18/07/2016
Sommes-nous vraiment si cons-plices ?
Le ventilateur essentialiste tourne à plein régime depuis le drame de Nice, de l'extrême droite traditionnelle à LR et à l'extrême droite progressiste rebaptisé "Printemps Républicain", l'alpha et l'omega des problèmes français se résume à ceci : l'islam radical. Toute la rhétorique martiale et intimidatrice va à l'avenant. L'avenir du pays c'est "eux ou nous" selon l'ancien Président Nicolas Sarkozy dont l'absence de pondération laisse supputer des réponses désespérantes à un attentat perpétré sous sa présidence. Sinon, de Valls à Soral, de Ciotti à Boutih, tous ceux qui refusent de s'engager dans la nouvelle croisade sont des "islamo complices".
Pour discréditer tout opposant à cette logique monolithe de "l'islam radical va tuer la France", on vous accuse d'angélisme, de cécité et assez rapidement, de national-traîtrise et de soumission à l'islam. Saint Houellebecq priez pour nous...
Ce procès, on me le fait régulièrement depuis quelques mois. Mes propos couvrirait l'horreur musulmane qui se répand sur la France pour ma plus grande jubilation à cause de ma mauvaise conscience coloniale... Cette pensée vomitive, naguère réservée au seul Eric Zemmour s'est répandue comme une traînée de poudre avec des messagers comme Laurent Bouvet. Au fond, le Printemps Républicain, c'est l'extrême droite acceptable, un mouvement libéral, voire libertaire, mais entre blancs où, comme Alain Finkielkraut et Nicolas Sarkozy, on se passionne pour les faits divers "on ne peut plus enseigner la Shoah, en France ; je l'ai lu !", "dans certains bus du nord de Paris, impossible de monter si on n'est pas homme et barbu".
Voyez l'aporie à laquelle il nous accule : c'est ou nous eux. Et bah je refuse. Ni burqua ni bourrins. Je refuse les déformations grossières des faits quand ils ne correspondent pas aux attentes du grand récit anti-islam. La "radicalisation expresse" est de ce point de vue l'apogée, le climax du grotesque mâtiné de tragique : on ne peut expliquer l'horreur alors on trouve un moyen de le raccrocher aux branches. En plus, ça tombe bien, l'assassin est tunisien. Ca passe...
Quand même, les tenants de "l'islam salafiste est la cause de nos maux", j'aimerais qu'on m'explique, à propos des quartiers : les centaines de morts par balles, de gamins, dans les cités Nord de Marseille, de Sevran, de Vaux en Velin, c'est le trafic de drogues et la circulation des armes ou c'est "l'islam radical" ? En Seine St-Denis, quand, pour la première fois de l'histoire, un collectif de parents - les bonnets d'âne- manifeste et porte plainte contre l'Etat pour cause d'absence de professeurs, de conditions d'enseignements indigne, d'abandon de la République ; là aussi, c'est l'islam radical qui gangrène les quartiers ? Même le télégénique Kepel le dit dans son livre "Banlieues de la Républiques" il n'y a pas de moyens d'insertion professionnelle ou de conseiller d'orientation là où il y en aurait le plus besoin, à Clichy sous Bois et Montfermeil, c'est encore l'islam radical ?
Je ne dis pas que le salafisme n'est pas emmerdant. Il l'est. Mais dire qu'il y a d'autres problèmes dans ce pays ne fait pas de moins un complice du terrorisme. Mais alors vraiment pas...
18:05 | Lien permanent | Commentaires (42)
17/07/2016
Notre dangereuse fascination pour le nihilisme politique
Hier soir lors d'un dîner, un ami aux convictions d'airain m'a déclaré sans hausser la voix ni clignement d'yeux frondeurs qu'il n'irait pas voter en cas de second tour opposant François Hollande à Marine le Pen, l'an prochain. Je creusais les raisons d'un choix avancé sans désinvolture, que mon ami résuma ainsi : "je voudrais voir ce qui se passe. Voir des millions de fonctionnaires obligés d'appliquer une législation raciste. Nos institutions sont-elles à ce point fragiles qu'il suffirait de quelques énervés pour tout effondrer ?".
Sans faire de longs détours par la notion de la minorité et pouvoir ou la capacité de quelques factieux de tout bloquer, je suis revenu à l'essentiel : mon ami avait oublié les fondements de la démocratie. Dans son hypothèse, les fascistes sont toujours minoritaires, même s'ils remportent des succès dans les urnes. Après tout, un parti qui récolte 51% des voix dans un pays où seuls 50% des gens votent n'a les faveurs "que" de 25% de la population. On connaît le refrain. Pour une fois le point Godwin ne vaut pas, lors des élections législatives qui amènent Hitler au pouvoir en 1933, on compte 89% de participation. C'est donc un peuple allemand pleinement acteur à défaut d'être pleinement conscient, qui a choisi les nazis. Notre modernité se caractérise plutôt par un nihilisme démocratique en expansion forte. L'abstention devient la norme, y compris face aux périls les plus importants. En novembre 2016, alors que Donald Trump sera présent, le nombre d'américains qui se rendront aux urnes ne devrait pas tellement excéder les 50% comme ce fut le cas pour les deux élections d'Obama. Le référendum sur le Brexit a fait mieux, mais 72% de participation cela veut aussi dire 28% d'abstention pour un choix qui était pourtant très clair...
