09/04/2016
Jugement en appel au secours
Une série culte des années 80 séparait le juge et l'assassin, celui des Prud'hommes qui a osé rendre "l'arrêt du coiffeur" hier, cumule les deux fonctions. Juge des Prud'hommes et assassin de la République. Il faut relire l'hallucinant attendu de justice "en se plaçant dans le contexte du milieu de la coiffure, (…) le terme de PD employé par la manager ne peut être retenu comme propos homophobe. (...) Il est reconnu que les salons de coiffure emploient régulièrement des personnes homosexuelles, notamment dans les salons de coiffure féminins, sans que cela ne pose de problèmes». Heureusement, il y aura appel... Ca n'est pas un simple appel, mais une alarme, un SOS.
En effet, tout le monde sait la puissance d'un arrêt faisant jurisprudence et qui peut ruisseler. En l'espèce, si "PD" n'est pas homophobe dans le milieu de la coiffure, alors "pourri" ne l'est pas chez les élus, "youpin" dans la finance de marché (ou les médias) "crouille" dans le BTP, "salope" chez les attachées de presse, "pédophile" chez les curés ? Et ainsi de suite, ad nauseam... Ce que dit la rhétorique de cet arrêt, c'est qu'il n'y a pas de fumée sans feu et qu'il ne faut pas s'offusquer de dire tout haut ce que beaucoup de monde pense tout bas...
Dans un pays fracturé par des inégalités sociales grandissantes et sur lesquelles on ajoute des meurtrissures identitaires à vif, je ne sais pas ce qui a pu se passer dans la tête du juge ? Il a tout bonnement fait ce que font au quotidien Zemmour, Menard et autres : il a dit "merde au politiquement correct". Au "on ne peut plus rien dire" qui étoufferait toute possibilité d'expression en France. Les tenants de ce courant mélangent tout et prennent appui sur la dernière campagne de censure sur le web pour jouer les martyrs. Une série de cuisine arrosée devait être diffusée par Canal + et a été déprogrammée au motif qu'elle faisait l'apologie de l'alcoolisme. Si l'on peut sans doute discuter de l'opportunité d'une telle interdiction, il est faux de dire que l'on ne peut rien dire en France. Et au fond, les entraves juridiques aux injures raciales, sexistes, homophobes, sont des marchepieds nous aidant à devenir une nation adulte. "Ca commence par des injures" dit la campagne contre le racisme du gouvernement. Ca commence aussi dans la cour de récré, où le "sale PD" est un bruit de fond connu. Si les juges, l'incarnation ultime de la droiture permettent aux gamins de le gueuler plus fort, il ne faudra pas s'étonner que nous devenions une nation de délinquants... A l'aide !
09:10 | Lien permanent | Commentaires (31)
07/04/2016
Chercher le sens du Panama
La maison est cambriolée et nous regardons ailleurs...
Comment peut-on avoir l'indécence de perdre du temps sur 3 foulards plus ou moins islamiques quand des centaines de journalistes ont trimé, marné, sué, pendant un an avec l'aide de courageux lanceurs d'alerte pour laisser l'affaire dite des Panama Papers ? Connaîtra-t-on jamais l'ampleur de la fraude ? Les précautions de langage, les bataillons d'avocats et de fiscalistes vont faire leur sale boulot d'euphémisation par la technique. "Vous confondez tout, ça n'est pas de la fraude, c'est de l'optimisation". Ils sont payés (grassement) pour ça. Ils vont noyer le débat sous des couches d'arguties juridiques pour rajouter des nuances de gris. Ne soyons pas dupes et cherchons le sens de tout ça car l'enjeu est colossal.
De quoi parle t'on ? De milliards de milliards ou billions de dollars qui disparaissent des comptabilités des états au niveau mondial pour aller se cacher aux îles vierges britanniques ou en Asie en passant, chaque fois, par Panama. Notons que cet argent concerne quelques élus, quelques dictateurs, nombre de chefs d'entreprises et sans conteste quelques mafieux et chefs de cartels présents sous prête noms... C'est là le coeur de la matrice : cet argent n'a rien de sain, d'où qu'il vienne. Cet argent ne sert ni les populations ni même ceux qui le détienne. C'est un complot mondial d'Harpagons hurlant "ma cassette, ma cassette" mais n'en profitent même pas, n'en font pas jouir la communauté. Ils entassent des chiffres. Même pas des billets... La totalité de pièces et de billets produits dans le monde ne représente que 5% des richesses "produites" le reste c'est des chiffres, qu'on retrouve en quantité trop importante dans cette histoire...
Premier enfumage, on nous explique, on nous serine, que les français partent à cause de la pression fiscale. Panama Papers met à nu une vérité de l'argent fou fort différente. Les grandes fortunes françaises qui avaient placé leur argent en Suisse et en Belgique veulent payer encore moins et sont laissés embarquer dans cette histoire. Ils veulent juste "toujours plus", échapper à toute forme de redistribution par l'héritage... La pression fiscale française n'a donc rien à voir : on parle d'avarice pure. Seule la part du gendarme, de spoliation totale ou d'emprisonnement, peut faire cesser ces pratiques. Si on agite uniquement la réprimande et le blâme médiatique, rien ne changera, Panama ira à Hong Kong, puis aux Marquises et dans le Triangle des Bermudes s'il le faut...
