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07/05/2016

Quels cancans quand Khan devient maire...

sadiq-khan-manifes_3591843b.jpgCa n'était pourtant pas compliqué, il suffisait de se poser une seconde et de se poser la question : "à qui profite le crime ?". Adapté à l'élection majeure de la semaine, cela revient à se demander "qui a intérêt à présenter Khan comme un musulman ?". La réponse n'est, hélas, guère complexe : il s'agit des amis de Zac Goldsmith, fils de milliardaire (une religion apparemment beaucoup moins problématique pour les médias qui ne le présente pas systématiquement ainsi...) qui, exaspérés de voir l'avance du travailliste dans les médias ont tenté d'agiter grossièrement ce spectre là.

Une manoeuvre grossière et grotesque. Croyant, Khan fait partie de la frange progressiste des musulmans qui ont voté le mariage gay, ce qui lui valut d'ailleurs des critiques extrêmement virulentes de la part de religieux. Le présenter comme "musulman" en voulant jouer sur le communautarisme est une double erreur : tactique, comme les résultats l'ont prouvé, mais aussi factuel, puisque le nouveau maire ne dispose évidemment pas de l'attachement pavlovien et inconditionnel de la communauté musulmane de Londres. 

Pour quiquonque est un minimum de gauche, le parcours de Khan présentait une pléiade d'autres aspects à mettre en avant. L'extraction populaire et la nombreuse fratrie, la méritocratie, le travail extrêmement dur, les bienfaits économique de l'immigration ou encore l'ascension rapide du jeune homme qui promet de s'attaquer plus durement que Boris Johnson aux inégalités galopantes de la ville... C'est d'ailleurs là la limite du storytelling autour du nouveau héros, ses supers pouvoirs sont bien plus limités que ceux d'Anne Hidalgo et s'il peut beaucoup pour le maintien de l'ordre, la propreté et les transports (hors de prix, là bas) il ne pourra guère changer la donne d'un immobilier complètement fou. 

Il y avait donc de nombreux thèmes à choisir et ils choisirent "musulman". Le problème est le "ils" qui va des fous de BFM TV à l'Express et au Figaro, mais aussi au Monde et d'autres titres qui n'ont réagi que sous le poids de médias sociaux ulcérés par l'essentialisation de Khan. Au fond, la ligne identitaire convient à tout le monde en France, de Marine le Pen à Manuel Valls, lequel a évidemment félicité le maire : même camp que lui et le genre de musulman qu'il veut mettre en avant dans sa France triomphante. En cantonnant les responsables politiques à leur identité, on commet la même erreur qu'avec la lecture politique globale, on en oublie la question sociale. Cette fois ci, entre le prolo quasi Dickensien et le nabab réactionnaire à souhait, il s'agissait d'un éléphant dans un couloir de chiottes. Et nous avons réussi à tirer à côté. Va falloir progresser un peu pour l'an prochain... 

 

 

 

 

 

30/04/2016

La logique anorexique des libéraux

1186057027_B975031479Z.1_20150316124408_000_G9H45L03L.1-0.jpg"Le problème de la France, ce sont les 57 % du PIB que représentent les dépenses publiques. C’est un taux presque soviétique, quand l’Europe tourne à 47%" ainsi parle Philipp Hildebrand, vice-président de BlackRock, le premier gestionnaire d’actifs dans le monde et modérément fan du modèle social français. Ce qui est ennuyeux, c'est que l'article paraît dans le Monde, une pleine demie page où l'on accorde tout le sérieux (j'allais écrire le "crédit") à cet entretien. Une rapide règle de trois nous apprend que la France est 20% au dessus de la moyenne européenne. Comment y voir un drame et pas un modèle juste un peu différent ? On regarde l'Allemagne, mais on peut aussi voir le Danemark, la Suède, la Finlande ou la Norvège, pays qui vont fort bien. Surtout, on parle d'un écart semblable à une copie avec 14 et une autre avec 12.