Dans son essai sur la démocratie moderne -Contre la démocratie-, David Van Reybrcouk propose le retour au tirage au sort pour réenchanter la relation des citoyens avec la politique. On aurait tort de balayer d'un revers de main cette thèse magistralement défendue dans le livre. Ce qu'il pointe c'est notre folle pente pour le nihilisme qui peut nous mener à nous brûler les doigts comme mon ami hier. Car les institutions sont des châteaux de cartes, non des barrages. Erdogan, Poutine, Orban et autres Kasczinski le retour en Pologne ont été élu avec des institutions qu'ils tordent joyeusement en arrivant au pouvoir. Alors, les digues démocratiques s'affaissent et partout les mêmes mécanismes de dérives autoritaristes sont à l'oeuvre : médias muselés, opposants politiques traqués, société viciée. Cela ne signifie pas que la contestation n'existe pas, mais elle suffoque. Les marches monstres de la société civile polonaise l'ont prouvé : le pays n'est pas facho. Mais combien de temps cela a duré ? Peu. La reprise en main des médias public par le PIS a diminué la surface d'expression de l'opposition. D'ici quelques temps, les représentants les plus éclairés de la contestation s'en iront : lorsque les élites sont mondialisées, polyglottes et adaptables, elles fuient les régimes qui ne leur conviennent plus. Pour aller ailleurs. Mais lorsque les ailleurs se délitent de toute part, lorsque toutes les issues seront condamnées, que faire ? La samba est bien triste au Brésil et l'Argentine est en proie au même cauchemar. Il peut y avoir le réflexe, Houellebecquien en diable, d'aller au Vietnam, en Chine, en Thaïlande ou à Singapour, des pays où les dirigeants nous ont ôté cette épineuse question du choix en politique. Des dictatures acceptables, tolérées par nous. Voilà où mène le nihilisme chez nous, dans un nulle part ailleurs. Sic transit gloria politica.
10:25 | Lien permanent | Commentaires (19)
15/07/2016
Et l'unité, bordel ?
Mais quelle mouche a piqué en rafale nombre de prétendus responsables LR pour qu'ils fracassent l'unité nationale avec une jubilation inouïe ? Les corps n'ont pas encore refroidi, la carcasse du camion criblée de balles est toujours sur la Promenade des Anglais, mais déjà Estrosi et Ciotti et tutti quanti ont lâché les chevaux et condamné l'action de la France pour expliquer "qu'eux au pouvoir, ça n'aurait pas eu lieu".
Charlie, le Bataclan, étaient trop loin de l'élection de 2017, mais là, nous y sommes, alors pourquoi se gêner ? Voilà, pourquoi se gêner, pourquoi se retenir ou chercher à apaiser ceux qui pleurent ? Meuh non, déversons joyeusement un torrent d'huile bouillante, ça va apaiser.
Ils veulent en finir avec le "politiquement correct" et répondent, tous coups de menton dehors, qu'eux "savent". Mais ils "savent" quoi, au juste ? Henri Guaino nous explique (authentique) qu'il fallait poster un militaire avec un lance-roquettes pour arrêter le camion en le faisant sauter. Je note que certains responsables politiques ont fait leur éducation à la politique de sécurité en regardant les superproductions américaines de Bruce Willis et autres Chuck Norris. Estrosi se félicite de la qualité de son système de vidéo-suveillance qui a "permis de retracer l'itinéraire du barbare". La Nation s'honore d'avoir des visionnaires tels que vous, monsieur Estrosi. Ce matin, Ciotti nous explique en hurlant qu'il faut redoubler de vigilance aux frontières. Le type qui a commis l'horreur d'hier soir est français. On peut douter, un tout petit peu, qu'un renforcement des contrôles aux frontières l'eut arrêté. Un peu comme pour Merah, les assassins de Charlie, du Bataclan... Tous français, mais prétendre bloquer les syriens, ça fait plus chic, plus responsable, plus grave. Il faut également un "Guantanamo à la française pour tous les fichés S", et le furieux d'hier soir ne l'était pas... Ad nauseam.
Martelons-le, face aux terroristes, aucune réaction n'est simple ou évidente. Elles ne peuvent l'être. Tout ne peut que repartir de l'éducation, l'apprentissage, la découverte. Toutes démarches de long terme niées par des gouvernants qui vous répliqueront fatalement "et en attendant, on fait quoi ?". Et ce quoi, pour Ciotti et consorts, ne connaît que deux exemples : les USA et Israël. Israël a évidemment une situation qui ne peut être comparée : Etat en guerre perpétuelle depuis 1948, les crispations identitaires, religieuses et territoriales ont mené le pays dans une spirale vicieuse sans fin. Celle-ci a mené les gouvernants actuels à une politique avec racisme d'Etat, surveillance généralisée et arrestation voire torture arbitraire pour préserver toute tentative d'attentat. Une politique qui a permis, certes, d'enrayer la majorité des tentatives d'attaques, mais le récent massacre de Tel Aviv a rappelé que le risque zéro n'existera jamais face à ceux qui sont prêts à perdre la vie pour en enlever. Quand aux Etats-Unis, les mots me manquent pour évoquer la stupidité de ceux qui voudraient en faire un modèle. 30 000 morts par balles par an. Voilà le résultat d'un pays où la loi rend plus aisé l'achat d'armes à feu qu'un paquet de cigarettes... Et la récente tuerie homophobe d'Orlando prouve là aussi que le risque zéro n'existe pas. Seul Trump l'a nié, là-bas ? Les membres du Grand Old Party à peu près raisonnables se sont tus et recueillis. Tous ceux qui brisent l'unité nationale aujourd'hui devrait réfléchir qu'ils se comportent comme Trump. Et que notre pays va déjà assez mal comme ça pour que l'on s'évite cette surenchère populiste folle...
16:01 | Lien permanent | Commentaires (35)