Deuxième enfumage : on met en avant un clivage pour expliquer les réticences publiques. C'est faux. Je connais peu de politiques de droite favorables à l'exil et à la fraude fiscale... La vérité est qu'il y eut une convergence de lâche passivité. C'est à la fois plus accablant et porteur d'espoir : il faut le courage de fracasser tout cela, de séparer les activités bancaires pour ne pas laisser la Société Générale faire joujou en mettant en péril l'argent des épargnants. Il faut brandir des sanctions exemplaires, enfin. Un peu de courage, bordel : la maison est cambriolée et nous détournons le regard alors que les voleurs ne sont pas armés....
08:38 | Lien permanent | Commentaires (19)
03/04/2016
Reprendre soin du Care
En 2011, c'est à dire hier pour le temps historique, mais la préhistoire pour le temps médiatique, Martine Aubry avait fait campagne lors de la primaire sur un concept importé des Etats-Unis et aux contours un peu incertains, le "Care". Le prendre soin, littéralement. Mais derrière cela, la proximité, l'attention, l'empathie, l'intergénérationnel.... L'idée que le libéralisme avait détruit beaucoup de liens humains, familiaux, relationnels et temporels, dans la mesure où il a fracassé les rythmes quotidiens...
Tous ces dégâts, il fallait bien qu'on essaie de les réparer, le Care avait cette ambition. Une philosophie qui avait comme seul avantage de proposer un changement de modèle de société, mais sans les 18 mesures chiffrées qui vont bien avec. Les électeurs de gauche ont donc préféré Hollande. Jetons un voile pudique sur le caractère opportun de ce choix. Cinq ans plus tard, les ravages soulignés par les tenants du Care se sont aggravés. L'économie des plateformes et de la désintermédiation a encore accru l'inégalité d'accès aux temps entre une poignée de très dominants et le reste de la société. Uber a peut être un peu massifié le recours à des déplacements en voitures individuelles plutôt qu'en transports collectifs et on en fait l'alpha et l'omega de l'innovation de rupture alors que globalement on parle toujours d'usager empruntant une voiture pour aller d'un point à un autre. Le service est le même. Peut être de meilleur qualité, mais le même.
En revanche, ce qui a beaucoup changé ces dernières années, c'est la multiplication des applications visant à permettre d'optimiser son temps. Donc on monétise un service qu'on peut payer (car on est solvable) en demandant à ceux qui seraient incapables de recourir financièrement à ses services de vous servir sans délai. Ainsi de tous les livreurs à domicile de tous les restaurants qui vous apportent votre pitance au bureau (pourquoi la convivialité serait-elle une valeur acceptable ? Que fait-elle pour le PIB cette garce de convivialité ?) ou le soir chez vous. Vieux comme le monde ? Pas en termes de variété. C'était les sushis et les pizzas, tout prend le relais y compris de bons restos pour 2 (trop crevés pour sortir) ou pour 4 ou 6 (épate tes amis mais sans prendre le temps de faire la cuisine...), sans que personne ne semble regretter la convivialité perdue. On voit les artifices grossiers, on vous vendra qu'avec vos enfants en bas âge, vous pouvez bien manger pour le même prix sans payer une baby sitter; Le fameux bon sens populaire.
Au-delà des restaurants, les pressings viennent jusqu'à votre bureau pour que vous gagniez du temps. Votre coach sportif vient sur votre pause déjeuner ; le soir la baby sitter succède à la nounou pour faire dîner les mômes et d'ailleurs, de nouvelles applis vous mettent directement en contact avec tout un pool de nounous disponibles... Pour payer moins cher. C'est là le hic. Nous ne prenons pas soin de ceux qui prennent soin de nous : la logique "d'Uberisation" même si je maintiens que c'est un abus de langage pousse à dégrader les conditions de travail de ceux qui sont dans ces nouveaux services. Les nouveaux livreurs à vélo (pour éviter les embouteillages) bossent souvent pour plusieurs applis, avec des horaires décalés et des contrats de plus en plus aléatoires.
Cette précarisation du coût du service permet à ceux qui ont des moyens de s'offrir encore davantage de services qui les poussent à rester encore plus au boulot ou dans une sociabilité professionnelle (soirées, séminaires...). Cette spirale folle aggrave le fossé entre deux pans de la société qui se côtoient sans jamais se mélanger même si on nous racontera toujours le joli conte de fées du livreur qui a épousé la patronne, du responsable pressing qui a repris ses études grâce à une businessman humaniste qui venait chercher ses chemisiers... Niaiseries. La réalité c'est que derrière la "modernité technologique" se cache un retour à une forme de domesticité bien humaine, mais qu'on refuse de nommer.
Cette crise des relations où une minorité de plus en plus faible d'ultra urbains se fait servir par des flexi précarisés de plus en plus lointains ne peut dignement être un modèle de société. Remettons le Care sur la table, il a plus d'avenir que la loi El Khomri.
20:59 | Lien permanent | Commentaires (7)