5 millions de vues. 

Regarder ce saccage d'une voiture, la partager, s'indigner, c'est accompagner l'idée selon laquelle nous vivons dans un pays violent, où des masses veulent abattre la République. Cette stupidité sans nom a été proféré par notre premier ministre, et joyeusement reprise par des sénateurs et députés zêlés... On parle de 4 casseurs. Tout cela me renvoi à la chemise du DRH d'Air France, nous avions réussi à dépasser le piège émotionnel en nous attardant sur la contre image produite, celle de l'hôtesse de l'air qui déclame sa douleur d'être licenciée devant des cadres supérieurs qui s'en battent la glotte... Il nous faudrait des contre images, sur les arrestations arbitraires, sur les tabassages en règle et autres joyeusetés. Malik Oussekine et Rémi Fraisse sont morts, tués par des flics. Là, beaucoup de mots, des attitudes condamnables et qui seront condamnés par de la prison ferme, mais ne nous égarons pas sur la plus grande forme de violence.... Les crétins d'hier vont faire de la taule ferme, pas d'échappatoire. Les assassins de Rémi Fraisse sont où, déjà ? Ha oui, sur le terrain, ils arrêtent les jeunes dangereux...

Globalement, collectivement, nous nous sommes mithridatisés contre toute forme de violence. Les gifles dans la rue, les fessées aux enfants et maintenant la cause animale, toute forme d'attitude non contemplative est condamnée... Pour autant, il s'agit d'un voeu pieu : la France est de plus en plus violente, socialement. Les gens dorment dans la rue, des millions de personnes ne peuvent plus remplir leur frigo, le chômage ne quitte pas ses sommets les agriculteurs se suicident à la chaîne et on voudrait nous faire croire que la violence est une voiture brûlée ? Ne pas pouvoir exprimer sa colère, sa révolte, en voilà des formes de violences... Opprimer et condamner certaines formes de violences hyper marginales et passer sous silence celles qui sont majoritaires produit des résultats inquiétants. Dans les années 60 et 70, les appels à la violence, au meurtre même, étaient légions, chez Merleau Ponty ou Sartre sans que l'opinion ne s'en émeuve outre mesure. Là, une photo de deux péronnelles avec un écrit sur le meurtre de patrons suscite une indignation nationale... Mais qu'ont-elles fait, au juste ? Elles sont juste un peu connes... Ca ne sont que des mots. Quand on condamne, opprime, réprime toute forme de violence, comme le fait la société américaine, il faut bien que le corps social exulte et quand il défouraille, ça n'est guère beau à voir. There will be blood, dit le film. On ne pourra pas dire que nous n'étions pas prévenus...  

 

 

 

 

 

18/05/2016

Police partout, social nulle part

6363597-9597585.jpgDepuis quelques jours, le nouveau clivage oppose le pays entre les tenants des forces de l'ordre et ceux des manifestants. Si vous aimez les premiers, vous traiterez les seconds de force du désordre... Et ainsi de suite, ad nauseam. Sommés de se positionner sur ce dualisme inepte, les responsables politiques prennent des positions caricaturales. Eric Ciotti remercie ceux qui font un métier noble, face à des hordes de dangereux casseurs. Les amis d'ELLV qui tentent d'oublier que Denis Baupin était des leurs hurlent sur des flics qui fracassent des manifestants pacifistes. Bravo le niveau...

Qui peut soutenir des flics qui tirent sur des manifestants à bout portant avec des flash ball au point qu'un innocent a perdu un oeil, d'autres sont blessés ? A contrario, qui peut encore arguer que les saccages en règle, les provocations et les coups avec envie de tuer (cet imbécile de lycéen qui a retiré le casque d'un CRS avant de cogner, lui restait-il du temps de cerveau disponible pour faire ça ?) ne sont pas défendables une seconde. Ca n'est pourtant pas compliqué. On nous impose un inepte état d'urgence où l'on déloge des manifestants politiques au titre de la dangerosité du rassemblement et on met tout en oeuvre pour que des centaines de milliers de supporters de football puissent se rassembler en juin prochain. Nous prendrait-on un brin pour des truffes ? 

Il faut relire la magistrale interview de Xavier Mathieu dans Reporterre (dispo ici) où il explique que la violence est présente partout dans l'air. Une violence sociale, une violence démocratiques sans précédent où tout concorde à fermer le débat public. Les zadistes sont en colère par déficit de démocratie, Nuit Debout se radicalise quand on ne veut pas les écouter... Contrairement aux agriculteurs ou aux bonnets rouges, ils intéressent moins électoralement le gouvernement qui ne souhaite pas accéder à leurs requêtes et préfère au contraire manipuler les flics pour que ça dérape. Evidemment que c'est sciemment que la situation dégénère. Les syndicats de flics, peut porter sur la sociale, reconnaissent que les instructions qui leur sont données avant manifs sont d'un flou troublant... 

Les éditorialistes qui se désintéressent de la question sociale omettent cette dimension essentielle dans ce conflit : les flics, c'est le Lumpen. Ce sont des prolos qui ne réussissaient pas à l'école et ont besoin d'un salaire. Et ils chargent et cognent sur d'autres jeunes désoeuvrés, sans but. On oppose des prolos malheureux pour satisfaire les calculs cyniques de politicailleurs manipulateurs qui jamais n'ont si bien collé à la définition de la guerre que donnait Paul Valéry : "La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas." #Onvautmieuxqueça.