Qui a déjà fait l'expérience de corriger des copies sait bien toute la subjectivité qu'il y a sur une fine démarcation comme celle-ci. D'humeur non égale, on pourrait aisément inverser les notes. Lorsque l'on hésite entre deux paires de chaussures, de deux vestes, de deux restaurants, un écart de cet ordre n'est pas toujours dirimant. On ne parle pas d'un écart incommensurable entre un relais routier et un étoilé Michelin, mais de deux échoppes d'un même quartier. Appliquée à la mondialisation, on compare souvent des choses ineptes : certes, la France a un coût du travail supérieur à celui du Vietnam. Doit-on se le reprocher ? Non. Cela, il est généralement admis que l'écart colossal entre les pays ne sera pas résolu. Mais entre la France et l'Allemagne, et l'Angleterre, on parle d'interstices, de marges, de détails. Autant d'éléments d'évaluations pour lesquels on devrait passer outre, se contenter de les prendre comme une donnée. Mais non, l'obsession comparative des libéraux fait que l'on considère ces écarts comme autant d'excès intolérables. Exactement comme dans la même logique que l'anorexie, en réalité, où il s'agit de maigrir coûte que coûte en dépit de la réalité corporelle. Les anorexiques ont sans cesse l'impression d'être obèse quand bien même ils sont à la limite de la défaillance tant ils sont décharnés.

Cette allégorie de l'obésité est courante dans la novlangue libérale comme l'a magistralement démontré ALain Erhenberg dans "le culte de la performance". Haro sur le gras, sauf si vous êtes vraiment doué et riche.  Peu de monde pour chatouiller feu Christophe de Margerie sur ses rotondités. Mais les nouveaux grands chefs du CAC 40 ressemblent tous à des athlètes confirmés. L'athlète devient d'ailleurs le nouveau héros des années 80 avec ce corps sculpté et dépourvu de toute pellicule de graisse. Aux tennismen poupins des années 80 et 90 succèdent Nadal et Djokovic, esclaves de la salle de sport, avec fonte, tapis et sans gluten. On en fait des héros, ce qui interroge, mais on en fait surtout des modèles à suivre, ce qui est déplorable. 

Cette lutte acharnée contre le gras finira mal : si l'on reprend la logique anorexique où le corps social ne s'estimera magnifique et magnifié que dépourvu de tout, arrivé à l'os, le risque de mort est grand. Oublions les mannequins photosphopés et les comptes sociaux maquillés. Le gras, c'est la vie. 

 

 

 

 

27/04/2016

Et si le prélèvement à la source nous réconciliait avec l'impôt ?

impot_Descary_Descary.jpgDepuis quelques semaines, les boîtes aux lettres de 46% des français se sont garnies d'une déclaration d'impôts. Ca n'est pas assez. Comment faire comprendre l'intérêt général, l'effort de tous, si moins de la moitié paye l'impôt sur le revenu ? Je n'en reviens toujours pas de voir les efforts déployés par le gouvernement de Manuel Valls pour diminuer le nombre de personnes qui s'en acquittent.

S'il le fait, c'est qu'il y a un abîme entre la perception publique de l'impôt et sa réalité sonnante et trébuchante. Il rapporte aujourd'hui exactement la moitié de la complètement aveugle TVA. Qui pense qu'il contribue aux écoles, aux hôpitaux, aux forces de l'ordre et de justice, en s'acquittant des 50 euros de TVA liés à un achat électroménager ? De fait, au travers de cette TVA, des personnes n'ayant pour survivre que le modeste RSA, des personnes âgées démunies au minimum vieillesse ou des personnes en situation de handicap titulaires de l'AAH s'acquittent tout de même d'un effort pour la collectivité en faisant des courses. Pour autant, puisqu'elles ne payent pas d'impôts sur le revenu, elles ne peuvent s'estimer pleinement accomplies d'un point de vue citoyen, comme si on leur contestait une partie de leur identité républicaine.   

Et pour les 46% de cotisants, le divorce est toujours larvé. 60% des français estiment que leurs impôts sont correctement utilisés. On voit bien tous les biais qu'il peut y avoir dans la façon de poser la question. Personnellement, j'aurais pu rejoindre les 40% de mécontents quand bien même je suis prêt à cotiser davantage. Ca n'est pas une attitude paradoxale, voire schizophrénique, mais plutôt une attente très forte de ce que doit être l'action publique. Or, on peut sans se faire traiter de gauchiste irresponsable, estimer que les serviteurs de l'Etat n'ont pas bénéficié d'améliorations mirobolantes depuis 2012 et que la hausse des impôts sur les particuliers n'a pas été suivie d'effet pour la collectivité. 

Au-delà des montants, la temporalité de la collecte n'est pas faite pour nous réconcilier. Cette année de décalage suscite bien souvent du mécontentement. Si vous avez connu une chute de vos revenus l'année précédente, la pause voire le remboursement d'une part de vos impôts n'éclipse pas l'amertume de la baisse. Et vous ne vous en rendez pas compte. En revanche, si vous êtes dans une spirale fortement ascendante, le rattrapage fiscal que l'état vous somme de compléter en septembre de l'année suivante vous fait hurler : vous avez oublié, intégré, digéré cette hausse depuis longtemps et cette compensation juste d'un point de vue comptable, vous paraît nécessairement indue. Et au retour des vacances de surcroît... Près de la moitié des français ne peuvent partir en vacances estivales, une carte qui ne recoupe pas à l'identique celle des foyers fiscalisés (si vous avez une maison de famille ou des amis avec ce genre de demeure, vous pouvez partir sans revenus ; mais ça n'est pas la majorité du genre, les inégalités se cumulant, ceux qui bénéficient de ce genre de relations ont aussi souvent un capital financier...) mais qui s'en approche fortement. Une carte de France des courroucés, donc. Et il est plus facile d'agir sur la date de la récolte que sur le montant d'icelle. 

En week-end avec une amie danoise, nous discutâmes de nos systèmes respectifs. Elle m'expliquait que le prélèvement à la source avait le mérite de couper court aux débats sur la lourdeur des charges. Laquelle est bien plus conséquente dans le royaume que l'on dit pourri que par chez nous. Mais suscite beaucoup moins de grognements de la part des habitants car ils sont débités (ponctionnés dirait-on en France) à la source, ce qui a le mérite de couper l'herbe sous le pied aux débats ineptes et d'éviter les effets de hoquets fiscaux. Forcément, quand vous avez amassé des tas de pièces, vous ne pouvez pas comprendre que l'on vienne vous rechercher par la suite. D'où l'importance vraiment cruciale de la mesure qui n'appelle qu'un correctif annuel pour toutes les professions indépendantes et libérales pour qui l'estimation sourcée est souvent sujette à ajustements. Mais tout de même, si l'on réussissait à instiller, à généraliser cela, on pourrait aussi jouer sur les revenus indécents et ineptes des grands patrons, les cachets des stars et des sportifs en les prélevant dès le début, avant que les ingénieurs fiscaux les plus pointus et audacieux n'aient eu le temps de démontrer l'efficacité de leurs services et leur imagination sans limite pour limiter justement, la part dont leurs client s'acquittent pour le bien commun. 

Apaiser une majorité de citoyens + réduire des inégalités et lutter contre la fraude, gageons que si c'est bien fait, les mérites liés à cette mesure d'apparence technique seront immenses. Et cette réforme bien moins anodine qu'on pourrait le croire pourrait au contraire amorcer une réconciliation entre citoyens et politique.

(Mon naturel cynique et désabusé me fait croire que les effets pervers se multiplieront et que les digues de contournement s'érigeront bien vite pour éviter que les plus fortunés ne cotisent dûment, mais bon, sans doute est-ce la longueur de l'hiver, j'en ai marre de voir tout en noir).